Le texte des deux premières pages est entre crochets comme pour souligner le peu d'importance de ce petit village sans grande distinction, si ce n'est l'absence d'une église, d'un pasteur et d'un cimetière.
Et ce procédé se répète comme un coup de projecteur, d'une personne extérieure, pour mettre en lumière un ou une habitante de ce village « sans importance ». C'est diabolique ! J'ai aimé imaginer qu'il s'agissait d'un troll farceur.
Et comme souvent chez l'auteur, aux détours de, une réflexion d'une poésie dont
Jón Kalman Stefánsson a le secret.
« C'est agréable de promener son regard sur le fjord bien qu'il n'ait jamais été très poissonneux. Au printemps, il attire les oiseaux des tourbières joyeux et optimistes, ses rives regorgent de toutes sortes de coquillages, au loin, des milliers d'îles et d'écueils surgissent de l'eau comme une denture aléatoire-et le soir, le soleil répand son sang à la surface de l'océan, alors, nous méditons sur la mort. »
Le lecteur ne cherche pas à savoir ce qui va suivre, il est là face à ces mots et suis le courant inexorablement et délicieusement d'une plongée dans ce petit village pas si « ordinaire » que cela.
L'auteur nous croque une galerie de portraits d'une poignée de villageois avec leurs joies, leurs peines, leurs drames et même leurs fantômes.
Le tout avec un halo de poésie.
« […] Davíð est naturellement le fils de l'Astronome, nettement plus petit que Kjartan, maigre comme un clou même s'il commence à avoir un petit bedon, comme s'il avait avalé un chapeau melon par mégarde […] »
Le lecteur se sent Islandais jusque dans la moelle des os. Il est au coeur de ces gens simples où finalement le meilleur des sujets à aborder et à approfondir est la vie.
Une vie qui se transforme lors de ces nuits longues et froides. La tension sexuelle à son apogée entre Kjardan et Kristin. La femme de Kjardan va régler le problème à sa façon.
Nos vies ne sont-elles pas faites de traces et de silences qui doivent rester silence. Et notre corps cet instrument unique de notre vie, de nos vies…
L'auteur nous démontre que dans ces vies de rien il se passe une immensité de choses.
C'est aussi un livre qui fait l'éloge de la lenteur.
Je ne sais si ce livre m'aura permis de percer le mystère de la vie, mais il m'a plongée dans une contrée celle d'une parenthèse, une réflexion sur la vie que l'on s'octroie, que l'on arrache au quotidien pour prendre du recul. Une lecture hors du temps mais en soi, que l'on étire afin de rester dans cet univers lumineux.
Comme l'auteur, chaque matin je me dis :
« Qu'il est bon de se réveiller tôt au village ! Ceux qui habitent près de la mer contemplent sa surface qui ondule en permanence depuis la fenêtre de leur salon, ils peuvent rester dans la véranda, leur tasse de café à la main, pieds nus, écouter les bavardages rauque de l'eider, les interventions criardes du goéland, le couvercle gris perle du ciel est immobile en l'absence de vent, la mer oscille à peine, seules quelques vaguelettes submergent par moment les rochers qui remontent presque aussitôt à la surface pour respire. Il est inutile de penser, on se contente d'exister, d'écouter, d'accueillir le réel et les sons matinaux, de pareils instants réduisent en poussière les grandes puissances de ce monde. »
Répondez à cette invitation :
« Venez donc vous ressourcer dans un lieu où il n'arrive jamais rien, où rien ne bouge en dehors de la mer, des nuages et de quelques chats domestiques. »
Et ne pas oublier que la possibilité de lire ce livre nous est offerte par
Eric Boury et sa magnifique traduction.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 16 novembre 2020.