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EAN : 9782742734108
470 pages
Actes Sud (16/08/2001)
4/5   4 notes
Résumé :

Né en 1954 à Verviers, une ville industrielle de Belgique, Luc Sante fut emmené aux Etats-Unis par ses parents quand il était encore très jeune. Il grandit déchiré : moitié dans l’Ancien Monde, moitié dans le Nouveau, et plein de rancœur envers l’un et l’autre.

A la faveur d’un retour au pays natal, à l’âge de trente-cinq ans, Luc Sante retrouve ses racines et devient détective, en quête d’une mémoire. Explorant et analysant le temps, les ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Pour raconter une région, une ville, une famille, il faut y revenir après l'avoir laissée, voir des gratte-ciel et des espaces infinis, des gens qui ont l'accent tonique, l'ouest et le sud autre part, puis y retourner pour la contempler d'un oeil lavé, comme Luc Sante grandi est revenu en Belgique, à Verviers, le coeur serein, la plume à la main pour écrire dans un livre ce pays qui l'a déterminé.

Il y est né et ses parents ont cherché une issue aux États-Unis suite à la perte de l'emploi rémunérateur de son père dans une fonderie verviétoise. le jeune homme s'est attardé là-bas, d'abord en adolescent un peu hostile à son ascendance, a fini par y faire son nid, en a adopté la langue, porté par un talent d'écrivain. Quand, remontant Crapaurue vers la place Verte ou sa rue Robert-Centner, de vieilles photos et cartes postales entre les doigts, il raconte ses ancêtres wallons, le pays de Liège et l'Ardenne, la vie quotidienne au temps de ses aïeux, les guerres avec les foyers familiaux déplacés, les conditions de travail dans les usines textiles, quand il marche ainsi sur ses traces, il manifeste le regard détaché de l'étranger et en même temps de celui qui reconnaît, juste assez troublé pour que l'on perçoive une vibration émue dans les mots. Il manifeste une heureuse érudition (histoire, généalogie, langue) appuyée sur une recherche documentaire abondante, bases essentielles d'une entreprise littéraire aussi réussie.

Revenir quelque part, c'est savoir dire ce qui le vaut, comme ce que les ressortissants ne voient plus. C'est dire à la fois que Guillaume Lekeu serait sans doute l'égal de César Franck s'il n'avait eu la typhoïde à vingt-quatre ans, mais aussi indiquer toutes ces modestes maisons grises à deux étages partout. Ce qu'il relate et décrit, des souverains belges par exemple, nous le savions bien, à peu de chose près, mais ce qu'il en dit est parfois si évident que nous n'y prêtions plus attention. Il trouve des formules inattendues qui font parfois sourire. En 1993, il voit par hasard à Amsterdam Baudouin et Fabiola : lui avait l'air d'un ascète cossu, d'un abbé en civil peut-être et Fabiola semblait une poupée en sucre vieillissante.

Je me sens proche de ce récit car, presque né avec l'auteur, à trente mois et trente kilomètres près, malgré tout ce qui me sépare de cet homme, de son parcours, de ses penchants, il existe un fil commun, les mêmes photos de mariage colorisées des parents, les salles de classe aux poêles ventrus avec des rangées de doubles bancs à encrier, le twist qu'on essayait à douze ans, les gros Marabout – qu'on lisait –ornant l'étagère du salon, le cendrier en cristal avec broyeur en forme de goutte d'eau, le virage de L'Eau Rouge à Francorchamps,... bref les empreintes éparses d'un univers. Retourner aux sources de Luc Sante, ce fut un peu retrouver une partie de mes propres déterminations.

Le livre débute par un rêve abracadabrant dont Sante explore les origines des composantes. de fil en aiguille, il visite tout le territoire de son être, des ancêtres aux objets les plus anodins, des lieux reculés d'Ardenne aux plus anciens métiers, en quête des sources qui définissent sa personnalité. Car les gènes et le sang ne sont pas tout : "Des observations désinvoltes, des objets aperçus en passant, des plaisanteries et des lieux communs, des étalages de magasins, un climat, une lumière vacillante et la matière des murs, nous absorbons tout cela, qui devient élément de notre fibre tout autant que les effets de l'éducation, de la socialisation, de l'intimité et de l'instruction. Tout être humain est un site archéologique."
Je me demande comment le lecteur étranger, le non belge, le non wallon accueille ce texte : je crois préférable d'avoir un lien présent, passé ou à nouer avec la région de Verviers, de Liège ou de la Belgique francophone pour éprouver l'ardeur suffisante à la lecture de ces quatre-cent-septante pages, traduites de l'américain par Christine le Boeuf (attitrée de Paul Auster).

Faut-il, comme dans la présentation de Actes Sud, citer Brecht "La forme, c'est le fond qui remonte à la surface" ? En tout cas l'écriture est agréable, élaborée. La langue du texte original, dont certains auteurs américains abusent parfois d'une variante oralisée, trop lapidaire, ne se sent pas du tout. (Même si l'extrait cité il y a quelques jours paraît très «anglophone».)

Anecdote savoureuse qui, s'il n'y avait prescription, n'attirerait pas seulement les foudres de Gaia, la légende officielle de Verviers, c'est l'histoire du "tchèt volant", le chat volant. Un savant de la ville souhaitait vérifier la proposition selon laquelle on pouvait faire voler un chat. Purgé par un laxatif, l'animal fut lancé du haut du clocher de Saint-Remacle, un ballon d'hélium à chaque patte. Il tournoya un peu dans les airs pour atterrir sur ses pattes et s'enfuir. Cet épisode devint le mythe fondateur d'une tradition d'autodérision qui imprègne la littérature wallonne régionale.

L'écrivain brosse un tableau exhaustif de la langue wallonne qu'il lit très bien et affectionne beaucoup sans l'avoir pratiquée activement – c'est le cas de beaucoup de sexagénaires du pays. "Je n'utilise ce que j'en possède qu'au-dedans de moi. C'est un triste paradoxe, une langue silencieuse." En évoquant l'engouement pour les langues universelles au début du vingtième siècle, Espéranto, Volapük et autre Solresol, il cite Jean Wisimus, pilier du wallon verviétois : "Une langue universelle peut être comparée à une boîte de conserve : c'est un produit, mais il n'a ni saveur ni arôme."

Finalement, il y a dans tout cela, ce livre, ces souvenances comme des reliques, quelque chose de poignant, ainsi que le confie Luc Sante : "Entendre deux vieillards se saluer – "Bôdjou, Djôsef", Bôdjou, Françwès"[**] – peut m'émouvoir presque aux larmes. C'est la manifestation tangible la plus aiguë de ce que j'ai perdu, même si c'est désormais perdu pour tout le monde."

Lien : http://christianwery.blogspo..
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lu il y a longtemps, je le relirai bientôt pour m'imprégner à nouveau de l'atmosphère de ces lieux qui firent parfois mon enfance, mes errances, l'histoire de mes aïeux
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