Mourir à la Durée c'est voir la vérité en ce qui concerne le temps. Mourez aux systèmes, mourez aux symboles, mourez aux mots, car ce sont des facteurs de décomposition. Mourez, ainsi que je vous l'ai dit, à toute distance qui pourrait se créer en vous entre ce que vous êtes et un idéal. Mourez à votre psychisme, car c'est lui qui fabrique le Temps psychologique. Ce temps n'a aucune réalité.
Carlos Suarès: Ne pensez-vous pas, cependant, qu’une religion de l’avenir sur des bases scientifiques est possible?
Krishnamurti: Pourquoi parle-t-on de religion d’avenir? Voyons plutôt ce qu’est la vraie religion. Une religion organisée ne peut produire que des réformes sociales, des changements superficiels. Toute organisation religieuse se situe nécessairement à l’intérieur d’un cadre social. Je parle d’une révolution religieuse qui ne peut avoir lieu qu’en dehors de la structure psychologique d’une société, quelle qu’elle soit. Un esprit vraiment religieux est dénué de toute peur, car il est libre de toutes les structures que les civilisations ont imposées au cours de millénaires. Un tel esprit est vide, en ce sens qu’il s’est vidé de toutes les influences du passé, collectif et personnel, ainsi que des pressions qu’exerce l’activité du présent qui crée le futur.
S. - Pensez-vous (...) qu'une pensée collective, qu'une intelligence collective ayant enregistré et synthétisé les récentes acquisitions de toutes les sciences - biologie, ethnographie, physiologie, mathématiques, physique, etc... - si elle pouvait se constituer, serait à même de guider l'humanité vers une saine évolution?
K. - Le mouvement scientifique est déjà partout le résultat de pensées collectives et il n'existe plus de science isolée. Chacune d'elle est le point de rencontre de beaucoup d'autres. La structure psychologique de la société et de l'individu est-elle démolie pour autant?
Aucune pensée collective ne peut faire évoluer l'humanité de façon à résoudre ses problèmes. Le soi-disant individu n'est-il pas, en vérité, le collectif? Le rendre plus collectif encore serait le mécaniser encore davantage.
La question de la mort
Carlos Suarès: Mais n’existe-t-il pas une peur fondamentale?
Krishnamurti: Non. La peur est toujours la peur de quelque chose. Examinez la question très attentivement et vous le verrez. Toute peur, même inconsciente, est le résultat d’une pensée. La peur généralement répandue dans tous les domaines et la peur psychologique, à l’intérieur du moi, sont toujours la peur de ne pas être. De ne pas être ceci ou cela, ou de ne pas être tout court. La contradiction évidente entre le fait que tout ce qui existe est transitoire et la recherche d’une permanence psychologique, voilà l’origine de la peur. Pour être libéré de la peur, on doit explorer l’idée de permanence dans sa totalité. L’homme qui n’a pas d’illusions n’a pas peur. Cela ne veut pas dire qu’il soit cynique, amer ou indifférent.
Nous savons aussi que les hommes vivent dans des «milieux» humains - des sphères morales et sociales - et que la vie n'est ni intérieure ni extérieure, mais qu'elle est semblable à une marée : c'est un mouvement de va-et-vient entre l'intérieur et l'extérieur.