Les incorrigibles de
Patrice Quélard.
Il y a des auteurs qui ont un savoir-faire particulier pour te poser une atmosphère, une ambiance qui vient t'imprégner de telle sorte que tu as la sensation angoissante d'y être toi aussi.
Je nommerais des auteurs bankable comme D. Kennedy,
Ellroy ou
Ellory. Je nommerais Cetro qui chaque fois, me sort de mon confortable nid douillet pour coller aux basques de ses personnages, la même angoisse communicative aux tripes. J'ai encore pensé au passage de
Poc de
Stéphane Grisard, à cette période durant laquelle je me suis retrouvée comme l'un de ces protagonistes, engluée dans la jungle de l'Indochine des années 50, la peur au bide, la mort aux trousses. le souffle court, les yeux rivés sur le bouquin.
Moi qui suis très sensible aux ambiances, en littérature comme devant le grand écran, j'aurais pu croire que P. Quélard en revenait. Les recherches, le ton sans emphase, l'écriture, tout à l'inverse de Cris de Gaudé que j'ai détesté, m'a donné cette sensation que le type avait vécu cette triste et sombre époque où l'on envoyait des misérables, des mal nés bien souvent, de pauvres hères punis par une justice inéquitable et souvent sclérosée et corrompue dans les bagnes de Cayenne pour au mieux en sortir les pieds devant, au pire, disparaître sans laisser de traces dans l'indifférence générale.
Le roman commence de nos jours par la découverte sur ce territoire d'outre-mer d'un squelette identifié comme étant celui d'un ancien officier de la gendarmerie, Léon Cognard, mort peu après la fin de la Grande Guerre. C'est une période de son histoire que nous allons découvrir dans ce récit. Si l'on connaît la destinée de l'insubmersible Titanic, l'histoire de Léon Cognard louvoiera bien davantage avec une cavale, dans les derniers chapitres qui te fera te bouffer les ongles.
J'ai eu un chouïa peur, au premier tiers du récit, que celui ne parte sur une ennuyeuse enquête : peu amatrice de polar,
Patrice Quélard m'a épargné ce tracas ( énigme rapidement résolue ), le dessein de l'auteur était, je n'en doute pas, de nous apporter des informations historiques ( inconnues de mézigue ) dans un contexte « intriguant ».
L'auteur m'a également comblée de ses dialogues, justes et fins, avec un éloquent Cognard qui est devenu dans ce deuxième tome, plus humain bien qu'il fût déjà humaniste. Plus fragile, vulnérable. Ça y est je suis ferrée, il m'a touchée. Bien que je le trouve toujours comme dans
Place aux immortels « trop » humaniste ( c'est davantage son côté moralisateur qui m'agace ), mais son panache mais surtout ses failles face à une femme désirable ont eu raison de mon détachement et ce mi Cyrano, mi Don Quichotte est venu touché ma sensibilité.
Bon, je dois avouer que les donneurs de leçon de toutes sortes m'ont toujours donné des boutons. J'attends toujours que Titi se fasse bouffer par Gros Minet, ou que Maya l'abeille se prenne une grosse branlée, quant à Oui Oui, je lui roulerais bien dessus avec son beau taxi. Alors, c'est vrai que Cognard m'a parfois agacée, mais cette fois, au delà de son panache, j'ai entraperçu un homme vulnérable, avec ses zones d'ombres et cela m'a plu.
Quant à Marcel, le bagnard que Cognard souhaite aider, il n'est jamais utilisé dans le but de nous faire larmoyer, merci d'avoir su garder cette distance narrative sans apitoiement. Ça fonctionne encore plus avec moi.
J'ai particulièrement aimé le chapitre où Marcel se raconte avec du « je » et du « tu ». Sur un chapitre uniquement, wow, une confidence, une mise à nue sans misérabilisme, et ça, croyez-moi, ca te bouscule comme il faut.
J'ai vraiment aimé ce tome 2, plus « confidentiel » que Place des immortels, selon moi.
Une petite merveille de littérature historique où le fond sert le cadre autant que l'inverse. Un roman d'une grande richesse.