Les Plaideurs

Dans mon adolescence, quand je croisais mon père , la robe noire sous le bras, qui partait dès potron-minet après une rude nuit passée à répéter ses plaidoiries en arpentant son bureau, je lui lançais , comme un rituel:

"Mais où dormirez-vous, mon père?"
"A l'audience!" me répondait-il, invariablement.

Pendant longtemps ce furent les deux seuls vers des Plaideurs que j'eusse (!!) connus... Je devais bien faire à ce rite filial un hommage tardif : chroniquer la seule comédie du sévère Racine, janséniste austère et tragédien tourmenté..

Dans les Plaideurs, Racine se lâche et nous fait du Molière!

Au milieu d'une bande de valets imbéciles, et de fous furieux frappés de manie procédurière- une vraie psychose, si, si, elle existe!- un jeune couple , Léandre et Isabelle, deux jeunes gens raisonnables et néanmoins amoureux, essaient de trouver un truchement pour se marier...

On ne prend pas les mouches avec du vinaigre: pour appâter leurs pères, l'un chicaneur de profession, l'autre juge à la cour , maintenu sous ...séquestre par les siens pour l'empêcher de juger jour et nuit, nos deux amoureux lancent un simulacre de procès- un chien est l'accusé- ....et font signer leur contrat de mariage par la même occasion.

On est dans la grosse farce plus que dans la comédie fine, - un des modèles de Racine est Aristophane qui n'a jamais reculé sur la gaudriole ou la scatologie- et les chiens, même en comparution directe, ignorent tout des lois de bienséance:

"Quels vacarmes! Ils ont pissé partout!"

Mais la charge des milieux de justice est vive: corruption, intrigues, prévarication, et celle des hommes de lois, féroce : juges à enfermer, plaideurs - et plaideuse- à lier, greffiers et huissiers analphabètes, avocats sans mémoire -que le Souffleur du théâtre, sorti de son trou, par une surprenante mise en abyme, vient sortir de LEURS TROUS...de mémoire :

"Dandin: Vous?
Le Souffleur: Je viens secourir leur mémoire troublée.."

La charge est enlevée...mais je dois quand même avouer que malgré ma petite madeleine filiale ce n'est pas un chef d'oeuvre...

Racine n'est ni Molière ni Aristophane: il reste avant tout un tragédien, et, pour moi du moins, le plus grand- avec Shakespeare.

Retour à l'adolescence par le biais d'un rangement de bibliothèque et quelques lectures imposées au collège : « Les plaideurs », Racine, 1668…

Dandin, un juge un peu fou (pour le moins) ne conçoit sa vie que pour juger. En manque de procès à se mettre sous la dent, il en viendra à juger un chien qui a volé un chapon. Ajoutons à cela un contrat de mariage : Léandre aime Isabelle…

La seule comédie de Racine… Comme toutes ces pièces lues trop tôt, et relues à l'âge adulte, je redécouvre une portée insoupçonnée. Malgré tout, cette relecture « des Plaideurs » m'a laissé un peu perplexe, comme une sensation d'avancer en dehors du texte ; une relecture nettement moins enrichissante que celle de Molière ; une pièce qui m'a parue moins dense, la langue moins accrocheuse…

Quelques répliques passées dans le langage courant, malgré tout :
« Sans argent l'honneur n'est qu'une maladie. »
« Qui veut voyager loin ménage sa monture. »
« Tel qui rit vendredi dimanche pleurera. »
« On apprend à hurler ... avec les loups. »

La pièce hautement improbable de Racine ! Parmi toutes ses tragédies, toutes ses passions déchirantes et terribles, il y a cette comédie invraisemblable et rocambolesque qui se finit par un mariage d'amour ! Youpi, le seul de son oeuvre ! Une pièce qu'on lit en une demi-heure, en se disant que notre tragédien national avait quand même de l'humour.

(...) Cette pièce est une comédie en 3 actes et en vers, inspirée d'une pièce grecque antique: Les Guêpes d'Aristophane. Dans les 2 pièces, il s'agit de se moquer du fonctionnement parfois aberrant de la justice. Racine dénonce la corruption des magistrats sous couvert de comédie. Ses personnages sont tous aussi fous les uns que les autres, sauf Léandre et Isabelle qui, eux, utilisent la folie des autres pour parvenir à leurs fins. Les procès intentés sont délirants, au point qu'on finit par juger un chien.

L'intérêt de la pièce réside dans le fait qu'on peut comparer la corruption et les aberrations de la justice de 1668 avec celle de notre époque. Et il n'y a pas de quoi pavoiser… Surtout sachant qu'Aristophane dénonçait déjà les mêmes faits au 5e siècle avant Jésus Christ… C'est assez désespérant, non?

Le texte en lui-même ne m'a pas spécialement plu. Les vers ne sont pas difficiles à lire, mais comme on est sur le ton de la comédie, ils ne font pas spécialement dans le lyrisme. le point le plus positif que j'ai trouvé à cette lecture, pour être tout à fait honnête, c'est qu'elle a été rapide.
Lien : https://bienvenueducotedeche..

Un juge qui veut passer sa vie entière à juger, un homme riche qui gaspille son argent en procès, des serviteurs qui profitent de la situation, deux jeunes amoureux pris au beau milieu de ce tourbillon…

Unique comédie de Jean Racine, cette pièce mineure n'a pas l'éclat d'une "Phèdre" ou d'une "Andromaque". Elle se déroule à une époque contemporaine de son écriture, et emprunte les codes des comédies de Molière, sans en avoir le talent. Cependant, ce texte qui dénonce les défauts de la Justice (dont certains sont encore aujourd'hui d'une surprenante actualité), malgré une écriture franchement datée, demeure doté d'une verve certaine, et se lit rapidement, avec plaisir. Une curiosité à découvrir.

Racine Jean – "Les plaideurs" – Folio théâtre, 2006 (ISBN 978-2070308316)

Cette pièce est écrite par Racine en 1668, juste après «Andromaque», probablement pour montrer qu'il peut faire aussi bien que Molière dans le domaine de la comédie ? à moins que ce ne soit pour défouler sa mauvaise humeur contre les instances juridiques de son temps, avec lesquelles il a eu maille à partir pour une broutille, comme quasiment tout homme un peu fortuné en son temps ? Sans doute un peu des deux…

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Racine adopte ici le registre, le ton et la langue de la farce, encore plus directe et légère que le niveau de la comédie usuel chez Molière. Racine ne craint pas de descendre jusqu'au vulgaire (les chiens qui pissent), un niveau de langue peu fréquent dans un théâtre de la Cours du Roi soleil !
Les caractères ne sont guère fouillés, toute la charge – virulente – se concentre sur la procédure judiciaire et les juges. le lecteur ne trouvera ici ni la qualité de langue, ni la densité de l'intrigue, ni le déchaînement des passions des grandes tragédies raciniennes. En revanche, on trouve un Racine capable d'écrire dans un registre de théâtre surtout «à jouer», qui fait la joie des metteurs en scènes souhaitant enchaîner les situations burlesques.

Les historiens du théâtre nous assurent que cette pièce fut longtemps l'une des plus fréquemment jouées, figurant parmi celles les plus souvent données à la Comédie Française jusqu'au début du vingtième siècle. Pour les braves collégiens de ma génération, elle disparaît des programmes et n'est guère mentionnée qu'occasionnellement…

Il faudrait pourtant un Racine ou un Molière pour rendre compte des égarements de la justice d'aujourd'hui, se vautrant dans des procès sans fin contre les «peoples» et les politiques, reportant aux calendes grecques (à grand renfort d'expertises et d'appels) les gros procès réellement importants contre des multinationales assurées de l'impunité (après Monsanto, après la catastrophe du Mont Sainte-Odile, combien de temps pour le procès à venir contre Volkwagen ?), s'enlisant voire se parjurant dans la sinistre affaire d'Outreau succédant à celle de Bruay-en-Artois… sans oublier l'acquittement pur et simple du tandem Strauss-Kahn/Dodo la Saumure… ou la remise en liberté de criminels sur simple faute de procédure…