La nuit du premier jour

C'était donc cela, la guerre, songea-t-il. S'angoisser jour et nuit pour les siens en cherchant désespérément à prendre la bonne décision alors qu'elles sont toutes mauvaises.

Salim repensa au notable corseté de convictions qu'il venait d'affronter. Les tempéraments rigides sont ceux qui résistent le moins bien au tumulte des sentiments.

Les rêves demeurent possibles, même au cœur de la tourmente. C'est ce qui nous sauvera.

La vie commence le jour où l’on a quelque chose à perdre…

Les femmes n’avaient pas manqué dans la vie de Salim. De l’amour, il connaissait le
plaisir et l’harmonie des corps épanouis. Dans sa famille, personne ne comprenait
pourquoi il ne s’était pas encore marié. « En refusant de t’engager tu ne respectes
pas ton sang ! Tu trahis nos anciens ! » avait tempêté sa mère avant de mourir. Il
n’avait pas cherché à se justifier, gardant pour lui cette crainte qui le paralysait,
celle de se tromper, d’être à jamais prisonnier d’une femme dont il n’apprécierait
ni l’esprit, ni le caractère, ni le parfum de la peau. Une épouse qui ne le ferait
pas rire, ne l’inspirerait en rien et lui donnerait des enfants pour lesquels il n’éprouverait
qu’un sens du devoir.

J'ai trouvé ma place auprès d'un homme juste et bon, et le Seigneur m'a accordé la grâce de te mettre au monde. J'ai une dette à ton endroit, une dette de bonheur, ce bonheur fou que tu m'as donné et que je n'ai pas su te rendre. Je te demande pardon, mon enfant.

Néanmoins, lorsque il effleura du pouce sa lèvre inférieure pour en esquisser les contours, elle retint son souffle, les yeux écarquillés, stupéfaite de cette audace qui la mettait à nu, là, en pleine rue, devant les passants et les clients attablés autour d'eux.

Au coeur de sa solitude, Victor comprit qu'elle ne le lâcherait pas, qu'elle resterait là le temps nécessaire, peut-être même une vie entière. Oui, malgré sa désillusion, son regard sévère et ses reproches, sa mère le porterait ainsi dans ses bras jusqu'au bout du monde, jusqu'à la fin des temps.

_Vous êtes de son pays, la terre de son coeur. C'est pour cela qu'elle vous a parlé sans artifices Elle n'avait rien prémédité, elle a parlé avec ses tripes. Après votre départ, elle avait une lueur dans les yeux que je ne lui connaissais pas. J'ai eu l'impression de la voir renaître.

Ils avaient survécu à la guerre et à la grippe espagnole. La cadence de leurs vies ne faisait que s'accélérer, en rythme avec les nouveaux musiciens de jazz. Un rythme prometteur, impudique et non dénué d'orgueil, celui d'une génération sacrifiée qui n'avait pas trente ans, le désir à fleur de peau et un fol appétit de vivre.