Faible que je suis, il a fallu que je me laisse tenter par une des pochettes-surprise de Folio. A l'intérieur de celle choisie, estampillée « aventure, évasion », il y avait donc
Check-point. Autant dire tout de suite que vu le résumé, de base, il ne me serait pas venu à l'idée de m'y intéresser. Ça tombait bien, c'était exactement le but recherché avec l'achat de la pochette : sortir des sentiers battus et se laisser surprendre, que ce soit en bien ou en mal.
Même si ni l'humanitaire, ni la guerre, ni les paysages hivernaux ne sont ma came (mais alors vraiment pas du tout), au début, je me suis pourtant laissé.e embarquer aux côtés de Maud, Lionel, Vauthier, Marc et Alex dans leur road-trip au fin-fond de l'Europe. Car il faut reconnaître une chose à
Jean-Christophe Rufin : ses descriptions de paysages sont très efficaces, voire à couper le souffle. Il arrive à dresser une image évocatrice en peu de mots, rendant la lecture immersive sans jamais la faire devenir barbante. Enfin... tant qu'il est question du décor.
Car dès le début, un des personnages pose problème : Maud, dont le point de vue sera hélas le plus présent tout au long du roman. Maud pue littéralement le « perso féminin écrit par un homme ». Pourtant, une majorité d'écrivains font ça très bien. Et de façon totalement transparente . Mais là, rien ne colle. Sa façon de réfléchir, forcée, pas naturelle ; des introspections capillotractées à outrance (surtout pour une jeune fille de 21 ans) et sans aucun impact ; ajoutez à ça le fait que la demoiselle ne sache absolument pas ce qu'elle veut et passe son temps à faire la girouette, et enfin que l'auteur en profite pour faire passer un message bien nauséabond sur la place de la femme (
à savoir qu'aussi émancipée soit-elle, son désir secret sera toujours de finir femme au foyer à s'occuper des gosses, après avoir fait rabâcher à son héroïne pendant environ 200 pages que cette vie était tout ce qu'elle ne voulait pas. Mais, que voulez-vous, ça, c'était avant qu'elle ne laisse l'un de ses compagnons de route lui passer dessus, hein. Comme si perdre sa virginité l'avait devenir « une vraie fâaaaame ») et vous obtenez une pure tête à claques qui ruine réellement le roman. Si seulement
Jean-Christophe Rufin l'avait cantonnée au rôle de gamine paumée qu'elle est aussi, ça aurait pu très bien passer. Mais là, honnêtement, je n'ai jamais vu un personnage aussi mal écrit. Et pourtant, j'en ai bouffé, des livres...
Enfin, heureusement, il y a les autres, qui, eux, ne souffrent pas de tous ces défauts. Oui, ils cogitent un peu aussi, mais ont le mérite de toujours rester crédibles. Chacun possède son propre bagage, ses propres objectifs, certains sont faciles à cerner, d'autres un peu moins. Il y a tout de même un constat : impossible de s'attacher à quiconque. Comme si l'ambiance tendue régnant au sein du convoi contaminait également le lecteur. de ce côté-là, c'est donc une réussite.
Malheureusement, le caractère inconstant (et inconsistant) de Maud n'est pas le seul truc qui cloche dans ce livre. Si, mis à part elle, tout était parfaitement cohérent dans la première moitié, dès le début de la seconde, les choses partent sacrément en eau de boudin. Sur un coup de tête, deux des personnages décident de se séparer des autres sur un prétexte franchement vaseux, et c'est parti pour la course-poursuite dans la montagne. Bon, pourquoi pas. Considérons qu'ils sont tous à bout de nerfs et plus tout à fait en état de raisonner normalement. Mais ensuite, les plot twists et incohérences s'enchaînent à une vitesse alarmante. (
Tout d'abord, le fait que Marc, qui pense visiblement à tout, ait récupéré gonfleur, roue de secours, trousse de soin, bref, tout... mais a laissé les explosifs de chantier à Alex. Ensuite, le fait que Vauthier ait su depuis un moment ce qui se tramait réellement mais ait choisi de n'en révéler que la moitié et ce, sans AUCUNE justification ni utilité pour l'histoire. Enfin, la blessure de Maud : un jour, la voilà à peine capable de tenir debout et bouger les bras, puis, d'un seul coup, on la retrouve à jouer avec deux gamines, tirer au fusil et retourner au volant du camion comme si de rien n'était, alors que la dernière fois que ses douleurs ont été mentionnées, elles « s'aggravaient ».).
Cerise sur le gâteau, la conclusion du roman, qui laisse un énorme sentiment de « tout ça pour ça » et, qu'en plus, on sentait venir depuis des kilomètres (littéralement. L'auteur avait laissé des indices beaucoup trop évidents dans son texte). D'un autre côté, l'ironie de la situation est assez appréciable vu le ton du récit, de l'autre, la fin est tout de même rapide et un épilogue sur le devenir des différents protagonistes n'aurait pas été de refus.
Passons enfin sur la postface où
Jean-Christophe Rufin explique plus ou moins la genèse de son livre... mais en profite, une fois de plus, pour placer un discours très orienté, cette fois au sujet du rôle à jouer par les humanitaires. En soi, vouloir amener le lecteur à se poser des questions, c'est bien ; mais lui souffler la réponse en partageant ses propres opinions, ça l'est nettement moins... Un point d'autant plus dommage que le roman en lui-même abordait le sujet sans tomber dans le forcing.
En soi,
Check-point n'est donc pas désagréable à lire, d'autant que le voyage, lui, est bel et bien une réussite. Mais pour tout le reste, le livre n'en demeure pas moins un gros bof.