El amigo de Praga

L'ami de Prague, c'est Frantisek Kriegel, homme politique tchèque, unique dirigeant qui refusa de signer le Protocole de Moscou après le Printemps de Prague. En 1968, à Barcelone, un homme feuillette El Correo Catalán, lorsqu'un entrefilet attire son attention: un dirigeant tchèque, Kriegel, n'a pu intervenir dans les négociations, accusé d'être à la tête d'une conjuration sioniste. Stupéfait, l'homme se souvient: le Major Kriegel qui était son supérieur durant la guerre d'Espagne, où il gérait les équipes sanitaires, est devenu une figure politique importante. Sans nouvelle de lui depuis la Retirada, l'écrivain et pédagogue de langue catalane Jaume Ministral Masià, car c'est de lui dont il s'agit, décide de lui écrire.

Premier roman de l'universitaire Joan Manuel Soldevilla, El amigo de Praga revient sur la relation entre l'homme politique tchèque et l'auteur catalan qui publia en 1968, en pleine dictature franquiste, dans le journal La Vanguardia un vibrant hommage à son ancien compagnon de guerre. Découverte par Soldevilla dans les documents personnels de Ministral, la correspondance entre les deux hommes (complétée ensuite par des investigations dans les archives de Prague ) éclaire d'un nouveau jour leur parcours. Comment le Catalan avait-il pu faire parvenir des lettres à un communiste Tchèque, entre dictature et Guerre froide? C'est là qu'entre en jeu le Troisième Homme, ou plutôt la Troisième Femme, Teresa Pàmies l' écrivaine espagnole d'expression catalane , qui après s'être exilée en France, à Cuba, en République dominicaine, au Mexique, était partie travailler à Belgrade puis à Prague et qui permit l'échange épistolaire via un réseau de Républicains exilés un peu partout dans le monde.

L'ami de Prague est d'abord un roman sur une improbable amitié entre un homme né à Ivano-Frankivsk (aujourd'hui en Ukraine), qui avait fui l'antisémitisme pour étudier la médecine à Prague, rejoint les Brigades Internationales d'abord en tant que chef du service médical de la XIème Brigade puis de la 45è Division Internationale, interné à la fin de la guerre dans les camps français de Saint-Cyprien puis de Gurs, exfiltré grâce à la Croix Rouge norvégienne pour être médecin en Chine , en Inde et en Birmanie, devenu un homme politique de première importance dans son pays et un prolifique auteur catalan (hélas essentiellement connu des seuls catalanistes), issu d'une famille conservatrice, membre de la Federación de Jóvenes Cristianos de Cataluña qui se retrouva incorporé au sein de la 45e Division Internationale avec des Italiens de la XIII Brigade Garibaldi, des Allemands, des Tchèques, des Polonais de la XIII Dombrowski… une amitié en plein chaos qui semblait s'être terminée avec la dissolution des Brigades.

C'est aussi un roman sur le siècle, sur les engagements, et l'évènement majeur que fut le Printemps de Prague. Fidèle à ses idéaux, Kriegel, particulièrement maltraité parce que juif, fut le seul à refuser de signer le « Protocole de la honte » et dut passer le reste de sa vie sous surveillance. Même ses obsèques furent occultées par crainte de manifestations populaires.
Erudit, passionnant, L'ami de Prague offre un grand voyage dans le passé européen.