Ça sent le sapin.
Dimanche 26 décembre.
Comme tous les ans, le Goncourt était au pied de l'arbre de Noël, dans l'immuable papier cadeau bleu du libraire. Il garde un très bon souvenir du
Pierre Lemaître. du Dubois, un peu moins. L'Anomalie ? C'était une bonne surprise. Là, il ne connaît ni l'auteur, ni l'éditeur. Mais la couverture est jolie et le titre lui plaît.
La maison est calme, il est temps d'ouvrir ce livre. Les premières pages, déjà, le laissent perplexe. Il va lui falloir un dictionnaire. Il emporte avec lui le Larousse 1985, depuis le temps qu'il prend la poussière sur le piano. "Pythonisse, pythonisse... ah, ce ne sera pas facile de le placer lundi prochain devant la machine à café !" Il rigole un peu. Il ne sait pas trop qui est le narrateur. "Mais c'est qui qui parle ?" Il rigole un peu moins, ça en devient vexant ce roman qui se prend pour de la Littérature. Qui parle Littérature. Mais qui n'est pas foutu de donner le nom du personnage qui cause.
"Gamahuchage ? Ah, bah celui-là, sûr qu'il va faire son effet à la pause café ! Tu vois, Thierry, c'est quand tu mets ta lan..."
Il se demande s'il va continuer. La lecture, c'est fait pour se faire plaisir, il n'est pas venu là pour souffrir. Mais bon, c'est un cadeau et puis, il n'a pas grand chose d'autre à lire en ce moment (c'est un personnage lambda, qui n'a pas une PAL de bookstagrammeur et qui distingue donc encore la couleur de sa table de salon, heureux homme).
Il n'abandonne pas, il trouve de jolies phrases, se dit qu'il pourrait les noter. Ne le fait pas pour autant. Il somnole un peu, pourtant la bûche est déjà loin. Il s'endort carrément et ne rêve pas du labyrinthe de l'inhumain. Jusqu'à quelques images du Sénégal et d'un crocodile géant. Il se réveille en sursaut. Reprend. Ne sait toujours pas qui est le narrateur. Les mots sont plus simples mais la construction toujours aussi complexe. Il ne trouve pas très excitant le trouple que Thérèse, Charles et Elimane forment. Ne sait pas trop si ce qu'il lit est une enquête."Mais enfin, c'est quoi cette nécrologie ?" Et en boucle : "Quiiiii paaarleeee ?" C'est le moment d'attaquer les After Eight. Joyeux Noël Félix !
J'ai une pensée émue pour tous ces lecteurs occasionnels qui vont trouver ce roman sous le sapin. Un livre exigeant qui ne laisse aucune prise. J'ai pourtant des lettres mais j'ai eu ce sentiment constant d'être mise à l'écart du texte. Qu'il n'était pas pour n'importe qui. Qu'il fallait des références culturelles pour déceler la subtilité. On peut parler de connivence avec le lecteur qui sait, qui comprend. Je n'y vois qu'une mise à distance.
Il m'a fallu courage et abnégation (Sandra et Anthony sous leur véritable identité) pour persévérer. Certains diront mais la dernière phrase ! La dernière phrase ! Alors oui, je l'ai lu ce retournement de situation. Pour autant, il n'a pas réussi à me convaincre. La pirouette littéraire est maîtrisée, mais elle divise plus qu'elle ne rassemble. Alors évidemment, il n'y a que les grands livres pour provoquer le débat (et du débat, il y en a eu poke Stéphanie et Céline) mais n'est-ce pas terriblement vain ? La littérature doit-elle à ce point se nourrir d'elle-même ? Et à ce point se flatter ? En tout cas, la prochaine fois, c'est sans moi.