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4,06

sur 284 notes
Un grand merci à Babelio et aux éditions French Pulp...

Elle contemple, à travers les barreaux de la fenêtre, l'aurore éclore. Après la pluie qui n'a cessé de toute la nuit, la cour est encore noire. le silence règne encore dans le Centre. D'ici peu de temps, les premiers résidents ne tarderont pas à se lever, les chariots à couiner dans les couloirs...
Juillet 2006. Cela aurait dû bien se passer. Beau Gosse avait tout prévu. Malheureusement, le cambriolage a mal tourné. Un petit vieux et son chien dans la rue, ce dernier ameutant tout le quartier avec ses aboiements. Des fenêtres, ici et là, qui s'éclairent. Beau Gosse qui tente de faire taire le cabot à coups de pied, La Fouine, apeurée, qui s'en prend au vieillard. Deux coups de feu tirés depuis l'un des immeubles en face. Beau Gosse et La Fouine tués par une balle de 22 long rifle. L'autre s'est pris 15 ans ferme. Une double peine pour celle qui se sent enfermée dans son corps...

Enfermé.e, titre très à propos, narre l'histoire de Virginie, née garçon et devenue fille. de sa naissance dans une famille mal aimante à l'enfer dans les prisons en passant par une enfance compliquée et une adolescence révélatrice. À partir de nombreuses références, d'articles et de témoignages, Jacques Saussey tisse un scénario ô combien passionnant mais encore tabou de nos jours. La preuve : la transidentité n'est plus considérée, en France, comme une affection psychiatrique seulement à partir de 2010. de même, l'OMS affirmera seulement le 18 juin 2018 que le transsexualisme n'est plus considéré comme une maladie mentale. le texte sera présenté en mai 2019 à l'Assemblée mondiale de la Santé et entrera en vigueur le 1er janvier 2022 ! Traitant de ce sujet mais aussi des conditions des transgenres en prison, des mentalités, des regards, l'auteur dépeint avec force le parcours très personnel de Virginie. Alternant passé et présent, il dévoile peu à peu les pièces du puzzle. Tout en nous plongeant dans une ambiance noire et violente, il nous offre un roman tout à la fois brut, bouleversant et captivant, habité par une Virginie inoubliable, le seul personnage prénommé.
Dense, original et remarquable...
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Je savais que ce livre allait me plaire. Je le lorgne depuis longtemps.

Je lis enfin Jacques Saussey et quelle lecture !

Virginie est née dans le mauvais corps. C'est une femme enfermée à l'intérieur d'un corps masculin.

Après une peine de prison, elle se retrouve embauchée au Centre où elle semble avoir un but bien précis mais mystérieux.

Le roman s'articule entre la vie de Virginie dans ce Centre où des personnes très âgées viennent passer les derniers instants de leur vie et le récit de l'existence de Virginie depuis l'enfance.

Virginie est un des rares personnages du livre qui porte un prénom. Tous les êtres, souvent abjects, qui gravitent autour d'elles n'ont pas d'identité. le Pére. La Mère. le Curé. le Moche. le Musicien. L'auteur explique ce choix à la fin du livre. La société refusant à Virginie une identité, il décide d'enlever cette identité aux protagonistes du livre. Retour de boomerang.

On a entre les mains un roman très dur, parfois trop. Beaucoup de noirceur. de désespoir.

J'ai pensé à Karine Giebel ou à Claire Favan avec ce destin de femme qui prend aux tripes et sans concession.

Décidément le roman noir français est plein de pépites à découvrir.
Un sujet rare. Qui, au-delà d'un récit mené tambour battant qu'on ne peut lâcher, fait réfléchir à la place donnée dans notre société à la différence. A une époque où le droit à l'indifférence semble de plus en plus menacer, j'ai trouvé salutaire d'évoquer dans un roman de genre le transsexualisme.

J'ai donc encore une fois pu découvrir un auteur et ce roman étant le onzième de Jacques Saussey, je vais pouvoir prendre quelques cours de rattrapage.
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Quand ça veut pas, ça veut pas.
Certains sont assujettis à la double peine.
Virginie, elle, connaîtra un double enfermement, celui du mitard couplé à celui du corps.
Pas née avec les bons chromosomes, elle n'aura qu'une seule et unique obsession, vouloir s'affirmer malgré l'effroi ouvertement affiché du Père et de la Mère.
Mais la roue tourne, dit-on. Lentement. Roue de l'infortune évoluant péniblement au rythme des pires brimades et de biens lourds tourments.
Puis vient la délivrance. Celle que l'on espérait plus. Celle qui allait lui permettre une certaine forme de résilience acquittée au prix fort.

♪Saussey, sey, sey, sey, sey le même♫.
Ben non, justement.
Il fait ici preuve d'un regard aiguisé et touchant sur un thème rarement usité, la transidentité.
Une problématique délicate traitée avec énormément d'acuité mais également de douleur psychique et physique.
Un agrégat de supplice et de désespoir suscité par un environnement aussi bestial que bas de plafond.

Le récit est habile, accrocheur, sans toutefois préserver le lecteur à la digestion un brin délicate d'user à l'envi de son sac à vomi.
En effet, Saussey ne nous épargne rien du quotidien dantesque de Virginie. Un karma placé sous le signe de la matriochka et c'est un cercle (sans mauvais jeu de mot) d'affliction infini auquel l'auteur nous convie.

J'ai adoré la trame, un peu moins le brouillard épais qu'il a fallu percé à grands coups de patience et de persévérance .
Nonobstant cette légère amertume finale, Enfermé.e se dévore littéralement tout en questionnant sur le sujet ce qui est plutôt notable dans ce genre littéraire qu'est le polar.

Enfermé.e, libérateur des pulsions les plus malsaines, légitime le talent pressenti de conteur de Jacques Saussey qui s'affirme comme une valeur incontournable du roman noir.
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« Si je ne peux pas être qui je suis, je préfère être morte plutôt qu'être emprisonnée dans un corps qui n'est pas le mien. »

Emprisonnée, enfermée, Virginie l'est depuis l'enfance : dans son corps de garçon, alors qu'elle se sent fille. Et quand vos parents prennent pour une lubie un tel décalage, qu'ils s'attendent à ce que 'ça passe', quitte à sévir violemment pour vous remettre dans le droit chemin (éventuellement avec l'aide d'un psy), c'est douloureux pour le corps et surtout pour l'âme. En-dehors de la maison, c'est encore pire avec le harcèlement scolaire, entre 'simples' moqueries et passages à tabac : « Ce besoin de torturer ceux qui ne vous ressemblent pas, ceux dont les moyens de défense sont réduits à l'espoir que les choses changent un jour. »

Virginie connaît ensuite un double enfermement : la prison. Une prison pour hommes, puisqu'officiellement, elle est de sexe masculin.
Et si le milieu carcéral est particulièrement impitoyable et violent, il l'est plus encore pour les 'minorités visibles', notamment les homosexuels et transgenres, victimes des pires sévices de la part de co-détenus et de matons. Un enfer dont on s'échappe un peu (avec la drogue), ou beaucoup - en se suicidant.

Ce roman est magistral ! ♥
La lecture est douloureuse, on passe de la colère à la nausée, on est souvent triste à hurler, poings serrés, sourcils froncés, certains passages sont insoutenables. J'ai pensé à 'Meurtres pour rédemption' (Karine Giebel) pour la violence carcérale, à 'En finir avec Eddy Bellegueule' (Edouard Louis) pour le calvaire vécu par ceux dont l'identité sexuelle 'dérange'.
Mais surtout, le talent de l'auteur me rappelle celui de Thierry Jonquet, pour la construction de l'intrigue, la richesse des personnages (jamais nommés, habilement désignés par des pseudos ou des fonctions) et la pertinence des propos.
A travers l'histoire cruelle de Virginie, Jacques Saussey nous bouscule et fait réfléchir à la transidentité, à la sexualité en général, au regard de l'autre, aux relations parents-enfants, à la prison et aux Ehpad...

L'ouvrage commence comme un roman noir, il le reste, mais se double d'une intrigue policière troublante en huis clos qui évoque une ambiance Cluedo et Agatha Christie…

Passionnant et bouleversant ! Les explications de l'auteur en fin d'ouvrage rendent l'histoire de Virginie encore plus poignante, alors qu'on pense avoir atteint des sommets et être passé par toutes sortes d'émotions.

Bravo et merci à l'auteur pour son intelligence et sa sensibilité. ♥
________

(…)
Mais mon vrai métier c'est la nuit
Je l'exerce en travesti, je suis artiste
J'ai un numéro très spécial
Qui finit en nu intégral
Après strip-tease
Et dans la salle je vois que
Les mâles n'en croient pas leurs yeux.
(…)
On rencontre des attardés
Qui pour épater leurs tablées
Marchent et ondulent
Singeant ce qu'ils croient être nous
Et se couvrent, les pauvres fous
De ridicule
Ça gesticule et parle fort
Ça joue les divas, les ténors
De la bêtise.
Moi les lazzi, les quolibets
Me laissent froid puisque c'est vrai...
(…)
♪♫ https://www.youtube.com/watch?v=-4-zC8WtwBw
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ATTENTION, pour lecteur averti...
Enfermé.e, c'est l'histoire d'un... euh ! d'une..., enfin, c'est l'histoire de quelqu'un.
Virginie assume sa différence, elle assume l'inconfort de sa situation.
Virginie assume le regard des autres.
Virginie subit. Les vexations, les coups, les viols.
Virginie veut être libre.
Mais un jour, dans cette vie déjà bien chaotique, tout bascule.
Virginie, déjà enfermée dans son corps se retrouve derrière les barreaux.
D'une prison à l'autre, Virginie va connaître la violence.
Dans des scènes parfois insupportables, Jacques Saussey va nous entrainer dans l'enfer de la vie de son personnage.
Le lecteur va l'accompagner de son plus jeune âge jusqu'à demain, en 2019.
Vous allez la suivre dans son parcours de combattant, pour se faire admettre, par les siens qui l'ont renié, par une société qui la condamne ou la rejette.
Derrière ce déchaînement de haine et de violence, il y a un message.
Saussey vous interpelle.
Il vous pointe du doigt.
Alors, serez-vous bourreau ?
Aurez-vous de la compassion ?
Vous révolterez-vous ?
Combattrez-vous pour la cause ?
En tout cas, je pense que vous ne resterez pas indifférent.
Un roman qui nous parle de notre monde.
D'êtres humains que nous croisons, avec mépris ou interrogation.
Des personnes que notre société a trop longtemps considérées comme des malades.
Il en a fallu des combats et des injustices pour arriver à les accepter comme nôtres.
Vous allez avoir le ventre noué, n'en doutez pas.
Comme moi, vous aurez envie d'abandonner cette lecture.
Mais au final, tout au bout, quand vous aurez tourné la dernière page, que vous aurez consulté les notes de l'auteur, alors viendra le temps de l'analyse et des questions.. Et si ce livre changeait votre regard ?
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Avec une plume fraiche et franche et au propos sombre, Jacques Saussey dépeint dans Enfermé.e la genèse d'un petit garçon qui ne se sent pas bien dans son corps et décide d'être fille pour devenir Virginie. Autrement dit, la transidentité.
Ses méfaits de jeunesse liés au désamour que lui voue notamment son père, l'amèneront à des errances, des rencontres spécifiques pour au final la conduire dans le monde carcéral où sa Loi, ses codes et sa violence sont particulièrement décrits avec un réalisme saisissant et glaçant.
Parfois dur à lire car on se sent spectateur impuissant et mal à l'aise face aux scènes rapportées, glauques, notamment en ce qui concerne celles ayant trait aux relations non consenties en milieu pénitentiaires, le livre a cependant le mérite de pointer les travers de notre société et le rejet des différences par certains de ses ouailles.
L'intrigue de fin est particulièrement inattendue dans ce Centre où Virginie retrouve pied à sa sortie de prison.

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Peu après mon affectation au service des impôts des entreprises d'Arras, je regardais brièvement trois collègues d'un autre service que je ne connaissais pas fumer leur cigarette à l'extérieur.
- Elle n'est pas un peu bizarre, elle ? demandais-je aux personnes de mon service en désignant l'une de ces femmes, aux jolies jambes mais à la mâchoire carrée, maquillée comme un pot de peinture, au visage ... perturbant.
- Ah ben oui toi tu ne connais personne ici alors forcément tu n'es pas au courant. Avant elle s'appelait Pierre.
Je regrettais un peu mon ironie, de m'être arrêté à ce physique un peu spécial. Je n'ai jamais jugé du choix de vie, de cette volonté qu'avait eu Pierre de changer de sexe.
Je lui dis bonjour, mais lorsque je la croise je ressens toujours un imperceptible malaise. Il ne s'agit pas d'intolérance mais davantage d'incompréhension.

D'autres cachent ce malaise par le bais de l'humour.
Je pense à Rosa qui se retrouve dans la peau de William Shakespeare dans le roman humoristique de David Safier : Sors de ce corps, William.
A toutes ces séries ( Code Quantum ) où le temps d'un épisode deux héros se réveillent après un étrange échange de corps, souvent masculin et féminin.
Je pense à Miriam Rivera, héroïne transgenre de l'émission de téléréalité britannique "There's something about Miriam". Mannequin de 21 ans d'origine mexicaine, elle jouait le rôle d'une sorte de Bachelor pour six hommes qui devaient la séduire en ignorant bien sûr que cette femme attirante était née homme et disposait alors encore probablement de certains attributs masculins.
L'émission a-t-elle permis d'ouvrir les yeux des téléspectateurs et d'accepter davantage la communauté souffrant de transidentité ?
Ou n'était-ce au fond qu'une farce réalisée aux dépends de tous les candidats suivie par un public prêt à s'esclaffer lors du dernier épisode quand la vérité a éclaté au grand jour ?
"Est-ce qu'on devient homosexuel quand on baise avec un travelo ?"

Et pourtant, des personnes transgenres, on en connaît tous sans même le savoir.
"Mais les trans d'aujourd'hui sont médecins, instituteurs, ouvriers, banquiers, comptables... Il y en a partout et ils sont invisibles la plupart du temps."
Jacques Saussey nous donne quelques chiffres : C'est une personne sur cinq cent qui souffre d'un problème d'identité en France, soit 134 000 personnes qui sont concernées. France qui a été le premier pays au monde à ne plus considérer ce trouble identitaire comme relevant de la psychiatrie.
Et c'était en 2010.

Dans ce roman paru il y a deux ans désormais, Jacques Saussey nous fait vivre l'enfer en prenant pour héroïne Virginie, de sa naissance en tant que garçon à ses trente-et-un ans en tant que femme.
"Je ne suis pas un travesti. Je suis une femme coincée dans le corps d'un homme."
"La nature s'est trompée."
"Elle n'est pas née du bon côté de la barrière."
Le roman alterne entre deux parties. le passé de Virginie année après année, comme de courts flashs de moments bouleversant son existence ou illustrant simplement sa souffrance quotidienne.
Et le présent de Virginie, quand elle devient aide-soignante à sa sortie de prison dans une maison de retraite appelée le Centre. Tous les employés y sont d'anciens criminels à qui le Directeur accepte de donner une chance de se réinsérer dans la société.
"Parricides, infanticides, violeurs, braqueurs, dealeurs, hommes de main, assassins divers et variés, la liste est longue."
Par courts chapitres de trois à six pages, l'auteur écrit donc presque deux romans distincts avec la même héroïne transgenre. L'un très psychologique et absolument bouleversant, l'autre davantage policier, un peu moins intéressant malgré sa galerie de personnages inquiétants et son ambiance lugubre. du moins jusqu'à ce qu'on réalise où Jacques Saussey nous emmène.

L'écrivain n'explique pas comment ce petit garçon est progressivement devenu Virginie. La seule piste éventuelle c'est le rejet qu'a manifesté son père à sa naissance. Mais y a-t-il vraiment une explication à chercher, un traumatisme à mettre à jour ?
"Votre fils sera incapable d'avoir une existence normale tant que nous n'aurons pas réussi à le remettre sur les rails de son identité masculine."
Pourquoi raisonner comme s'il s'agissait d'une maladie ? Est-il si inconcevable que l'esprit et le corps ne soient pas toujours coordonnés ? Chaque homme a une part de féminité, et inversement. Personnellement je vis très bien avec et je n'en n'ai pas honte. Mais si cette part était décuplée ? Ou davantage ? Qui aurait pu me comprendre et m'accepter ?
L'empathie qu'on ressent pour Virginie est si intense qu'elle nous noue le ventre. On essaie de comprendre ce garçon ... cette fille.
"Mais alors ... t'es quoi exactement ? Gay ? Travesti ? Transsexuel ?"
Et sans forcément y parvenir on veut la protéger, on souhaite qu'elle soit acceptée telle qu'elle est. Il s'agit bien d'un être humain à part entière et non d'une bête de cirque, d'une Chose.
Mais ça n'est pas au lecteur de décider. Et c'est les mains liées que nous assisterons à la descente aux enfers de l'héroïne, incomprise notamment par ses camarades de classe et par son père.
"Son fils ne serait ni un pédé ni un travelo, ça non ! Il allait le dresser et ça n'allait pas traîner !"
Et on leur en veut à tous ces idiots pour le déferlement de violences physiques et morales qu'ils vont faire subir à une personne déjà mal dans sa peau, pour qui le suicide pourrait être la seule échappatoire.
En même temps on vit dans un monde où, si la tolérance progresse, apprendre ne serait-ce que l'homosexualité d'un de ses enfants n'est pas toujours une pilule facile à avaler sans que l'amour parental ne soit forcément à remettre en cause.

J'ai un petit reproche quand même à formuler, ce sont les trop nombreuses scènes de sexe. Elles ne sont pas détaillées, mais elles pullulent au point de faire - vous me pardonnerez l'expression - de l'anus de Virginie un véritable garage à bites.
"Je suppose que vous n'avez jamais essayé la sodomie ?"
Liaisons consenties, liaisons tarifées et bien sûr viols à répétition en particulier en prison.
Des moments de dégradation et d'humiliation parfois nécessaires pour comprendre que les traumatismes physiques et psychologiques n'avaient désormais plus aucune limite pour Virginie qui sombrait dans un tunnel sans fin et n'était plus considérée que comme source de plaisir.
Mais d'autres aussi qui m'ont laissé plus sceptiques. Ou c'est peut-être mon esprit étriqué qui veut ça. Mais j'ai trouvé surprenant qu'une femme pas encore totalement sortie de sa chrysalide, pas encore tout à fait devenue papillon, puisse séduire autant d'hommes à sa sortie de prison.
"Ses seins allaient pousser. Ses poils allaient devenir plus discrets, plus souples. Son visage allait s'affiner."
Après il est possible que malgré cette lecture qui nous oblige à ouvrir les yeux, à partager l'existence, les souffrances et l'injustice quotidiennes d'une victime qui n'avait jamais rien demandé à personne, je me sente malgré tout encore obligé de ranger les personnes dans des cases. Mais avec bien plus de recul qu'auparavant parce qu'il s'agit forcément d'un livre qui participe à changer les regards.

Et l'un des tours de force de ce roman, c'est d'avoir enlevé à chaque protagoniste son patronyme.
Jamais vous ne connaitrez le prénom de Virginie à la naissance. Ni ceux de ses parents qui seront tout simplement "Le père" et "La mère".
Les regards sur elle en font un objet de curiosité, un travesti, une pute, un androgyne. Rien d'autre. Sûrement pas un être humain à part entière avec sa vie, ses rares joies, ses nombreux appels au secours, ses propres pensées, ses besoins en tant qu'individu.
Alors Jacques Saussey met tout le monde sur un pied d'égalité.
Vu que les regards d'autrui s'arrêtent à ce qu'ils voient en surface, tous les autres protagonistes du livre seront eux aussi réduits à leur plus simple expression : leurs fonctions, leurs surnoms.
La lingère, le curé, la fouine, le bouledogue, l'infirmière, le cinglé, l'Africain, le gâteux, le chétif ... Et bien d'autres encore.
Pour mieux nous dire qu'il ne faut pas d'arrêter à la surface.
Que limiter une personne à un trait de caractère, une fonction ou un aspect physique relève de l'irrespect.
Si vous connaissez un transsexuel et qu'il n'est que ça à vos yeux, imaginez que pour les autres vous ne soyez que "Le gros", "La vieille", "Le black", "Le gros con", "La nympho", "L'illuminé", "La dépressive".
Comment un seul mot pourrait-il décrire une personne sans la réduire à néant ?

On ne peut pas dire qu'Enfermé.e soit un petit bijou d'optimisme.
Toutes les formes d'incarcération y sont explorées : La prison bien sûr, les maisons de retraite qui sont la dernière demeure de personnes âgées bien souvent prisonnières de leur corps ou de leur esprit, attendant simplement la mort. Et la prison de personnes souffrant de transidentité, qui sont nées dans la mauvaise enveloppe charnelle.
La majorité des personnages sont donc tous d'une façon ou d'une autre en marge de la société : Criminels, vieillards solitaires, personnes en recherche d'identité, victimes de railleries.
C'est très noir, c'est violent sur le plan émotionnel, c'est sans concession.
Et pourtant ..
En choisissant Virginie pour héroïne, en nous montrant tous les obstacles qui se dressent sur son chemin pour l'empêcher de se construire comme elle le voudrait ...
"Je ne veux pas devenir une fille. Je suis une fille !"
... En nous montrant les rires, les brimades, les abus sexuels, la méchanceté et l'aveuglement de la quasi totalité de l'entourage de Virginie, à quelques douces exceptions près ...
Jacques Saussey réussit son pari on ne peut plus humain.
Il nous demande, à nous lecteurs, si nous souhaitons participer à cette ignorance, à cette incompréhension qui était aussi la mienne et dont je vous parlais en début de chronique.
Quelle que soit déjà votre ouverture d'esprit, Enfermé.e nous demande la plus grande indulgence face à ces personnes déjà suffisamment perdues, qu'il faut savoir écouter, et dont il faut respecter les choix.
Vous ne pourrez que constater que la problématique et les souffrances sont encore bien plus importantes que vous ne le soupçonniez. Que vous ne faisiez qu'effleurer la surface.

Si votre fille veut devenir un garçon, elle ne changera que physiquement.
Elle sera plus heureuse ainsi.
Et ne se jettera pas sous un train.

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Virginie est prisonnière de son corps, celui d'un garçon alors qu'elle se sent fille. Son père et sa mère ne comprennent pas...
Virginie est en prison, pour un crime qu'elle n'a pas commis. Vous imaginez la vie d'un trans-genre dans une prison pour homme où les frustrations sexuelles l'emportent sur toutes les autres émotions ?
Enfin libérée,Virginie travaille dans un centre d'accueil de grabataires, où elle est de nouveau la victime de prédateurs sexuels. Une victime consentante ? La vérité n'apparaîtra que dans les dernières pages.

Jacques Saussey, que je découvre avec ce thriller, nous fais partager la vie de Virginie en trois époques qui s'entremêlent :
- L'enfant qui cherche sa personnalité, féminine, dans un corps de garçon.
- L'adolescente brisée, condamnée pour un crime qu'elle n'a pas commis, confrontée à la violence carcérale.
- L'adulte assumée, qui mettra sa sexualité au service de la vérité...
Un thriller particulièrement bien ficelé, au service d'une cause chère à l'auteur. Brillant !

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Jacques Saussey écrit le plus souvent du thriller, ce n'est pas pour autant qu'il se laisse enfermer dans un style. C'est tout à son honneur. Enfermée.e en est un exemple des plus frappants.

Oui il y a des meurtres, du suspense, de l'action, mais tout ceci n'est là que pour mettre en scène une thématique forte et rarement traitée.

Faites appel à votre empathie et tentez (à minima) de vous mettre à la place d'une personne captive d'un mauvais corps, d'une femme claustrée dans un corps d'homme. C'est tellement difficile de vraiment ressentir ce que peut vivre psychologiquement au quotidien une personne comme elle.

Le cheminement de compréhension, on le fait avec Jacques Saussey, on l'accompagne suite à ses recherches. Un cheminement que l'auteur a fait avec intelligence (cf la liste des livres cités en référence, en fin d'ouvrage), avec son coeur et ses tripes (l'histoire lui est venue suite au coming out de sa nièce).

Enfermé.e n'en reste pas moins une fiction. Et l'écrivain a voulu parler d'un sujet fort sans se départir de son talent naturel qui est d'écrire des romans noirs. le récit a donc une intrigue, des rebondissements et un final surprenant.

Le sujet tourne autour de la transidentité. Rien que pour bien comprendre cette notion et ne plus mélanger les genres (désolé pour le mauvais jeu de mot), ce livre est salvateur. Non, il n'est pas question d'orientation sexuelle, mais bien de personnes dont l'identité intérieure n'est pas en corrélation avec leur enveloppe extérieure.

L'idée de traiter ce thème difficile à travers un roman noir est tout simplement formidable. On comprend petit à petit le cheminement personnel de l'héroïne, son parcours de vie, ses épreuves et ses questionnements. le tout enrobé dans une vraie intrigue qui fait qu'on est pris dans l'histoire tout en comprenant mieux cette transidentité.

Il y a tant de bonnes idées dans ce livre ! le fait de ne donner un nom à aucun des protagonistes, sauf Virginie le personnage principal, mais les affubler d'un qualificatif. Belle manière de nous faire comprendre ce que peut vivre une personne comme elle, toujours traitée de surnoms peu flatteurs.

Le jeu avec les époques est également joliment maîtrisé au sein d'une intrigue qui prend peu à peu du corps.

Sans trop en dévoiler, une partie du livre m'a fait penser à ce qu'on retrouvait dans Meurtre pour rédemption de Karine Giébel. J'en parle parce que c'est le bémol très personnel que j'émettrais (et je suis très minoritaire à lire les autres commentaires vus sur le livre) : certaines scènes sont très violentes, et cette violence est souvent justifiée. J'ai cependant ressenti qu'il y en avait trop, avec quelques passages que j'ai trouvé dispensables. Comme à l'époque du livre de Giébel, que j'ai pourtant beaucoup aimé.

Enfermé.e est un roman unique, dans l'air du temps, salutaire. Il est tout ce qui représente la bonne littérature noire à mes yeux : plonger le lecteur dans une histoire prenante tout en le faisant réfléchir sur notre monde, notre société. C'est grâce à ce genre de livres que l'on avance vers une meilleure compréhension de l'autre et une meilleure acceptation de la différence (qui est TOUJOURS une richesse).

Jacques Saussey a pris des risques en se lançant dans une telle aventure. A l'image de la couverture bien trouvée, il est allé au-delà des barreaux pour regarder au fond des yeux et de l'âme des personnes transidentitaires. Il l'a fait avec sérieux et sensibilité pour nous offrir un roman noir différent et terriblement humain.

PS : je dois dire mon scepticisme quant à la 4ème de couverture. On s'énerve souvent contre celles qui en disent trop sur l'histoire. Ici, on est à l'exacte opposé, elle ne dit rien et ne me semble vraiment pas vendeuse pour ceux qui n'ont préalablement pas entendu parler du livre.
Lien : https://gruznamur.com/2018/1..
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La dernière page de ce roman tournée, je respire enfin, tant la sensation d'enfermement a accompagné ma lecture. Enfermée comme Valérie, l'héroïne, dans un corps qui n'est pas le sien, mais aussi derrière les barreaux d'une prison, pendant 12 ans, pour un meurtre qu'elle n'a même pas commis.

C'est avec ce titre que je découvre Jacques Saussey et c'est un choc. L'intention, tout à fait intéressante, de l'auteur était de construire un roman noir autour de la transsexualité. Mais il a fait de son récit, une histoire hors-norme, ce qui, à mon avis, ne lui rend pas service. Trop de violences, trop de sexe, trop de noirceur, tout a été pensé dans l'excès. Pour rendre compte des difficultés d'existence de Valérie, il en a fait une super héroïne, qui, malgré sa frêle silhouette, résiste à toutes les tortures subies. Je passe sur la description de la situation des prisonniers transgenres incarcérés avec les hommes. Si elle est faite de manière très crue, elle a au moins le mérite de mettre en évidence le calvaire vécu. Mais ensuite en faisant évoluer son personnage dans cette maison de retraite qui semble sortie tout droit d'un film d'horreur, en lui prêtant une vengeance qui n'est pas la sienne, et en lui accordant un happy-end totalement inattendu, Jacques Saussey a créé un scénario auquel je n'ai hélas pas cru. Si j'ai trouvé intéressant l'anonymat dont il affuble tous les personnages (le Cinglé, le Surveillant, l'Infirmière,...) comme pendant au refus de reconnaissance de l'identité réelle de Valérie, j'ai moins aimé l'alternance de périodes à chaque chapitre.

Une lecture à laquelle j'accorde 11/20. Les repères édifiants mis par l'auteur en postface soulignent la lenteur de la société pour intégrer le transsexualisme.
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