L'histoire se passe à Concarneau, dans les années trente. Il pleut sur la ville comme aujourd'hui, sauf que ce jour-là est un vendredi 7
novembre, une tempête venue du sud-ouest met le désordre parmi les barques du port.
Le désordre, c'est aussi ce qui va secouer la tranquillité des jours mornes et ennuyeux d'une petite ville de province... le désordre et l'émoi, lorsque des crimes surviennent, étranges et saugrenus.
Si le récit semble un peu daté à plusieurs endroits, cela en fait aussi son charme désuet à souhait.
Ici, point de fioritures et d'effets tapageurs comme les polars d'aujourd'hui, c'est la police à la papa, ce monde de l'entre-deux-guerres, entre deux eaux, celle qu'on verse dans le Pernod sur le zinc du café de l'Amiral, des charrettes à bras tirées par des camelots que l'on peut croiser dans les rues des villes provinciales, le téléphone quand il marche pour joindre Paris par le truchement d'une opératrice qui sait manier les fils sur sa console avec autant de dextérité qu'un DJ d'aujourd'hui ses vinyles...
Sans doute la ville de Concarneau est propice à construire l'ambiance idéale pour accueillir cette histoire et son mystère. C'est une météo de circonstances qui embrume la ville close, ses remparts, le tintement du carillon de
la vieille horloge et les bateaux de pêche qui rentrent au port dans le sillage des goélands qui éventrent le ciel bas et lourd, avec la plage des sables blancs plus loin...
Je vous propose de descendre à l'hôtel de l'Amiral, retrouver le commissaire
Maigret dépêché sur les lieux pour enquêter.
C'est un roman policier d'une facture classique, dont l'écriture de
Georges Simenon est à l'image de
Maigret, sobre et magistrale.
Le commissaire ne se laisse pas départir malgré les pressions d'un maire peu avare de menaces, rappelons que Monsieur le maire, vieil homme aux allures aristocratiques, n'est autre que le cousin du garde des Sceaux, excusez du peu. « Allons, commissaire, trouvez-nous vite un coupable, n'importe lequel fera l'affaire, on ne peut pas laisser ainsi les concitoyens de cette ville dans le doute et l'inquiétude ! »
Les concitoyens, ce sont surtout ceux qui l'ont élu, les siens, une bourgeoisie conservatrice, composée de notables vissés sur leurs pré-carrés comme des berniques sur leurs rochers, englués dans leurs petits secrets hypocrites, leurs jalousies quotidiennes...
La manière dont
Simenon dépeint la sociologie du cru est d'une férocité implacable.
Mais il en faut plus pour coller la pression à un
Maigret, mutique, bourru avec son indéfectible pipe vissée à la bouche. Parfois une colère sourde semble venir comme une vague. La seule pression qu'il accepte, c'est celle qu'on lui sert au zinc du bar de l'Amiral.
Alors il pleut des crimes comme la météo...
La ville a peur, certains commerçants descendent le rideau métallique de leur échoppe, tandis que les journalistes autant locaux que parisiens affluent à l'hôtel de l'Amiral, devenu à la fois le quartier général mais aussi le théâtre de l'affaire...
D'autres personnages à la fois ordinaires et insolites traversent le récit, une jeune fille de salle nommée Emma, un vagabond aux empreintes formidables, mais surtout un chien errant,
le chien jaune, dont
Maigret et son acolyte l'inspecteur Leroy, un jeune homme bien élevé qui ne comprend pas toujours les méthodes de son patron, voudraient tant qu'il soit doté de la parole pour nous démêler l'écheveau de cette énigme. Un chien qui n'a demandé rien à personne et que la foule idiote et apeurée va vite en faire un bouc émissaire...
En toile de fond de cette intrigue, une histoire d'amour touchante apporte une note intime au drame.
Une poésie cinématographie ancre les pages de ce roman qui se laisse lire avec un plaisir infini à regarder la pluie tomber derrière la vitrine embuée du café-hôtel de l'Amiral.