Les fanatiques
Sous le curieux prénom de « Jann Marc », l'un des principaux responsables d'Action directe nous livre son témoignage sur les années 1977-1987 qui ont vu la naissance et la fin de son groupe terroriste. C'est le dix-huitième livre que commet Rouillan. Tardive graphomanie. Que n'a-t-il troqué plus tôt les explosifs et les armes à feu contre la plume et le stylo !
L'éditeur T. Discepolo prétend nous livrer une analyse critique de l'histoire interne d'Action directe. Dans une préface plutôt complaisante, il commence par s'en prendre aux journalistes qui ont eu le culot de traiter avec condescendance le niveau intellectuel du quatuor de tête d'AD (Rouillan-Ménigon-Aubron-Cipriani). Il tente ensuite de justifier les attentats et assassinats du groupe par « l'univers mental » de Rouillan et de ses « compagnons » : ces jeunes gens auraient été marqués par la guerre d'Algérie, la Résistance, la guerre d'Espagne et la révolution d'octobre. Des références qui datent un peu. Discepolo considèrerait-il son auteur et ses complices comme des attardés ?
Rouillan évoque ces dix années avec précision. Il mentionne des faits mais ne livre pas beaucoup de noms, hormis ceux des amis qui ont eu droit à un procès. Il rappelle ainsi judicieusement les soutiens actifs de l'écrivain
Dan Franck et de
Paula Jacques, animatrice et productrice de France Inter, qui furent tous deux jugés et condamnés pour complicité.
On apprend avec intérêt les diverses manoeuvres par lesquelles le gouvernement Mauroy chercha à se concilier les bonnes grâces de Ménigon et Rouillan. Ce dernier évoque notamment une amusante « carotte » proposée en 1982 par le pouvoir socialiste, par le truchement du PDG d'une « grande société coopérative proche de la gauche traditionnelle » qui voulut calmer le couple en lui proposant une sinécure grassement rémunérée.
On est frappé par la minutie avec laquelle le groupe terroriste préparait ses actions : repérages, surveillance, choix des itinéraires, équipements, voitures, groupes de soutien… Par l'audace dont il faisait preuve en espionnant les services de police qui les traquaient. Par les coopérations qu'il mit en place avec ses homologues Allemands, Belges et Italiens.
Rouillan explique très simplement la démarche d'Action directe : il s'est agi d'une « guérilla communiste dont le but essentiel était d'élever la conscience critique du prolétariat occidental afin que, par ses propres forces, il puisse rompre la fausse unité à laquelle l'opportunisme le condamne » (sic). C'est ainsi qu'il justifie la « lutte armée » par laquelle on pose des bombes, on commet des hold-up et on tue des gens. D'un côté il y a les méchants : c'est la bourgeoisie impérialiste ; de l'autre les gentils : les masses populaires opprimées. Tel est la logique simpliste de l'abondante logorrhée sectaire qu'il développe sur 350 pages.
Rouillan fait part de ses regrets – liés exclusivement à l'échec d'Action directe. En revanche, inutile de chercher des traces de repentir à l'égard de la huitaine de victimes - dont quatre assassinés de sang-froid - qu'il revendique avec désinvolture : ce sont des ennemis de classe, policiers, militaires ou chefs d'entreprise. Pas un mot sur les employés de banque ou quidams qui ont pu être blessés ou traumatisés par les innombrables vols à main armée et fusillades qui ponctuent son récit : ils sont probablement au service des ennemis de classe.
En un mot : si c'était à refaire, il le referait.