Le camp des saints
précédé de Big Other
Jean Raspail
roman
Robert Laffont, 1973, 389p
C'est un livre qui met mal à l'aise. C'est une parabole, autrement dit un récit allégorique, qui utilise les événements quotidiens pour dispenser un enseignement. Les faits ici sont l'envahissement de la France, paradis d'opulence, par des colonnes, aussi nombreuses que grains de sable, de migrants, d'Indiens à peau sombre. Et les colonnes arrivent les unes à la suite des autres. Comment accueillir tous les migrants ? Ce n'est plus la France qui est envahie, c'est la planète tout entière.
Ces migrants partent de Calcutta en bateau sous la conduite d'un enfant-monstre incapable de se mouvoir et de parler, accroché au cou de son père coprophage. Un seul homme s'oppose à leur départ, le consul
De Belgique, il est tué. Ils mettront deux mois pour arriver en France.
C'est un livre aussi, comme un grand cri de colère poussé par le narrateur. L'auteur dénonce l'hypocrisie des gens de gauche qui mettent en avant la solidarité, la charité, l'accueil, des « fleuves de mots » qui seront contredits par les actions. Il dénonce aussi la manipulation de leurs lecteurs par des journalistes carriéristes usant de faux bons sentiments, « la Bête », et travaillant la bonne conscience, qui empêchent les gens, en proie au doute, de penser lucidement et à long terme. Parmi eux, un certain Ben Souad, dit Clément Dio, voit le changement de société avec un plaisir de revanchard, et lance, avec un petit air supérieur: « Ah, le con » en entendant ceux qui parlent sans avoir pensé à ce qu'ils disent. L'auteur dénonce les enseignants qui formatent leurs élèves pour qu'ils aident, devenus adultes, ceux qui sont dans la misère, et n'hésitent pas à leur faire écrire des lettres de dénonciation de leurs parents. Il y a les autres qui ont peur de penser à contre-courant et n'osent exprimer leur inquiétude devant ce qui les attend. Il y a aussi les naïfs et les bouffons. Des gens néanmoins, un journaliste satirique, un Indien de Pondichéry se trouvant très bien en France, et disant qu'être Blanc, c'est un état d'esprit, voient clair, disent ce qui se passera, on ne veut pas les écouter. Cette dénonciation est par trop caricaturale.
Deux mois, c'est pas mal de temps pour voir venir. On espère des tempêtes, or la mer est incroyablement calme, jour après jour. On souhaite que d'autres pays interviennent, fassent la salle besogne. L'Egypte, puis l'Afrique du Sud, sans se soucier de ce que pense d'elles le reste du monde, détourne pour l'une les navires, menace de tuer les migrants pour l'autre. En France, les valeurs d'hospitalité dominent.
le Président de la République atermoie, demandant aux Indiens d'attendre et leur donnant nourriture, matériel, et médicaments que ces derniers refusent, car ce qui les anime, c'est la haine portée à ceux qui veulent les savoir au loin. Quand il est déjà trop tard, il utilise les grands moyens, mais l'armée, engluée dans les bons sentiments, ne veut pas tirer. Un duc, qui a vu le comportement radical et venimeux des miséreux de près, tente de témoigner. En vain.
Les migrants, tout puants, arrivent le dimanche de Pâques, jour de résurrection du Christ et jour dans le roman d'un monde nouveau -qui commence délibérément avec le meurtre par les Indiens des Blancs qui les avaient aidés- sur les plages de la côte d'Azur. Monde qui commence pour ceux qui n'ont rien à perdre par des moments de bon temps, comme toute révolution, pillages, soûleries, viols, meurtres. Ceux qui ont un bien prennent la fuite. Les autres se résignent à se serrer pour faire de la place aux envahisseurs. Les religieux ou pensent que Dieu fera fuir les migrants ou s'occupent de leur accueil. Les Noirs des petits boulots se vengent du mépris qu'on leur a témoigné en tuant leur contremaître comme un porc qui finit en pâté dans une boîte de conserve. L'outrance et le cynisme de certaines scènes heurtent.
L'avancée des migrants donne lieu à une anti-épopée, une anti-odyssée, ce sont des gens affamés, entassés, qui passent leur temps sur le bateau à somnoler et à copuler. Les Français qui filent vers le Sud dans un débordement d'enthousiasme, se conduisent comme des bêtes, seuls gardent une autorité qui ne s'embarrasse pas d'humanité des gens d'armes, et un vieux professseur, avec des idées de droite, et de catholiques intégristes. Comme des Gaulois irréductibles et virils, ils livrent un baroud d'honneur contre les migrants et ceux qui sont de leur bord, en attendant la mort et ils entendent s'amuser, mourir sans se prendre au sérieux, en formant une parodie de gouvernement sans aucun.élément féminin. le lecteur a parfois l'impression d'assister à un film burlesque, ou à des saturnales d'une autre époque. Les personnages tuent, et l'on dirait qu'ils sont à une partie de tir contre des pigeons d'argile.
La Suisse pour un temps seulement est à l'abri de la migration.
Ce livre est difficile à lire, parce qu'il oppose une masse de migrants sans réelle humanité, et que jamais on n'entend, à un bon nombre de gens qui sont dominés par un « délire humanitaire » dixit Raspail. Il est assez manichéen présentant sans nuances deux partis qui pourtant doivent former le nouveau monde, dénigré avant que d'être né par l'auteur. Les scènes de vengeance racontées avec une certaine complaisance sont nauséeuses. Et la bande des irréductibles qui restent sur leurs positions comme s'ils détenaient la Vérité et de détachent de « l'humaine pourriture » est franchement antipathique. le leit-motiv ; peut-être est-ce une explication » agace. La première invasion est déjà lointaine, et elle figure dans tous les livres d'histoire. Un vieil homme (le professeur solitaire dans sa villa avec vue sur mer?) la raconte comme il la sait, en voulant coller au plus près aux véritables intentions.
le roman a été écrit en 73, alors que le phénomène des migrants n'occupait pas le devant des informations. Aujourd'hui le livre serait passible de très nombreuses accusations. Est-ce que censurer un livre est une bonne chose ? Ne faut-il pas au contraire que l'auteur pousse son cri et qu'une fois calmé, il écoute les paroles sincères, impartiales, et réfléchies des autres, et que le public les écoute aussi ?