Et bien voilà un roman inspiré par une histoire vraie qui ne peut laisser indifférent..... C'était il n'y a pas si longtemps, 1971, le Cambodge est en pleine guerre et au milieu de celle-ci il y a des familles.
Guillaume Sire retrace l'incroyable épopée d'un garçon de 11 ans, Saravouth, fils d'une mère française, professeur, qui lui donnera le goût des livres, de la littérature, à lui et sa soeur, Dara, de deux ans sa cadette, sa complice de jeux et d'histoires. Elle lui montrera tout ce que peut lui apporter les livres, un trésor dans lequel il va pouvoir puiser sans cesse. Son père travaille au Ministère de l'Agriculture et règle les litiges des paysans.... Mais il y a des litiges qui se règlent autrement que dans des formulaires, ils se règlent dans le sang et les larmes et Saravouth va en connaître le prix.
Il va se trouver séparer de ses parents et sa soeur et se lancer dans une quête sur plusieurs années à leur recherche à travers un pays dévasté. Jamais il n'abandonnera, jamais il renoncera car il possède une force : son Royaume Intérieur, qui le pousse malgré les blessures, les traumatismes, les faux espoirs, a toujours avancer, a toujours espérer. Et dans son royaume il pêche, il lance des ficelles comme on lance des bouteilles à la mer, pour attraper les mots, les personnages qui l'aideront à surmonter les épreuves.
C'est un récit poignant parce que le reflet de tant de vies oubliées, anéanties, torturées et que l'auteur se fait simplement le porte-parole de Saravouth qui lui-même est le témoin d'un génocide. Il se glisse dans son corps, dans sa tête et parcourt avec lui le pays ravagé. Sa plume se fond dans la voix du garçon et dans le décor pour restituer à la fois la beauté de la nature mais aussi toute l'horreur quand celle-ci se fait le théâtre des combats :
"Sur les rives, la forêt se déboucle, ensanglantée, calcinée. Cette forêt qui l'a nourri à la tétine de ses arbres, il la reconnaît à peine. Palmiers en feu. Vastes étendues de terre brûlée. Les rares troncs à tenir debout semblent montrer leurs plaies à Dieu en répétant : "Pourquoi ? Pourquoi ?" (p173)"
Guillaume Sire découpe le roman en trois parties que l'on pourrait résumer en : Avant : le bonheur, l'Errance et la fin des espoirs. La famille Inn, celle de Saravouth, vivait heureuse à Phnom Penh, était unie malgré parfois les regards et les mots sans complaisance envers leur métissage et leur religion. Mais il y avait tant d'amour au sein du foyer, que tout le reste était balayé. Et puis il y avait le refuge dans l'Illiade, l'Odyssée, Peter Pan, ses aventures héroïques, ses sources inépuisables dans lesquelles il viendra s'abreuver.
Comme dans toute guerre, il y a des bourreaux et pour Savarouth le sien porte un costume bleu, il y a ceux qui en tirent bénéfice, il y a ceux qui porteront aide et qui iront jusqu'au sacrifice de leurs vies au nom des enfants recueillis, des règlements de compte mais aussi des petits bouts d'hommes, comme Saravouth, doté d'une volonté farouche de vie et d'espoir..
"Ils vivent là, comme de si rien n'était, dans les canapés, ventripotents, à fumer des cigares cubains et à boire des whiskys au goût de terre d'Ecosse pendant que le pays s'effondre, comme un mendiant à leur porte, et que des chiens lèchent ses ulcères.(p230)"
Guillaume Sire arrive à en faire un récit à la fois sombre et lumineux, tendre et violent, un chant d'amour, de courage, d''espoir et comme il nous l'enjoint à la fin de son livre, je suis allée voir Saravouth joué aux échecs, sa tête pleine de sombres images mais aussi d'éclats de fer comme les traces d'un passé qui ne peut s'effacer.
J'avais découvert
Guillaume Sire avec
Réelle sur le thème de la télé-réalité, sujet qui ne m'avait pas passionné en lui-même, mais le changement de registre m'a montré sa faculté à s'immerger dans des vies, très différentes, à s'effacer pour laisser la parole à son jeune héros et pour ce roman retracer une page d'histoire à travers les yeux d'un enfant que je ne suis pas prête d'oublier....
Le romancier s'efface pour devenir le témoin d'une histoire vraie, pour se faire le porte-parole de ceux qui furent les victimes collatérales d'une guerre civile armée par des puissances étrangères et dont ils portent encore en eux les traces. A la différence d'un roman, les faits sont là, l'histoire est écrite et la difficulté est d'en restituer toute l'horreur mais aussi les moments lumineux sans jamais se substituer à elle.
Guillaume Sire le fait parfaitement. Il a laissé la petite flamme rouge présente dans le regard de Saravouth et elle ne s'éteindra pas dans ma mémoire.
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