La plupart des gens s’imaginent que la vérité est cachée, quelle est en dehors de l'existence quotidienne, en dehors de l’esprit humain ordinaire, quelle est inaccessible à l’homme dont les pensées et les sentiments ne seraient pas exceptionnels. On pense que pour trouver la vérité on doit se retirer du monde, acquérir des qualités, des connaissances, connaître certaines douleurs et certaines joies. A u contraire, j’affirme que dès l’instant que vous comprenez la vie telle quelle se déroule devant chacun de vous, vous comprenez la vérité... Il n’y a pas d'autre Dieu que l’homme purifié. Il n’existe aucune puissance extérieure à lui qui le dirige. Il n’a d’autre guide que lui-même. Il n y a ni paradis ni enfer, ni bien ni mal, excepté ceux qu’il crée lui-même. L’homme est uniquement responsable envers lui-même, et envers nul autre.
Ceux qui ont le sentiment d'une crise humaine totale ne manqueront pas de voir que la portée du « Connais‐toi » de Krishnamurti est aussi totale. A cet effet, ils commenceront par ne pas l'accepter, par suspendre leur jugement, et vider leur pensée de son contenu. Applaudir d'avance à un « Connais‐toi » philosophique, à la façon de ceux qui se piquent d'être éclairés et cultivés; serait une fatale erreur. Car si cette valeur est absolue, elle provoque en nous une dévastation. Elle nous fera perdre notre propre entité. Nous ne saurons plus qui nous sommes, ni même si nous sommes quoi que ce soit. Parler de totalité, d'absolu, c'est parler d'une mort psychologique. Ces mots extrêmes qu'il arrive à Krishnamurti d'avancer doivent être pris pour ce qu'ils sont, avec tout ce qu'ils impliquent.
Présenter Krishnamurti c'est se heurter, au départ, à la difficulté de le « situer » aux yeux d'un public qui, à juste raison, désire savoir « de quoi il s'agit ». Une difficulté plus grande encore consiste à le délivrer des catégories où le situent certains commentateurs qui, le connaissant, s'imaginent bien faire en comparant ce qu'il dit à des enseignements psychologiques ou religieux. Enfin, pour certains journalistes, le nom « Krishnamurti » étant indien, il ne leur en faut pas plus pour que celui qui le porte soit, à priori, un propagandiste des Vedantas, du Bouddhisme simple ou Zen, du Gandhisme, voire de Lao‐Tseu, bref, un philosophe, un mystique, faisant partie du flot de « Sagesse » qui se déverse d'Extrême Orient, au moment où s'écroulent les systèmes sociaux fondés sur elle.
Il n'y a pas de différence entre s'ouvrir à la mort et s'ouvrir à la vie. De même, refuser de mourir c'est refuser de vivre. La mort et la vie sont le double aspect de ce qui n'a ni passé ni futur, de l'intemporel. Les croyants en la matière ou en l'esprit enseignent que la privation du présent prépare une vie meilleure sur cette terre ou dans l'au‐delà. Pour les uns, le salut sera collectif ; pour les autres, individuel. Selon nos goûts, notre plaisir, notre éducation, nos tendances et, en général, notre conditionnement, nous accordons une valeur de réalité aux systèmes qui entreprennent le salut des corps ou des âmes, comme s'ils existaient objectivement en dehors de notre croyance en eux !
Directement branché sur la vie, dans son acception la plus simple, immédiate et totale, telle qu'elle s'exprime partout autour de nous, Krishnamurti passe à travers les barrières psychiques qui emprisonnent, dans ce qu'il est commun d'appeler l'humain (avec sa notion du divin) ce phénomène extraordinaire qu'est la Conscience, aussi vaste, aussi profond que l'Univers lui‐même. En un raccourci foudroyant et instantané, la conscience d'être, avec lui, échappe à ses conditionnements. Aussi bien, il est temps que ceux qui le connaissent — qui, pourrait‐on dire, l'ont reconnu — n'hésitent plus à affirmer qu'il est le messager de l'époque, l'esprit de vérité qui éclairera les siècles à venir.