J'en ai sacrément bavé pour rédiger cette chronique, qui évidemment n'engage que moi... On m'a toujours présenté "Rêve de Fer" de Norman Spinrad comme un chef-d'oeuvre incontesté de l'uchronie, en plus d'être un ouvrage incontournable de la Science-Fiction. Je vais être cash, donc une fois de plus je ne me vais pas me faire des amis avec cette critique : personnellement, je l'ai trouvé inintéressant en plus d'être purgesque. Déjà difficile d'entrer dans une oeuvre conçue pour faire la polémique sans appartenir à l'époque et la société de celui qu'il l'a écrit. Ensuite j'ai du mal avec les résistants de 1946 : c'est beaucoup plus facile de critique le nazisme dans les années 1970 que dans les années 1930, et de toutes les manières ici Norman Spinrad n'est pas Berthold Brecht donc fin du rêve (de fer).
Pourtant l'idée de départ est séduisante : réaliser dans un emboîtement littéraire postmoderne un pamphlet contre les idées suprématiste (sauf que son éditeur Michael Moorcock avait déjà fait cela, et en plus fin, en plus court, et en plus simple, bref en mieux, d'ailleurs il avait écrit son cycle post-apo "Hawkmoon" juste avant... d'ailleurs on y retrouve les rares bonnes idées de son roman, sûrement un hasard ^^)
Dans sommes dans un univers uchronique dans lequel Adolf Hitler a émigré aux États-Unis au lieu de la République de Weimar, et il a mis ses talents d'artistes au service des éditeurs new-yorkais à la grande époque des pulps, comme illustrateur d'abord, comme auteur ensuite. Nous lisons ce qui est censément être son chef-d'oeuvre, « Le Seigneur du Svastika » sorti en 1951 qui aurait rencontré un immense succès auprès des lecteurs et des critiques au point de remporter le Prix Hugo en 1954 : ni le titre ni la date ne sont innocents, puisqu'il ont été soufflés à l'auteur par son éditeur Michael Moorcock (car comme chacun doit le savoir Michael Moorcock hait viscéralement tout ce qui touche de loin ou de près à J.R.R Tolkien). L'idée c'est que l'hitlermania aurait remplacé la tolkinenmania parce que l'oeuvre aurait répondu aux besoins d'un public avide d'idées d'extrême-droite face aux idées d'extrême-gauche véhiculée par une l'URSS première puissance mondiale...
Dans la 1ère partie on suit l'arrivé de Feric Jaggar dans la Grand République de Heldon, qui ressemble à n'importe quel barbare arrivant dans un pays civilisé, ou n'importe quel représentant du lumpenprolétariat arrivant dans un pays uberrich. Sauf que tout est vu à travers le prisme d'un racisme primaire et primale : tout ce qui est WASP est beau, propre, ordonné, et tout ce qui ne l'est pas est moche, sale, chaotique... le Gary Stu d'Adolf Hilter ne doute pas un instant de son bon droit et de sa destinée manifeste, trouvant rapidement à qui parler suprématisme en bonne société et faisant d'une bande de loubards suprématistes ses premiers partisans. Sauf que la manière dont le chef des Hells Angels lui fait allégeance ressemble furieusement à une scène de cul gay (d'ailleurs on fait bien comprendre que est le love-interest homo-érotique de Feric Jaggar donc le fantasme d'Adolf Hitler)...
On aurait pu avoir une critique de l'American Dream, un détournement et une déconstruction de la quête du Héros aux mille et un visage, avec un Roi Arthur national-socialiste pour se moquer de l'élu qui doit récupérer un artefact magique et accomplir la prophétie... Oui mais non, Norman Spinrad se contente d'une farce grinçante ni drôle ni intelligente !
Dans la 2e partie on suit l'ascension de Feric Jaggar qui après avoir transformer un club de brasserie en parti politique militarisé et fanatisé part à la conquête d'Heldon. C'est donc sans surprise qu'on retrouve Bogel / Joseph Goebbels, Waffing / Hermann Göring, Remler / Heinrich Himmler, Best / Rudolf Hess et tout la clique nazie IRL et on retrouve la brutalisation de la politique, l'embrigadement de la société, la Nuit des Longs Couteaux (qui s'attarde sur la trahison du love-interest homo-érotique du Gary Stu d'Adolf Hitler), les Lois de Nuremberg, la Nuit de Cristal, le réarmement et tutti quanti...
Le Führer en tournée dans tout le pays est fasciné par les mass médias et organise de belles chorégraphies militaires, avant d'agiter son symbole phallique en beuglant quelques diatribes haineuses et tout le monde tombe à ses pieds. On aurait pu avoir une réflexion sur l'utilisation des médias de masse pour manipuler les masses (surtout à l'époque de Tricky Nixon), sur les rassemblements de foules destiner à dissoudre les individualités, sur l'apathie puis la complicité des autorités qui laissent faire passages à tabac, ratonnades et pogroms en bonnes et dues formes (surtout à une époque où la droite américaine se radicalisait fortement et rapidement pour accouche du néoconservatisme), ou sur le gros délire illuminati (qui aurait pu donner lieu à une chouette hommage à Philip K. Dick)… Oui mais non, Norman Spinrad se contente d'une farce grinçante ni drôle ni intelligente !
La 3e partie est une parodie de WWII qui se résume à un Drang Nach Osten basique et linéaire qui n'en fini plus, alors qu'on passe du début de l'âge du pétrole à l'aboutissement de la conquête de l'espace en quelques mois… On est dans la blitzkrieg de plus en plus grotesque, et sur le Front Est on suit bêtement Feric Jaggar menant ses troupes contres des hordes de mutants de plus en plus grands, de plus en plus stupides, de plus en plus affreux, mais surtout de plus en plus nombreux, en moto, en half-track, en char d'assaut ou en bombardier... Dès qu'il y a un soupçon de résistance il tranche dans le vif avec son Commandeur d'Acier et c'est réglé, dès qu'il y a un soupçon de problème il trouve immédiatement une idée géniale et c'est réglé.... Donc au final c'est une longue suite de massacres, avec exfiltration des purhommes viables pour la cause et élimination des populations métisses et mutantes dans des camps de la mort. Tout est conçu pour épouvanter un lectorat fictif, et pour dégoûter et écoeurer un lectorat réel : dans les deux cas c'est réaliser à grand renforts de descriptions lovecraftiennes. La marche triomphale autocentrée du Führer fantasmé n'est interrompue que par quelques interludes sur Best nouvel love interest homoérotique de l'auteur uchronique, sur les rapports succincts de ses subordonnées consacrés à la mise au pas des nations conquises et sur leur intégration à l'espace vital du Nouvel Âge, ou les beuveries qui suivent les victoires des Soldats du Svastilka dans les ruines des villes qu'ils ont détruites...
On aurait pu avoir une réflexion sur Feric Jaggar qui s'insurge sur la lobotomisation des hordes mutantes alors que ses hordes de purhommes sont toutes aussi lobotomisées, sur les guerres d'anéantissements d'autant plus que pas mal de scènes sont des parodies de films de guerre hollywoodiens ou d'événements ayant eu lieu IRL durant la Guerre du Vietnam, ou sur l'équilibre de la terreur et l'apocalypse nucléaire qui aurait eu lieu s'il était rompu… Oui mais non, Norman Spinrad se contente d'une farce grinçante ni drôle ni intelligente !
Il y a un 4e acte assez bref
Feric Jaggar découvre le Grand Dominateur au fond de son bunker, qui lui explique son master plan pour assouvir sa vengeance : recourir aux armes des grands anciens pour projeter dans l'atmosphère suffisamment de poussières radioactives pour contaminer le patrimoine génétique du monde entier. Qu'importe Feric Jaggar et ses SS vont au bout de leurs idées : ils se stérilisent pour l'exemple avant de stériliser leur population toute entière (déjà largement stérilisée avec l'application de leur politique eugéniste), donc c'est les clones de spécimens génétiquement purs donc génétiquement supérieurs qui iront coloniser les étoiles à bord de vaisseau chacun dirigé par un clone du Führer qui accède ainsi à l'éternité... The End !
Bref, l'auteur transforme une bonne nouvelle en roman long, lent et chiant... Imbuvable sur la forme et nauséabond sur le fond (ou l'inverse, c'est comme vous voulez), mais cela fait partie de l'exercice de style puisque qu'on se retrouve rapidement à lire un "Mein Kampf" SFFF (et pour avoir lu ce torchon, c'est vraiment ça) : donc pas une page sans volonté raciale, pureté génétique, croix gammée, uniformes noirs, capes vermeilles, saluts du Parti, défilés au pas de l'oie, etc. On a rapidement des hauts de coeur car comme dans les films gore qui naissent à cette époque on mise tout sur une surenchère de violence gratuite : bidonvilles puants, caniveaux déliquescents, égouts génétiques, métis bavant, hybrides urinant et mutants déféquant, avant une longue suite de crânes écrasés et de corps démembrés uniquement interrompue par les acclamations et les célébrations des SS (Soldats du Svastika). Les prescripteurs d'opinion déclarent qu'il s'agit en fait d'un exercice de style brillamment réussi car Norman Spinard aurait écrit son roman comme l'aurait écrit un mauvais écrivain pensant encore en allemand au lieu d'écrire en anglais... Mouais, super... Il aurait pu faire un effort et écrire un roman SFFF comme on l'aurait écrit quelqu'un des année 1950 pour être raccord et pas on comme quelqu'un l'aurait écrit dans les années 1970 (ben oui, par exemple le post-apo ce n'est pas la came de l'Âge d'Or mais celle de la New Wave ^^).
On peut parodier, combattre des idées suprémacistes en parodiant ceux qui les émettent et ceux qui les reçoivent, mais avec finesse et profondeur ce qui n'est absolument pas le cas ici (ce que fit par exemple son éditeur Michael Moorcock dans son "Hypercycle du Multivers". J'ose espérer qu'ici l'auteur prêche le faux pour dire le vrai et que le reste de la bibliographie de l'auteur est d'une autre trempe sinon les inquisiteurs culturels, les commissaires culturels et les prescripteurs d'opinion qui l'ont porté aux nues vont m'entendre et pas qu'un peu hein !!! Et je n'oublie pas la préface peu inspirée de Roland C. Wagner qui se reconnaît dans l'auteur babyboomer et épouse ses points de vue sans trop de recul, donc il nous explique pas mal de choses sexe / drogue / Rock'n'Roll qui seraient au minimum largement à nuancer voire à débattre au lieu de citer bêtement le triste sire Alain Dorépire (alias « je vaux mieux que tout le monde donc je chie sur tout le monde »)... Genre il nous explique que personne ne peut mal interpréter la farce grinçante de son collègue : « je ne vois pas comment un individu sain d'esprit pourrait lire le Seigneur du Svastika au premier degré, et encore moins adhérer aux convictions nauséabondes de ses protagonistes »... Mdr : le roman roman avait été interdit pour apologie du nazisme en RFA, et suspecté du même délit dans pas mal d'autres pays. Il a du se justifier à posteriori pour clarifier son propos, mais visiblement cela n'a puisque son roman fait toujours partie des lectures recommandés du parti néonazi américain... Soupirs...
La fausse postface qui est justement censé coupercourt aux critiques et aux mauvaises interprétation est encore pire que le reste puisque qu'elle mêle si intimement 1er, 2e et énième degré qu'il est impossible d'en tirer quoi que ce soit. A travers les propos d'Homer Whipple il dépeint son Adolf Hitler uchronique comme un désaxé syphilitique coincé entre homosexualité refoulée et séborrhophobie manifeste : il est clair qu'il veut le scalp d'H.P. Lovecraft (et c'est mal fait parce que jamais ce dernier n'aura pu supporter de vivre dans la ville cosmopolite de New York). Donc au final Hitler était fou, les SS étaient des monstres, et le nazisme c'était pas bien... Waouh bravo la profondeur intellectuelle ! Et passé un cap on peut penser que le gros délire cuir / moustache écrit à la grande époque du cuir / moustache c'est quand même pas très loin de l'homophobie primaire...
https://www.youtube.com/watch?v=nF35_bqqU-E
Et pour ne rien gâcher il se lance en parallèle sur un dézinguage de la « SFFF commerciale », en partant d'un pseudo analyse freudienne de mes couilles : le cape et épée n'est que phallisme, la Fantasy n'est que suprématisme, la SF n'est qu'impérialisme, et les trois ne sont que sexisme... Waouh bravo la profondeur intellectuelle ! Son idée, déjà développée dans le visionnaire "Jack Barron et l'Éternité" est le contrôle des populations par les mass médias, et ici il explique qu'il suffit de flatter les bas instincts de la plèbe pour lui faire gober n'importe quoi. Déjà, il scie la branche sur laquelle il est assis : sans « SFFF commerciale » (c'est-à-dire une littérature populaire accessible à tous et à toutes), pas de public, donc personne pour acheter ses romans et lui laisser le temps de chier dessus... Ensuite il considère qu'il suffit d'être intelligent et cultivé pour être immunisé au idées nauséabonde du suprématisme et du totalitarisme : personne ne nie les dégâts incommensurables provoquée par l'ignorance et la peur qui en résulte, mais s'il y a bien une chose que L Histoire a prouvé par A + B c'est que cela n'a jamais été vrai ! Pour filer la métaphore nationale-socialiste, les caciques du NSDAP était loin d'être des incultes et des illettrés, et l'Allemagne de 1946 n'a pas été purgée comme annoncée par les Alliés parce que 90% des élites que Norman Spinrad jugent au-delà de tout ce merdier étaient acquises au nazisme, et c'est pour la même raison que personne ne fait la sociologie de la collaboration en France : on y retrouve tout le who's who de la bourgeoisie et de l'establishment de l'époque... Enfin pourquoi dézinguer la production culturelle d'une époque, sans incriminer l'époque qui lui a donné naissance ? pourquoi incriminer les troufions sans incriminer les officiers qui leurs ont donné des ordres (impression de déjà vu pour tout ceux qui ont eu vent des résultats des Procès de Nuremberg et de Tokyo) ?
Norman Spinrad et ses groupies tirent ainsi à boulet rouges sur les affreux fachos lauréats du Prix Hugo, mais moi au lieu de suivre aveuglement la doxa des bobos hipsters j'ai lu A. E. van Vogt, Isaac Asimov, Robert A. Heinlein, Ray Bradbury, Fritz Leiber, James Blish, Philip K. Dick, Frank Herbert, Roger Zelazny, Ursula K. le Guin, Larry Niven, Philip José Farmer… Donc si Norman Spinrad a vu chez eux un horrible crypto-nazisme, il ne vaut pas mieux que la caricature d'Adolf Hitler dont il s'est moqué... Est-ce que tout cela a été soufflé à l'auteur par son éditeur Michael Moorcock qui hait viscéralement tout ce qui touche de près ou de loin à "Amazing Stories" et "Astounding Stories" (sur le coup il est schizophrène car s'ils ont édité tous les auteurs qu'il détestait, ils ont aussi édité tous les auteurs qu'il a adoré ^^)
PS: Quant à tous ceux qui ont pris tout cela au 1er degré pour les conforter dans les préjugés que la SFFF serait intrinsèquement nazie, ce n'est même pas ridicule ou pathétique c'est juste complètement WTF : c'est du genre Hitler aimait Wagner, Wagner c'est de la musique classique donc la musique classique est logiquement nazie et tous ceux qui aiment la musique classique sont forcément nazis... Waouh la profondeur intellectuelle dont ces derniers se réclament tout le temps !
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