- Le proverbe dit, vibra la gorge de Luo, qu'un coeur sincère peut faire s'épanouir une pierre.
Je ne sais pourquoi, depuis qu'on est ici, je me suis fourré une idée dans la tête : j'ai l'impression que je vais mourir dans cette mine.
Les cours de mathématiques étaient supprimés, de même que ceux de physique et de chimie, les " connaissance de base" se limitant désormais à l'industrie et à la culture.
............................................
Ces manuels et le Petit Livre Rouge de Mao restèrent, plusieurs années durant, notre seule source de connaissance intellectuelle.
- Mozart pense toujours à Mao, dit-il.
- Oui, toujours, confirma Luo.
C'était pour moi une expérience toute nouvelle. Avant, je n'imaginais pas qu'on puisse jouer quelqu'un qu'on n'est pas tout en restant soi-même (...) Luo m'a dit que je pourrais être une bonne comédienne. (p. 180)
Au beau milieu de la séance, après environ une demi-heure du film, elle tourna la tête, et me chuchota à l'oreille quelque chose qui me tua :
- C'est beaucoup plus intéressant, quand c'est toi qui le racontes.
- C'est quoi, ça le romantisme ?
Après réflexion, Luo posa la main sur sa poitrine, comme un témoin prêtant serment devant le ciel :
- L'émotion et l'amour.
Levant le violon à hauteur de ses yeux, il le secoua avec frénésie, comme s'il attendait que quelque chose tombât du fond noir de la caisse sonore. J'avais l’impression que les cordes allaient casser sur le coup, et les frette s'envoler en morceaux.
Quel ventre époustouflant ! En fait, maigre comme il était, il n'avait pas du tout de ventre, mais sa peau ratatinée formait d'innombrables plis minuscules sur son abdomen. Lorsqu'il chantait, ces plis se réveillaient, se muaient en petite vaguelettes fluant et refluant sur son ventre nu, enluminé, bronzé. La cordelette en paille qui lui servait de ceinture se mît à onduler follement. Parfois, elle était engloutie par les flots de sa peau plissée, et on ne la voyait plus, mais à l'instant même où on la croyait définitivement perdue dans les mouvements de la marée, elle émergeait à nouveau, digne et impeccable. Une cordelette magique.
Après un instant de flottement elle s'exécuta, très curieuse. son pied, plus timide qu'elle, ainsi très sensuel nous dévoila d'abord sa ligne joliment découpée, puis une belle cheville et des ongles luisants. Un pied petit, bronzé, légèrement diaphane, veiné de bleu. Lorsque Luc mit son pied, sale, noirci, osseux, à côté de celui de la Petite Tailleuse, je vis effectivement une similitude : leur deuxième orteil était plus long que les autres.
361 - [La Bibliothèque/Gallimard n° 167, ch. 1, p. 40]