Voilà une pièce dont j'ai beaucoup aimé les trois premiers actes, mais dont les deux derniers m'ont plutôt ennuyé.
William Shakespeare n'a pas la tâche facile : il doit faire rentrer dans sa pièce en cinq actes l'ensemble des relations entre Octave,
Marc-Antoine et Cléopâtre. Comme matière première, il ne choisit pas l'auteur antique le moins loquace ;
Plutarque était évidemment un choix désigné du fait de son récit sur la Vie d'Antoine.
Shakespeare aurait eu plus de latitude s'il s'était basé sur
Suétone qui ne consacre que quelques pages à toute cette histoire.
Cela dit, je ne m'attendais pas à ce que
Shakespeare marque autant
Plutarque à la culotte. J'ai lu la réédition des traductions de
François-Victor Hugo qui, chaque fois que cela s'imposait, ajoutait en note le texte de
Plutarque correspondant à la prose du dramaturge. C'est tellement proche que l'on peut parler de la pièce de
Shakespeare comme d'une adaptation théâtrale. le fond historique est donc solide.
Shakespeare a donc beaucoup de péripéties à raconter et peu de degrés de liberté. Il parvient à tirer son épingle sur les trois premiers actes, à mon humble avis. Il prend le temps de mettre de lui-même, de son humour anglais, par exemple dans la scène savoureuse où les suivantes de Cléopâtre consultent un devin pour connaître leur avenir, ou dans celle où, après avoir âprement discuté politique et s'être réconciliés, Octave (toujours nommé César), Lépide et Antoine, les trois triumvirs, accompagnés de leur ennemi Sextus Pompée (fils du grand Pompée) se bourrent carrément la gueule (sauf Octave qui n'est pas loin d'être stoïcien).
Mais les actes passent et il y a tant à dire. Les deux derniers actes qui content la guerre Octave-Antoine sur mer et sur terre, la défaite et la mort d'Antoine puis la mort de Cléopâtre, sont longs et pourtant les événements s'y déroulent à bride abattue tellement
Plutarque les a détaillés. Plus le temps d'improviser là. Il s'agit de tout dire, avec de la prose de qualité mais limitée par l'exercice imposé par
Plutarque.
Shakespeare, et le lecteur, n'ont pas de chance non plus avec la caractérisation d'Antoine et surtout de Cléopâtre que
Plutarque inflige. Si Antoine s'en sort assez bien sur les trois premiers actes, résistant difficilement à l'attrait de la belle égyptienne pour s'occuper de son empire, son comportement devien
t imprévisible après la première défaite navale d'Actium. Tout à tour défait et déprimé, puis retrouvant force et courage, puis haïssant Cléopâtre qu'il estime l'avoir trahi, puis l'adorant.
Cléopâtre n'a de son côté aucune profondeur ; c'est une coque amoureuse et capricieuse à en devenir agaçante. Cela donne quand même lieu à quelques scènes assez amusantes. Après la mort d'Antoine elle se jette aux pieds d'Octave, puis décide de se tuer non pour rejoindre son aimé, mais pour éviter l'humiliation d'être ramenée à Rome comme un simple trophée. le personnage était autrement plus riche, mélange plus détonnant d'amour et de calcul politique, dans le film de Mankiewicz avec
Elizabeth Taylor. Mais
Shakespeare n'a guère le choix s'il suit
Plutarque. C'est peut-être là un tort.
Je me demande comment
Colleen McCullough a traité le sujet dans son roman…