Sur le plan narratif, c'est très fort.
Il s'agit en effet de 12 variations autour de : « Avaleront /n'avaleront pas leurs comprimés? » . Ceux que Cyril et Kay s'étaient promis de prendre à 80 ans, quand ils n'en avaient encore que 50, pour s'épargner à eux-mêmes la déchéance du très grand âge, et au Système de Santé Britannique le coût exorbitant que représentent la prise en charge, l'hébergement , les soins apportés aux grands vieillards.
- 12 variations autour de : ° Comment la mort les saisira-t-elle, ensemble ou séparément ? ». Puisque de toute façon c'est toujours ainsi que cela se termine ( sauf dans l'un des chapitres. Assurément le plus baroque, mais probablement aussi le plus terrifiant).
Et donc, de vieillesse tonique et harmonieuse en vieillesse condamnée à la déchéance intellectuelle, physique, ou les deux, ou pire encore aux mauvais traitements de certains établissements-mouroirs,
Lionel Shriver explore avec méthode, avec férocité, le problème du vieillissement dans les sociétés occidentales.
J'ajouterai en outre que l'aspect volontairement répétitif de ces 12 variations, avec leurs détails récurrents, leurs reprises en boucle, leurs clins d'oeil appuyés, me paraît traduire non seulement la très grande maîtrise de la romancière mais aussi et surtout une forme de « radotement « qui ajoute une couche supplémentaire de complexité à ce roman particulièrement riche, et troublant.
Avec cela , et malgré tout, beaucoup de cynisme, et d'humour.( Il en faut , pour aborder sereinement un tel sujet !) C'est peut-être pour cela que ce roman m'a fait songer à ce que peut être un
Michel Houellebecq, chez nous. A savoir qu'il porte un regard lucide et décapant sur les grands enjeux des sociétés contemporaines , et qui ne s'interdît rien: ni la cruauté ni la tendresse, ni la drôlerie, le cocasse. Ni la distance à la fois politique, sociologique et philosophique. Ni même l'écart dans la science-fiction, dans l'absurde.