Elle cherche dans la forme des choses le souvenir des étés qu'elle passait ici, mais les contours de sa mémoire restent flous. Une aquarelle détrempée par la pluie.
"Mais elle était de ces vieilles femmes qui ont dans le cœur un éclat de nuit qui les pousse à marcher à côté du monde."
Moi je voulais comprendre. Comprendre comment on pouvait en arriver là. (...)
Et tout particulièrement contre des enfants. Parce que tuer l'enfance, c'est tuer la dernière parcelle d'humanité. C'est assassiner le futur, c'est nier le passé, c'est dissoudre le présent. Une chose inimaginable. Une béance.
Ce que je vais te dire, petite, je le tiens de la bouche des anciens. Et comme je suis pas toute jeune, tu imagines, cette histoire, comme elle est usée comme un vieux manteau qu'on aurait laissé aux vents et au soleil et à la pluie.
Célia avait alors pensé que les vieilles personnes sont un peu comme les enfants. Pour être heureux, il leur suffit de croire à leurs propres histoires.
Souvent je me dis que l'adolescence n'est qu'un décor tendu pour camoufler l'adulte qui grelotte de peur en dessous.
Finalement, une vie, ça se résume à ça, se dit-elle, des objets dérisoires qu'on fait disparaître sans s'émouvoir parce qu'il n'avait de valeur qu'à nos yeux. Est-ce que tout ce que je viens d'installer dans ma chambre s'évanouira ainsi quand je serai morte ? Mes peluches d'enfant ? Mes cassettes de musique ? Est-ce que tous mes trésors seront jetés dans un sac plastique sans plus d'attention qu'un haussement d'épaule ?
Les bêtes les plus terrifiantes ne viennent pas la nuit. Elles n'ont ni griffes ni crocs. Elles vont sur deux jambes et elles ont tout de l'apparence d'un homme.
Il y a des coïncidences. Des milliers de choses minuscules qui séparent ou qui rapprochent les gens. Si on relie tous ces signes entre eux, cela forme une histoire et on réalise que rien n’est dû au hasard. A moins que le hasard lui-même n’ait un sens.
Nous cherchons tous à nous libérer du passé. Nous tentons, jour après jour, de graver par-dessus ce qui a été gravé. Toi avec tes romans, moi avec ma peau de louves Marcus avec ses chemin d'errance, Armand avec ses mensonges. Mais les fantômes ne reviennent pas. Ils dansent à la périphérie de notre vision et jamais nous ne pourrons les ramener dans nos bras. Le passé est un mausolée inaccessible. On peut tenter de le comprendre En apprécier les formes, les dimensions, le sens. Mais il nous est interdit d'y pénétrer. Sous peine de nous perdre et d'errer sans fin dans un labyrinthe de doutes à la poursuite de ceux qui reposent là sans jamais parvenir à les rattraper. Non, c'est du futur qu'il faut se libérer, Catherine. Se libérer maintenant. Il te semblera que les chaines sont lourdes comme des siècles. Mais il suffit de regarder devant pour les sentir disloquer.