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sur 136 notes
Une approche de l'urbanisation et de la domestication intéressantes. Cependant, certains arguments ne tiennent pas la route. Je pense à tous ceux liés aux épidémies et aux pathogènes (par exemple, affirmer que parce qu'humains et animaux ont la même maladie, celle-ci est due aux mêmes pathogènes...non, c'est très rarement le cas, chaque pathogène est spécifique d'une espèce (pensons au VIH, FIV, SIV, etc; même maladie, pathogènes spécifiques d'une espèce) ou nier complètement et délibérément l'efficacité des barrières d'espèce dans les contaminations)). L'auteur n'a a l'évidence aucune connaissance en microbiologie et s'appuie fortement sur un ouvrage d'un autre anthropologue connu qui date des années 70, qui lui aussi basaient ces arguments sur les épidémies et les pathogènes tout en ne maitrisant pas du tout les notions avancées. le serpent qui se mord la queue dans l'erreur. Nous avons donc affaire ici à deux anthropologues extrêmement réputés qui appuient leurs thèses sur des notions non maitrisées mais que personne ne contestent car ces auteurs sont entourés de l'aura du prestige. Autrement dit, ils usent de l'argumentation d'autorité pour rallier les autres scientifiques et le grand public à leur cause. D'où ma note. Certains points sont intéressants mais l'ensemble est très très contestable et propage des théories/hypothèses fausses chez les scientifiques mais aussi dans le grand public.
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Je ne vais pas résumer le bouquin ici, d'autres s'en sont chargés depuis la parution du livre avec plus de talent et d'esprit de synthèse que je n'en ai. Je tiens à rassurer les parents susceptibles de me lire: certes on enseigne le Paléolithique, le Néolithique, la naissance de l'agriculture et de l'écriture et l'apparition des premières cités-Etats en Sixième, mais si le professeur est un peu sérieux il ne fait pas les amalgames que l'auteur énonce en début d'ouvrage. Cependant, cela n'empêche pas les élèves de les faire par la suite... si tant est qu'ils se souviennent de ces quelques heures de préhistoire qui ne pèsent pas lourd dans leur cursus.
Ceci étant dit, il s'agit d'un ouvrage d'une grande érudition, sérieux, documenté, mais aussi plein d'humour et surtout très agréable à lire pour le vulgum pecus dont je fais partie. Il m'a permis de faire des liens entre mes quelques bribes de connaissances et de m'apporter d'autres éclairages. L'auteur cite toujours ses sources et énonce ses positions très clairement à chaque fois qu'il spécule.
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À la recherche de l'origine des États antiques, James C. Scott, professeur de science politique et d'anthropologie, bouleverse les grands récits civilisationnels. Contrairement à bien des idées reçues, la domestication des plantes et des animaux n'a pas entrainé la fin du nomadisme ni engendré l'agriculture sédentaire. Et jusqu'il y a environ quatre siècles un tiers du globe était occupé par des chasseurs-cueilleurs tandis que la majorité de la population mondiale vivait « hors d'atteinte des entités étatiques et de leur appareil fiscal ».
(...)
Dans la continuité de Pierre Clastres et ouvrant la voie aux recherches de David Graeber, James C. Scott contribue à mettre à mal les récits civilisationnels dominants. Avec cette étude, il démontre que l'apparition de l'État est une anomalie et une contrainte, présentant plus d'inconvénients que d'avantages, raison pour laquelle ses sujets le fuyait. Comprendre la véritable origine de l'État c'est découvrir qu'une toute autre voie était possible et sans doute encore aujourd'hui.

compte rendu complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Un livre intéressant mais à lire avec un peu d'esprit critique.
Que de rousseauisme ! L'homme est bon et c'est la société qui le corrompt.
Que de romantisme ! Les Barbares sont tellement pittoresques et sympathiques vus de son salon bien chauffé et sécurisé.
Un livre de bobo ? En tout cas, le livre de Scott sera bien accueilli dans cette mouvance.
Voir la critique bien argumentée de Charles Stepanoff : https://www.terrestres.org/2020/06/26/comment-en-sommes-nous-arrives-la/
Je connais trop mal l'histoire de la Mésopotamie pour pouvoir discuter sérieusement du livre de Scott. Mais pour l'histoire grecque et romaine, il y a vraiment beaucoup d'erreurs.
Athènes et Rome au milieu d'une grande plaine céréalière ? Allez-y voir. Cela ne saute pas aux yeux.
De nombreuses révoltes gauloises après la conquête ? Lesquelles ?
Des habitants de l'empire romain migrant chez les Barbares pour être libres ? Quelles traces ?
Vers l'an mil, les paysans acceptent le pouvoir féodal en échange d'une protection armée.
Après les guerres de religions, tous les peuples européens (sauf les Anglais) acceptent la monarchie absolue : un roi, une loi, une foi. Tout plutôt que le pouvoir des bandes armées sillonnant le territoire.
Les anarchistes actuels rêvant d'un monde sans État sont soit des idiots (utiles?) soit se verraient bien en chefs de bande.
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L'une des choses de que je recherche en lisant un livre, en particulier un essai, c'est d'être dérangée, chatouillée, dans mes habitudes de penser. J'aime les livres qui nous font remettre en question ce que l'on a jamais pensé à secouer par nous mêmes. Et Homo Domesticus de James C. Scott en est un bon exemple. Je connaissais son livre précédent Zomia mais il est toujours sur la liste de lecture.
J'ai donc commencé par celui-ci, (peut-être parce qu'il me semblait le plus dérangeant ?). Je m'attendais à apprendre beaucoup et je n'ai pas été déçue. Mes connaissances en matière de Préhistoire se limitaient à quelques souvenirs d'école, cela pourtant ne gêne en rien la compréhension du livre tant le propos est clair et accessible. En plus, de développer mes connaissances sur l'époque il a permis également de la mettre à jour avec les dernières découvertes archéologiques. En effet, l'auteur présente lui-même son ouvrage comme une somme des dernières recherches sur la Mésopotamie en particulier. Ce que l'on apprend ne donne qu'envie de creuser. Loin des clichés et du roman de la "naissance de la civilisation", nous découvrons que les premiers États n'avaient de stables ou de pérennes, que la sédentarité ne s'oppose pas au nomadisme, ni n'était définitive une bonne fois pour toute. La sédentarité a ses débuts n'avait rien d'un long fleuve tranquille, mais au contraire, était soumise aux maladies, à plus de travail, aux impôts et autres corvées. Bref, l'histoire humaine du monde tel que nous le vivons ne s'est pas faite comme une ligne droite irréversible comme nous l'avons trop souvent entendu. La thèse de l'auteur étant que la domestication des animaux et des végétaux a entrainé aussi une domestication des hommes.
Ce livre m'a donné envie de lire Zomia, que je pense placé en plus haut dans ma liste de lecture.

PS: il s'agit ici de ma 1ère critique, alors soyez indulgents, pardonnez mes maladresses.
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Un livre que j'ai apprécié à l'époque (un style plaisant et une construction théorique aguicheuse), mais qui s'avère finalement très loin d'être sérieux et fiable. Il contient même de gros écueils révélés ici brillamment par Stépanoff, qui démontre la vison erronée et simpliste de Scott sur la "domestication" (des humains, autres animaux et des plantes) et l'origine de l'État.
Cherchez l'article (en lien) : " Comment en sommes-nous arrivés là ? (Charles Stepanoff) " (sur le site terrestres.org)
Extrait de l'intro :
« D'où vient notre rapport particulier à la nature ? Quel est le rôle de la domestication des plantes et des animaux dans l'avènement de l'État ? Avec les ressources de l'ethnographie, de l'archéologie et de l'anthropologie, et en s'attaquant au livre plébiscité de James C. Scott, Homo domesticus, Charles Stépanoff vient déconstruire et complexifier l'histoire simplificatrice de la domestication comme réalité homogène et inchangée depuis la Préhistoire. »
( c'est vraiment bien et très sérieux, prenez le temps de le lire en entier! )

+ En complément cet autre article antérieur d'Ana Minski, très bon aussi en allant plus loin dans l'analyse du coté patriarcal de la vision de Scott, cherchez :
" Homo Domesticus ou le Grand récit de la Voie mâle " (sur le site partage-le.com)
Extrait de la conclusion :
« (...) Occultant toutes les autres histoires et cosmogonies, James C. Scott nous invente un Grand Récit qui englobe le passé, le présent et l'avenir pour réduire sapiens à un « domesticateur ». L'auteur n'a pas été épargné par l'idéologie de la « Voie mâle », sa définition du domestique ne lui permettant pas de briser la binarité domestique/sauvage, domestique/libre. C'est ainsi qu'il ne dénonce jamais ce que représente la domus dans une société patriarcale et étatique : la sphère domestique dans laquelle sont confinés femmes, enfants et esclaves, celle des soins du corps — de l'alimentation et de la reproduction —, celle qui a toujours été méprisée par ceux qui se nomment libres parce que dispensés de ces activités qui leur rappellent leur condition d'homme biologique et mortel. Les domestiqués, enchaînés aux besoins si méprisables du corps, n'ont pas l'autorisation d'agir dans la sphère publique, politique, intellectuelle, créatrice. Cette vision de la domus est celle du maître policé qui se pavane dans la sphère publique ignorant tout de ce qu'est la sphère domestique. »

Livre à éviter donc, ou alors soyez bien attentif à ne pas gober tout cru sans réfléchir ce qui vous est servi ici...
Lien : https://www.terrestres.org/2..
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Une vue inversée de l'histoire officielle des barbares fidèle à "l'école des anthropologues anarchistes", tels que Graeber ou Clastres.
Dommage que les Etats les aient pour l'instant totalement éradiqués...
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Bien qu'en cale sèche depuis bientôt un an, je reçois quasiment toutes les semaines des messages de gens qui me demandent si, par hasard, je n'aurais pas une sorte de petite pépite oubliée au fond de ma sacoche, un genre de livre d'une grande qualité, un de ceux qui vous transforme, qui vous travaille de l'intérieur pendant des semaines, des mois, des années et dont personne ou presque ne parlerait…

J'ai même eu quelqu'un qui m'a écrit récemment pour me proposer de participer à la mise au point d'un algorithme « pour lecteur exigeant mais pressé » (les guillemets sont de moi et résument l'idée, du moins ce que j'en ai compris). le calcul étant le suivant : beaucoup de gens disposent de peu de temps pour la lecture et, désireux de le valoriser au mieux, souhaitent éviter à tout prix les daubes sans évidemment rater de joyau.

J'ai répondu que, dans l'idée : Qui n'a jamais rêvé d'avoir à sa disposition une sorte de vadémécum littéraire ? Qui n'a jamais rêvé d'avoir une liste de bouquins tous bons, tous édifiants, qui s'agenceraient tous parfaitement les uns aux autres, etc. et dont on pourrait barrer sagement chaque ligne au cours de notre existence en ayant le sentiment, lors de l'ultime soupir, d'avoir lu tout ce qu'il fallait. Mais la chose est-elle seulement possible, rien qu'en exercice de pensée ? Selon moi, la réponse est, était et restera invariablement non et voici mes raisons :

Premièrement, la diversité du genre humain — et donc la diversité des lecteurs — est quasiment illimitée. Si bien que parmi le nuage d'ensemble d'oeuvres (imaginez une grosse patate biscornue en 3D) que le lecteur ou la lectrice A aura jugé « excellentes », un lecteur ou une lectrice B de sensibilité même très proche se forgera une patate partiellement chevauchante, certes, ressemblante si l'on veut, mais elle bourgeonnera aussi des excroissances qui n'appartiendront qu'à elle ou lui et parallèlement l'on constatera des crevasses dans le tubercule d'origine qui n'appartiennent qu'au lecteur ou à la lectrice A du départ.

Car, en substance, c'est quoi le ressenti littéraire ? C'est de l'émotion. Comment modéliser une émotion ? Quels sont les ingrédients essentiels et irréductibles de l'émotion ? Il n'y en a aucun en particulier ou bien ils y sont tous. C'est éminemment subjectif cette affaire-là, c'est éminemment lié à la combinaison à la fois de ce que nous sommes, ADNnement parlant, et de ce que nous sommes, historiquement parlant, avec toutes les expériences non reproductibles auxquelles le hasard aura bien voulu nous soumettre au cours de notre curriculum.

Quand j'écris « nous », qu'est-ce que ce « nous » ? Sommes-nous le ou la même « nous » que celui ou celle que nous étions il y a deux ans, dix ans ou plus ? Assurément non. Si bien que chaque oeuvre, à mesure qu'on les découvre avec l'ordre de succession qui nous est propre, nous modifie, nous altère d'une certaine façon, dans une direction ou dans une autre, ce qui a des répercussions sur la nature et l'intensité des émotions qu'elles susciteront. de sorte que le ou la même " nous ", ADNnement parlant, n'évoluera pas de la même façon, ni dans les mêmes directions selon qu'il ou elle aura découvert même des oeuvres identiques mais dans un ordre différent ou à un âge différent, etc.

Ma patate actuelle n'est plus la même que ma patate d'il y a 10 ans. S'il m'arrive de relire une des critiques que j'ai écrites à mes débuts sur Babelio, je constate indubitablement que c'était moi mais qu'en même temps ce n'est plus moi. C'est le moi d'alors qui s'y exprime et je trouve même ça intéressant ce dialogue possible entre le moi d'avant et le moi de maintenant. (De mon point de vue, bien sûr, pour quiconque d'autre c'est impossible.)

Alors qu'irais-je parler de pépite, de chef-d'oeuvre ou de conseil en matière de littérature ? Il y a même une notion plus forte. Il y a un entrepreneur célèbre qui est, dit-on, le père de la formule non moins célèbre : « Le temps, c'est de l'argent. » Qu'est-ce que cela signifie, concrètement, dans le fond ? Que c'est le temps humain qui est précieux. Ça, c'est ce qu'a bien compris le mathématicien qui m'a contactée et dont je vous ai parlé. En revanche, ce qu'il n'a pas compris ou pas bien compris ou pas assez compris c'est que ce qui s'obtient tout de suite, sans effort, comme une liste d'ouvrages toute prête par exemple, n'aura nécessairement que peu de valeur voire pas du tout.

D'une certaine façon, c'est ce que Babelio essaie de faire avec sa " fameuse " (et ô combien calamiteuse) rubrique : « Vous aimez ce livre ? Babelio vous suggère ». Je vous jure que ce n'est pas une blague, j'ai vu une fois à propos de « Belle du Seigneur » d'Albert Cohen : Babelio vous suggère « Vous revoir » de Marc Levy. (Rapport entre les deux oeuvres ? aucun. Fin du commentaire.) Amazon essaie de faire la même chose en utilisant des algorithmes très puissants, or, à ce jour, on ne sort jamais beaucoup des grosses généralités. Comme si c'était un paquet de gâteaux, certain(e)s s'imaginent qu'on pourrait cliquer pile sur le bon livre, ou ouvrir les portes de notre librairie, se diriger directement dans le bon rayon, aller de suite à la bonne place, prendre en trois secondes notre trésor en main, notre bonheur sous cellophane, payer sans contact et aller tout de suite, sans effort poser notre délicat fessier dans un gentil fauteuil bien confortable pour lire des émotions toutes prêtes, celles qu'on voudrait…

Non, non et non. Désolée de vous le dire mais, oui, il y a un effort à faire, oui, il y a un prix à payer et qui est incompressible. Choisir une lecture, dans l'océan, dans l'immensité galactique des lectures possibles, c'est vrai, c'est un travail en soi, c'est long, c'est exigeant, c'est fastidieux et c'est sans garantie aucune, c'est une chasse, c'est une cueillette et l'on risque constamment de revenir bredouille. Nous sommes tous, à notre façon, des chercheur(se)s de trésor, avec chacun(e) notre définition propre de ce qu'est un trésor.

Je me souviens d'une très vieille interview d'un très ancien directeur du tour de France cycliste (Était-ce Jacques Goddet ? Était-ce Félix Lévitan ? Je ne sais plus, l'un des 2 en tout cas.) qui disait de façon absolument magistrale et prophétique (je cite de mémoire, il faudrait retrouver l'interview pour être sûre) : « Ce que les gens recherchent dans leur vie quotidienne, c'est toujours plus de confort et de sécurité. Mais ils aiment voir l'adversité, l'effort, la souffrance chez les autres. Les gens viennent retrouver, par procuration, chez les coureurs du tour de France ce qu'ils n'ont plus dans leur vraie vie. »

Les gens, majoritairement, aiment le supermarché ; les gens veulent du supermarché. La notion de " revenir bredouille " existe-t-elle dans un supermarché ? Car, au fond, dans notre monde toujours plus citadin, toujours plus prévisible, toujours plus " sécurisé ", toujours plus GPS-isé, toujours plus métro-boulot-dodoïsé, il y a un fond de chasseur-cueilleur qui sommeille et qui cherche à se révolter.

Ce qu'on aime le plus, c'est songer aux vacances, c'est s'extraire de l'ennui de la routine, de notre vie très sûre, trop sûre. Ce que l'on aime c'est faire des folies, c'est le jeu, c'est l'addiction, c'est tailler la route. Même cette activité ô combien peu risquée, ô combien typique de notre société domestiquée de consommation, à savoir faire les boutiques, relève selon moi d'un instinct ancestral enfoui : l'instinct du chasseur-cueilleur, l'envie de faire une découverte.

Car, de vous à moi, quelle est celle qui peut dire qu'elle avait un besoin urgent ou qu'elle a porté absolument tout ce qu'elle a acheté de fripes ou de babioles ? Non, par contre, 100 % d'entre nous ont adoré ce moment de recherche et de découverte, ce moment typique de chasse et de cueillette. Donc, non, décidément non, l'élevage, la moisson, le confort, la sécurité ne sont pas compatibles avec la recherche d'une lecture à notre goût. Chasseurs-cueilleurs nous sommes et chasseurs-cueilleurs nous devons rester, sous peine de domestiquer le dernier de nos instincts qui ne l'était pas tout à fait…

Bon, vous aurez remarqué qu'il s'agit d'un des plus longs préambules qu'il m'ait été donné d'écrire (Tu t'arranges vraiment pas avec le temps, ma vieille !) moi qui ai pourtant la fâcheuse habitude d'infliger à celles et ceux qui s'obstinent à me lire de longs préambules.

Dans mes critiques, ici ou là, j'ai souvent pesté contre la piètre qualité, selon mes propres critères d'appréciation, des romans actuels. J'ai souvent dit que j'étais toujours en quête de mon premier grand bouquin écrit au XXIème siècle.

Eh bien je vais vous faire aujourd'hui deux petites confidences : le plus grand roman que j'ai croisé à ce jour au XXIème siècle n'est pas un roman, mais une série télé. Il s'agit des 5 saisons de The Wire (Sur Écoute en français). D'après moi, tout du grand roman fleuve du XIXème mais qu'on n'aurait pas eu le courage ou la patience d'écrire, alors on l'a scénarisé et filmé, ce qui n'est déjà pas si mal après tout. D'après moi, c'est admirable en tout point (ou presque). Et le plus grand livre alors ?

Eh bien le plus grand livre, toujours d'après moi et avec l'incroyable subjectivité que cela suppose, ce n'est pas un roman et c'est celui-là, Homo domesticus. Vous estimez que je n'en dis rien dans cette critique ? C'est vrai, vous avez raison. C'est d'ailleurs probablement la chose la plus éloignée d'une critique de livre qu'il m'ait été donné de concevoir. Je suis une anarchiste et je ne m'en cache pas et j'applique ça même à la critique. de plus, après un aussi long préambule, dont le sujet gravite autour de l'impossibilité de donner des conseils en matière de lecture, je me verrais mal vous donner des conseils en matière de lecture. Faites ce que vous voulez et retenez que ce n'est que mon avis, qui plus est, mon avis du moment, c'est-à-dire vraiment pas grand-chose au rythme où pourrissent les choses, surtout en basse Mésopotamie, mais chuuut, je ne vous ai rien dit. le mieux, c'est encore de lire et de penser par soi-même, enfin je crois… pour le moment.
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L'homme descend du singe. Au départ il s'en distingue peu d'ailleurs : il est petit, voûté, pas très beau et plein de poils. En prime il est stupide comme le montre son petit cerveau. Mais, progressivement, cela s'améliore. Il grandit, son cerveau aussi, il se redresse et regarde noblement vers l'horizon (à droite, vers l'avenir, il va de soi). Il devient aussi moins poilu et plus clair de peau.
Au départ la pauvre chose est trop stupide pour être capable de faire autre chose que de chasser (et bien mal) et de se nourrir frugalement en cueillant ce qu'il trouve. Naturellement son espérance de vie est faible et il est à la merci des prédateurs. Il ne laisse pas grand-chose derrière lui à part quelques os.
Avec le progrès il va découvrir de quoi vivre moins mal, même si cela lui prend un temps infini. Il y aura le feu mais aussi par la suite l'agriculture qui le mettra à l'abri des aléas de la nature sauvage. Simultanément il saura s'organiser en États ce qui le protégera et lui donnera enfin la possibilité d'être en sécurité et de construire une civilisation digne de ce nom. Il devient aussi capable d'écrire, d'aimer, d'enterrer ses morts...
Au final il deviendra un être prodigieux : Nous ! Mais il est possible qu'il se développe encore et passe à la conquête de l'espace (musique de Civilization à écouter durant cette lecture, merci).
***
Ce qui précède est très voisin, l'ironie mise à part, de ce qui était appris dans les écoles et ailleurs il y a encore peu. Cela ne présente qu'un, léger, problème : c'est très largement inexact.
***
Homo domesticus est un des très nombreux livres qui s'attachent ces dernières années à étudier avec rigueur la révolution néolithique pour faire le point sur l'état actuel des connaissances. Je ne vais pas vous proposer une critique détaillée et "savante" de cet ouvrage car elle existe ailleurs. Je vais plus m'attacher à contextualiser cet essai, à en préciser les enjeux et choix et, je l'espère, à donner à certains d'entre vous l'envie d'en savoir plus.
*
James Scott est un anthropologue anarchiste, dans la lignée de Marshall Sahlins. Il est donc, en toute logique, opposé aux règles imposées, à l'autorité en général et à l'existence d'États. le regard qu'il poste sur le néolithique (passage pour l'humanité d'un mode de subsistance de type "chasseur-cueilleurs" à un mode de vie plus sédentaire, basé sur l'agriculture et l'élevage) n'est donc pas neutre. Pour cette lignée d'auteurs c'est le passage d'une société "libre", où les individus sont autonomes, à la société actuelle, basée sur la hiérarchisation des hommes et à l'existence d'un pouvoir central puissant et oppressif, entre autre. Sans surprise le jugement de Scott sur l'état actuel de notre organisation économique et sociale est très critique.
Si, comme pour moi, l'anarchisme est largement étranger à vos convictions, vous pourriez avoir envie de délaisser cet ouvrage à ce stade. Pourtant ce serait une erreur il me semble. En effet Scott a une approche rigoureuse et, s'il cherche des arguments allant dans le sens de ses convictions, il le fait avec honnêteté, en chercheur se souciant avant tout de la vérité. Son point de vue hétérodoxe devient alors une richesse, offrant un éclairage particulier sur cette époque, plausiblement la plus déterminante de l'histoire humaine jusqu'ici.
*
Ce livre fourmille d'informations. Je n'en liste rapidement que quelques-unes :
- Les céréales sont un atout considérable (voire indispensable selon Scott) pour développer un État car cette culture se prête au stockage mais aussi à l'établissement d'un impôt.
- L'agriculture n'a pas succédé à un mode de vie basé sur la chasse et la cueillette : les deux ont coexisté très longtemps.
- La vie des premiers agriculteurs a été bien plus laborieuse, difficile et risquée sur le plan alimentaire que celle des chasseurs cueilleurs.
- Les zones humides, loin de nuire à la survie des hommes, ont joué un rôle déterminant dans la prospérité de nombreux groupes.
- La sédentarisation agricole a été la source de multiples épidémies, humaines mais aussi animales et végétales
- Les États n'ont pas succédé facilement aux modes de vie antérieurs, au contraire il y a eu des millénaires d'alternances d'États et de modes d'organisations moins centralisées.
-Les États se sont développés plus facilement dans les zones géographiques où les fuir était impossible.
- L'État a prospéré sur l'esclavage.
Vous trouverez de très nombreuses autres connaissances dans cet essai mais aussi des sources de questionnements forts intéressants. Je n'en évoque qu'une, rebondissant sur le titre. L'homme a domestiqué la nature, façonnant un lieu de vie radicalement différent pour les animaux et les végétaux que l'auteur appelle la domus. L'humanité a privilégié certains traits de son environnement au détriment d'autres, a fait prospérer quelques espèces et en a détruit bon nombre, intentionnellement ou indirectement. Les espèces domestiquées n'ont plus grand-chose à voir avec leurs ancêtres « sauvages ».
Dans le même temps « notre » mode de vie a radicalement changé. Aujourd'hui nos conditions de vie dépendent bien peu du fait d'identifier les plantes comestibles et de connaître les habitudes de nos prédateurs ; inversement ignorer un avis d'imposition ou déplaire à son employeur est une « relativement mauvaise idée » le plus souvent. Jusqu'à quel point ce processus de domestication humaine nous a-t-il modifiés, et comment ? Et que faut-il en penser ?
***
Internet, je l'ai encore constaté récemment sur ce site, a tendance à radicaliser les points de vue selon un processus bien connu des sociologues : l'auto-sélection et la concentration de personnes ayant les mêmes convictions et communiquant entre elles les incite à croire que leurs avis initiaux sont largement partagés et favorise un parcours vers plus d'extrémisme. le support-livre nous offre largement l'opportunité inverse à savoir disposer du temps nécessaire pour s'ouvrir à d'autres idées, cultures, pensées, sensibilités et ce dans le silence et la durée qui sont propices à de tels élargissements de notre univers personnel.
Ce livre me semble offrir l'une de ces possibles ouvertures, une façon de questionner ce que nous vivons aujourd'hui avec un double décalage temporel (le néolithique) et « politique » (peu d'entre nous sont de fervents anarchistes). De cet échange serein avec l'auteur peut naître une grande richesse et une façon plus fine de voir le monde qui nous entoure.
C'est pour cette raison principale que je conseille sans réserve cet ouvrage, remarquable de clarté et d'érudition.
Bonnes lectures à tous !
PS : Pour qui veut aller plus loin que mes quelques lignes ne pas hésiter à s'intéresser à l'entretien détaillé avec l'auteur associé à cette critique.
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Être gouverné, c'est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé.
Pierre-Joseph Proudhon cité par James C. Scott
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