"Ce dilemme, perte ou salut, aucune fatalité ne le pose plus inexorablement que l'amour."
(
V. Hugo)
Il était une fois un royaume barbare imaginaire...
... qui a inspiré l'une des histoires courtes à la fois des plus ingénieuses et des plus frustrantes qui soient.
Elle date de 1882, et je ne suis pas sûre que 140 ans plus tard quelqu'un soit en mesure de répondre sans hésitation à la question posée à la fin : "
La Femme, ou le Tigre ?"
Sauf un véritable saint ou le Diable en personne... mais comme un être humain ordinaire est habituellement composé d'un subtil mélange des deux, le récit continuera sans doute à tourmenter des générations de lecteurs à venir. A bien y réfléchir, même ce Diable ou ce saint ne pourraient probablement avancer un argument décisif, tellement l'âme humaine est complexe, la notion du "bien" et du "mal" relative, et l'idée de l'auteur perfidement brillante !
L'Américain
Frank Richard Stockton fait partie de ces écrivains dont la célébrité n'a jamais dépassé les frontières de leur pays ni de leur époque. Il n'y a plus que dans les recueils et les anthologies qu'on trouve encore quelques unes de leurs histoires emblématiques, dont les titres sont désormais plus connus que le nom de leur auteur. C'est aussi le cas de "The Lady or the Tiger", titre qui est peu à peu devenu le synonyme anglo-saxon d'un dilemme particulièrement épineux, voire insoluble.
De son temps, Stockton était un auteur populaire de livres pour enfants, et de récits fantastico-humoristiques pour adultes (son amusant "A Tale of Negative Gravity", déterré dans un recueil obscur, me fait vraiment regretter qu'il ne soit pas plus traduit), mais son véritable coup de maître restera cette histoire à la subtilité barbare, qui est devenue à sa sortie "la sensation de l'année".
Stockton était assailli de lettres de lecteurs dépités, qui lui réclamaient la fin avec la solution de l'énigme, mais sa seule réponse fut "la solution existe", et un énigmatique sourire.
Que nous cache donc cette gemme littéraire, qui a déjà embelli tant d'anthologies ?
Eh bien, le roi de ce pays sans nom a une certaine prédilection pour le suspense dramatique. Son arène ne sert pas aux vulgaires joutes sanguinaires, mais à soumettre d'illustres criminels au jugement imprévisible de l'incorruptible Fortune. le condamné n'a qu'à choisir l'une des deux portes identiques au fond de l'arène : l'une cache un féroce tigre qui le déchire sur place (dans ce cas, il était coupable) et l'autre s'ouvre sur l'une des plus délicieuses et fortunées dames du royaume : il est alors déclaré innocent et le mariage est célébré en grande pompe sur place. Quoi qu'il arrive, le public n'est jamais privé de son spectacle. Quoi qu'il arrive...
Or, il arrive que la fille du roi tombe follement amoureuse d'un pauvre manant, le roi va l'apprendre, et mettre le malheureux devant les portes infernales. Mais laquelle ouvrir ?
Je ne gâche rien si je révèle que la princesse sait ce qui se trouve derrière, et elle fera un signe imperceptible vers l'une d'elles.
Ce qui est vraiment important, c'est ce qui se passe dans la tête de la princesse - et accessoirement dans la vôtre - la nuit avant le "jugement". Vaut-il mieux abandonner son amant dans les griffes du tigre, ou dans le lit de la plus belle et la plus désirable de ses dames de compagnie ?
Stockton donne-t-il de véritables indices au lecteur, ou brouille t-il délibérément les pistes, dans cette prestidigitation verbale ?
L'être humain est un être versatile ; on peut bien considérer tous les "pour" et les "contre", chaque décision n'est qu'un mouvement sur l'échiquier qui va en déclencher d'autres.
Alors,
la Femme ou le Tigre ? le Tigre ou la Femme ?
Charybde ou Scylla ?
Je vous laisse décider par vous-mêmes...
http://enseignerpartager.free.fr/documents/cours/troisiemelajeunefilleetletigre.pdf
En attendant, je vous souhaite à tous un agréable voyage à travers l'Année du Tigre : voyagez en joyeuse compagnie sans trop de bagages, faites de merveilleuses découvertes en chemin, surmontez facilement tous les obstacles et prenez toujours de bonnes décisions en ouvrant la bonne porte !