Ainsi que l'indique le sous-titre de l'ouvrage, celui-ci traite de la stupéfiante action de ces jeunes femmes engagées dans l'aviation soviétique au cours de la guerre qui fit rage de 1941 à 1945 entre l'Allemagne et l'URSS.
Phénomène unique qui vit la constitution de trois régiments constitués de femmes, formés après les désastres de l'année 1941 alors que l'URSS semblait au bord de l'effondrement.
Ce corps de combat fut construit sous le pilotage de Marina Raskova. Cette femme accomplit l'exploit en 1938 en réalisant un vol sans escale de 5 900 km entre Moscou et Komsomolsk sur l'Amour (du nom du fleuve, pas de performance sentimentale...). en Sibérie orientale. Elle acheva en fait son périple ...à pied en survivant dix jours dans des conditions extrêmes.
Décorée et amie de Staline (accessoirement devenue aussi membre de la police politique NKVD), ce dernier lui demanda de former des unités d'aviatrices.
Cette mise en place n'avait rien d'incongru dans le contexte de l'URSS qui pratiquait l'égalité d'exercice des activités aux femmes pour des métiers réputés réservés aux hommes.
C'est ainsi que les femmes contribuèrent à l'emblématique construction du métro de Moscou, évidemment dans les conditions de travail de la société soviétique, qui relevaient d'avantage des travaux forcés que de l'épanouissement socialiste.
Quoiqu'il en soit, la pratique du vol par les femmes dans des clubs, subjuguées par la notoriété de Marina Raskova, était répandue et nombre de ces femmes se pressèrent pour lui offrir leurs services.
L'affectation la plus convoitée était l'unité de chasseurs. C'est ainsi que Lilia Litvak qui allait devenir l'icône non seulement de la propagande mais aussi de ses pairs, n'hésita pas à gonfler ses états de service pour être incorporée au 586ème régiment de chasseurs.
Marina Raskova fut la commandante du 587ème régiment de bombardiers. Un troisième régiment, le 588ème, fut celui des « sorcières de la nuit ».
Cette désignation correspond à une réalité historique qui non seulement force le respect et bien plus. Ce sont les soldats allemands qui baptisèrent ainsi ces aviatrices qui ne partaient en mission que la nuit. Leur avion était un « Polikarpov Po-2 », en réalité un biplan destiné à l'apprentissage des pilotes, construit en bois et en papier. Ce modèle n'était pas conçu pour les missions opérationnelles de bombardement et encore moins de chasse. L'urgence de la situation sur le front et la pénurie d'appareils étaient telles que l'utilisation de ces appareils devint indispensable.
Les performances, les matériaux de cet appareil ne permettaient pas d'affronter la chasse et la DCA ennemie et ce d'autant plus que le « po2 » n'avait pas d'armes ! Absence d'instrumentation de vol, de parachutes à cause de leur poids…un vrai cercueil volant !.
Mais l'incroyable est que des milliers de missions furent accomplies avec un héroïsme indicible. La nuit, les aviatrices à proximité de leur objectif, coupait le moteur et en planant à très basse altitude larguait des bombes. C'est ainsi que les soldats allemands les baptisèrent « sorcières de la nuit ». Ils entendaient le bruit si caractéristique du moteur du « po2 », un son de machine à coudre, puis le silence et les explosions. Sauf exception, ces attaques ne provoquaient semble- t-il que des dégâts limités mais là n'était pas l'essentiel. Ces attaques eurent un effet délétère et traumatisant sur la psychologie des Allemands avec ces privations de sommeil, cette ambiance sonore si angoissante. Nul doute que Sun Tzu, et son «Art de la guerre » aurait validé cette stratégie.
C'était aussi par la force des choses en quelque sorte un juste retour ; les Allemands depuis le bombardement de Guernica en 1937 avait édifié le bombardement comme arme de terreur. L'avion emblématique était le « stuka » et sa sirène hurlante qui accompagnait le vol en piqué précédent le largage des bombes. Là c'était le silence dans la nuit qui terrorisait, Sun Tzu …
En dépit de cet héroïsme exceptionnel de ces « sorcières », ce sont surtout les pilotes de chasse qui furent littéralement iconisées de leur vivant, tout particulièrement Lily Litvak.
Lily, le Lys Blanc, la Rose de Stalingrad, une rose sur le nez de son yak, pour chaque ennemi abattu. le 13 septembre 1942, deux jours après son arrivée, elle entra d'emblée dans L Histoire en abattant un bombardier et surtout un chasseur piloté par un as de la Luftwaffe.
En cet été 1942 et avec ce du début de la bataille de Stalingrad, l'armée allemande s'enfonçait toujours plus au coeur de l'URSS sans que l'armée soviétique semble être en mesure de s'y opposer. le 23 août 1942 l'aviation allemande opéra un raid aérien d'épouvante sur Stalingrad qui fit 40 000 morts.
Dans ce contexte où l'aviation soviétique était dominée par la Luftwaffe encore triomphante, ce double fait d'arme eut un grand retentissement.
Mais de nombreuses « sorcières », furent aussi citées de manière plus conventionnelle Natalia Mekline, qui illustre la couverture du livre, reçu le titre de Héros de l'Union soviétique. Natalia Mekline survécu ce qui ne fut pas le cas de beaucoup, à commencer par Maria Raskova, légende vivante disparue à cause ...du brouillard lors d'un vol de transfert en 1943. Et puis Lily Litvak et Tonia Lebedeva, une autre icône, toutes les deux tombèrent lors de cet été 1943 en combat aérien dans le ciel de cet affrontement dantesque de Koursk. Pour l'anecdote, l'avion et les restes de Tonia Lebedeva ne furent retrouvés et identifiés au cours des années 80 alors que des recherches étaient en cours pour un pilote de la Normandie Niemen, mort aussi en champ d'honneur dans ce ciel de 1943. Les vols de ces unités se croisèrent dans ces destins tragiques ; la Normandie Niemen, une autre épopée avec ces Français qui s'engagèrent pour combattre pour l'URSS, avant Stalingrad, alors que personne ou presque n'aurait risqué un kopeck sur les chances de survie de l'Union Soviétique.
Vingt trois femmes pilotes de ce régiment furent décorées de l'Étoile d'or des Héros de l'Union soviétique. Cette unité fut ainsi la plus décorée des forces aériennes soviétiques.
Mais le régime stalinien savait aussi ressortir le knout avec la sauvagerie et l'arbitraire les plus absolu. Les pilotes qui avaient été abattu(e)s en vol et avaient pu survivre et rejoindre les lignes soviétiques étaient par défaut considérées comme ayant pactisé avec l'ennemi, maltraitées et emprisonnées.
Mais parallèlement à cette sauvagerie des anecdotes abondent qui attestent que les pilotes bénéficièrent d'une impunité après avoir commis des actes d'insubordination invraisemblables dans une armée d'un régime aussi totalitaire. Il est ainsi fait état de pilote qui prend l'initiative de mission quasi clandestine. La championne dans cet exercice fut de son vivant sans doute Litvak.
Bien que le livre ne soit pas chapitré selon un ordre très rigoureux, il suit à grands coups d'ailes le cours du conflit. En 1945, les soviétiques en envahissant l'Allemagne, de victimes devinrent bourreaux.
L'auteur n'évacue pas complètement cette page si sombre en indiquant que les aviatrices n'ont pas pris directement part aux exactions directes sur les populations civiles, évidemment en particulier sur les viols de ces millions de femmes ; il ajoute cependant qu'elles ne désapprouvaient pas le principe de la vengeance tant les douleurs étaient si vives.
Naturellement près de quatre années de souffrances indicibles infligées, de massacres de masse à une échelle jamais vue ne pouvaient que générer une haine miroir de cette barbarie. Mais ce qui attisa encore davantage cette haine fut d'une part le choc de la découverte des terres, des villages, des villes allemandes : des lieux confortables, des maisons richement équipées qui regorgeaient de biens. Pourquoi ces riches Allemands avaient eu le besoin d' attaquer l'URSS dont l'immense majorité de la population était si pauvre ?
D'autre part, une seconde découverte ne put que renforcer cette haine, le choc de l'épouvante du système concentrationnaire qui ajoutait encore à l'horreur, Treblinka, Maïdanek... et bien sur Auschwitz.
Telle Nemesis qui s'abat pour sanctionner l'hybris, la démesure, le feu ne pouvait que ravager l'Allemagne.
A l'heure où le public se passionne pour des tragédies de fiction, où la fin de Daenerys Targaryen émeut le chaland il est paradoxal que ces vraies femmes d'exception ne suscitent pas l'intérêt.
Le lecteur curieux pourra également se plonger dans l'excellent livre de
Liouba Vinogradova «
Les combattantes » qui privilégie plutôt l'aspect psychologique que le phasage des événements strictement militaires.
Enfin, pour une introduction plus divertissante on peut mentionner la belle série en BD, « Le grand duc » de Yann, romanesque mais historiquement parfaitement construite.