« Je tenais mon sujet. Un groupe de jeunes gens assassinent un père de famille pour des raisons idéologiques. J'allais écrire un truc facile et spectaculaire, rien n'était plus éloigné de moi que cette histoire- là. Je le croyais vraiment. Je ne savais pas encore que les années Action directe étaient faites de tout ce qui me constitue: le silence, le secret et l'écho de la violence ».
C'est en écoutant Affaires sensibles sur France Inter que
Monica Sabolo a l'idée d'écrire sur Action directe, un groupuscule terroriste des années 80. Croyant s'engager dans un récit qui l'éloigne de toute implication personnelle, elle va vite comprendre qu'il s'agit d'un leurre. Deux récits en effet s'entrelacent, celui très documenté, étayé par des entretiens avec AD, et le récit sous-jacent, celui autour duquel tourne depuis des années l'autrice sans l'aborder de front, de peur de s'y brûler, celui de son enfance à Genève. « le secret, le silence et l'écho de la violence » sont le fil conducteur de ces deux récits. Une force souterraine est à l'oeuvre dans ce processus d'écriture, la nécessité absolue de dire, pour ne pas mourir, car tout dans cette histoire ramène l'écrivaine à son passé. Pour AD, c'est
la vie clandestine, pour
Monica Sabolo aussi d'une certaine manière car c'est un secret qui la lie à Yves S. Dans une habile organisation du récit, la narratrice met à jour des pans restés secrets de sa vie: la violence exercée par AD qui bascule de l'activisme vers les assassinats, ceux de Georges Besse, le PDG de Renault, et de René Audran, ingénieur dans l'armement et directeur des affaires internationales au ministère de la défense, cette violence la ramène à celle subie dans l'enfance.Le secret de
la vie clandestine d'AD, c'est aussi le secret qu'elle s'impose, qu'on lui impose, c'est l'impossibilité de parler. le roman interroge encore la question de la culpabilité et du pardon. Peut-on pardonner aux assassins d'AD? Monica peut-elle pardonner à Yves S? La vie, ce n'est jamais ni tout blanc ni tout noir,
Nathalie Ménigon ,Jean Marc Rouillant,
Régis Schleicher, ces survivants d'AD, comment en sont-ils arrivés à ce degré de violence?
Monica Sabolo interroge les zones grises, montre la complexité de la vie. Ce qu'elle recherche, ce n'est pas tant la véracité des faits que la vérité des choses et des êtres.
Si
Monica Sabolo, de son propre aveu, est devenue romancière, c'est pour ne pas » se coltiner le réel ». Mais lorsque le réel vous rattrape, quel meilleur remède que la littérature et la fiction pour trouver l'apaisement et une forme de sérénité sur lesquels s'achève ce beau roman- le plus personnel- en lice pour le Goncourt.
» Qui rembourse les dettes que la vie a contractées envers nous? Qui se charge de nous rendre ce qu'elle nous doit, ce que l'on a payé, et paye encore? avec le temps se dessine la perspective que personne ne s'en acquitte jamais. Nul ne parle de ces choses là. Ni ma mère ni mon frère ne l'ont jamais évoquée. Chacun essaie de l'apprivoiser dans son coin. Mais désormais j'ai l'impression de me rembourser sur leur dos. Alors qu'ils me croient plongée dans le récit d'un groupe terroriste des années 80, je confectionne un engin sophistiqué, composé de papier, de nitroglycérine et d'une mèche à combustion lente, qui finira par tout faire sauter. »