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3,49

sur 238 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'ai beaucoup aimé explorer cette nouvelle du maître Tanizaki. Elle a été écrite en 1932 en même temps qu' Eloge de l'ombre auquel elle fait écho. A cette époque Tanizaki s'est retiré à Osaka et travaille également à la traduction en japonais moderne du Dit du Genji. La première partie de la nouvelle pleine de références littéraires et historiques ainsi que sa structure complexe peuvent dérouter à première vue mais laissez-vous guider par le narrateur-auteur et très vite, vous verrez, vous serez comme absorbé dans son riche imaginaire poétique.
Dans la première partie l'auteur-narrateur nous emmène dans une promenade automnale autour du sanctuaire de Minase dans la région d'Okamoto, sur les traces de l'empereur Gotoba (XIIIe siècle). Celui-ci y fit édifier un palais, y donna des fêtes somptueuses. Cet empereur était aussi poète et termina sa vie en exil. Il composa en particulier ce poème mélancolique :
« Je regarde dans le lointain
Le pied des montagnes est enveloppé de brume
Rivière Minase !
Pourquoi avoir préféré les soirs d'automne ? »
Le narrateur cherche le lieu précis où l'empereur méditait et cherche aussi à retrouver l'émotion nostalgique exacte que l'empereur éprouvait alors 700 ans avant lui. Il cherche la montagne arrondie, douce, embrumée à l'ombre de la lune. Il cherche à se fondre dans la solitude du soir dans la fine brume qui flotte au-dessus de l'eau et qui semble de loin lui faire signe. Cette rêverie mémorielle lui fait oublier l'heure. Il suit alors le conseil d'un marchand de nouilles. Il emprunte un bac, s'étonnant qu'il en existe encore, qui le mène sur un banc de sable couvert de roseaux au milieu du fleuve. Là avant d'embarquer sur un second bac le conduisant vers la rive opposée, il sort son carnet à dessin et boit quelques verres d'alcool. Une lumière bleutée enveloppe le fleuve. Il chantonne, pense aux courtisanes qui se frayaient un passage dans les roseaux pour se vendre aux marchands. Que sont-elles devenues ? Ont-elles été obligées de se sacrifier par compassion pour Amina ? le narrateur sent alors une présence derrière lui. Un homme est accroupi dans les roseaux. Il est d'Osaka. Ils se mettent à discuter, s'accordent sur tout, boivent beaucoup de saké et se mettent à chantonner des airs du Nô. le narrateur confie qu'il songe aux fantômes des courtisanes du passé et l'inconnu était justement en train de songer « aux fantômes d'un passé disparu ». Depuis l'enfance, il a été plus ou moins contraint d'assister aux fêtes de la lune. En fait son père venait guetter à travers d'épaisses feuilles de roseaux une jeune femme joueuse de koto à la voix raffinée. Chaque année la scène se répétait, sous la lune bleutée.

Le narrateur s'efface tel le waki enivré de saké dans le théâtre No. L''inconnu aux roseaux comme le shite du Nô nous raconte alors l'histoire du père. Il y a bien longtemps, ce père aima O_Yu, une jeune veuve de vingt-trois ans et mère d'un petit garçon. Elle avait été élevée comme une princesse et régnait sur la maison de ses beaux-parents. Ceux-ci lui laissaient beaucoup de liberté afin qu'elle ne se remarie jamais ce qui aurait privé l'enfant d'héritage. Shinnosuké (le père de l'inconnu) issu de la bourgeoisie rêvait depuis longtemps d'épouser une beauté aristocratique à la peau laiteuse. Au théâtre où il la rencontra il fut sous le charme de cette poupée de cour. Mais comment contourner l'obstacle des beaux-parents ? Grâce à l'entremise d'une tante, l'idée s'imposa alors d'épouser la jeune soeur O-shizu. Ainsi Shinnosuké resterait très proche de l'aînée…Je ne vous en dirai pas plus sur ce très tanizakien ménage à trois plein de perversité et de calculs sournois.

Le destin de la belle O-Yu rappellera celui de l'empereur mais aussi celui des courtisanes, la douleur de l'empereur celle du père de l'inconnu aux roseaux. Au fait ce coupeur de roseaux ne serait-il pas un fantôme qui se fond dans le clair de lune ?
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Un homme se rend dans le sanctuaire de Minase, un ancien palais impérial. Obsédé par un très vieux poème adressé à l'empereur, il déambule dans les lieux avec admiration et émotion. « Sans doute l'aspect des montagnes au-dessus de la rivière et le cours de celle-ci avaient-ils dû subir quelques changements en l'espace de sept cent ans, mais le paysage qui se peignait dans mon âme, chaque fois que je récitais le poème de l'empereur retiré, ressemblait dans l'ensemble à la vue qui s'étendait sous mes yeux. » (p. 27) La découverte enchantée du sanctuaire exacerbe le lyrisme du narrateur qui, sous l'effet du vin, commence à écrire en admirant la lune pleine.
Sa retraite créatrice est interrompue par l'apparition d'un homme dans les roseaux qui se propose de lui narrer une histoire extraordinaire. Il l'invite d'abord à boire : « Acceptez cette coupe pour le prix de la piètre récitation que vous me ferez la grâce d'écouter. Tout l'effet en serait gâté si votre griserie se dissipait. » (p. 47) Une fois achevées ces libations poétiques, l'inconnu des roseaux raconte la curieuse relation qui unit son père à deux femmes, son épouse O-Shizu et sa belle-soeur O-Yû. Cette dernière était une femme éblouissante, d'un grand raffinement et habituée au luxe. le père de l'inconnu était très épris d'elle, mais elle parvint à lui faire épouser sa soeur tout en gardant un contrôle certain sur le couple.
Le récit s'achève par la disparition de l'inconnu. Qu'est-il donc advenu au cours de cette soirée ? Sont-ce les effets du saké qui ont joué sur l'esprit du narrateur ? Difficile d'affirmer quoi que ce soit, si ce n'est que la longue rêverie du narrateur, soulé d'alcool et de lune, se dissipe dans un bruissement de roseaux, emportant ainsi le mystère de la troublante O-Yû qui hantera longtemps les esprits qui ont eu connaissance de son histoire.
J'ai particulièrement aimé la construction du récit. On passe d'un narrateur à la première personne à un autre, dans un système de récits enchâssés et de correspondances. Ce court roman est riche d'une antique intertextualité : haïkus, poèmes impérieux et créations artistiques s'égrènent dans la première partie. L'histoire d'O-Yû est une réécriture d'un vieux conte japonais. Junichiro Tanizaki connaît les oeuvres classiques et les honorent, tout en proposant des variations très personnelles et modernes. Même si je n'ai probablement pas saisi toutes les nuances du récit, j'ai apprécié sa beauté et sa délicatesse.

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Grand maître du récit court, Tanizaki nous donne, avec "Le Coupeur de Roseaux", celui qui pourrait passer sans difficultés comme le modèle de la nouvelle japonaise. Subtilité, art de la suggestion, érotisme, nostalgie de temps qui ne sont plus et enfin fantastique, les thèmes et caractéristiques majeurs de l'art japonais se mêlent ici avec un tel bonheur qu'ils atteignent la perfection.

Attention pourtant : une première lecture en décevra plus d'un, surtout s'ils lisent par hasard et ne sont pas habitués à la littérature nippone. En ce cas, abandonnez le livre, laissez-le en repos et revenez-y au bout d'un ou deux mois ; déchiffrez à nouveau ces phrases qui expriment avec tant d'innocence et suggèrent avec tant de hardiesse et vous verrez alors se déployer devant vous tout l'art de Tanizaki Jun'ichirô.

J'ai lu, ici et là, que certains se plaignaient d'une introduction selon eux trop longue et dans laquelle ils n'avaient discerné qu'une digression sur la géographie du Japon et une suite de remarques terre à terre sur quelques sites, dont celui consacré à la mémoire de l'Empereur Gotoba, mort en exil aux îles Oki, le 28 mars 1239. Quel aveuglement ! Les quarante-cinq premières pages de la nouvelle n'adoptent ce style que pour mieux amener le lecteur à osciller entre la réalité du Japon moderne et les multiples charmes de son passé révolu. Chant des couleurs, bribes de poèmes et de chroniques, vagabondage du narrateur et de la pensée par-delà les siècles et les personnages, tout est là pour nous amener à accepter la chute du récit, à la fois brutale et douce comme l'écho d'un galet tombant dans la Minase.

L'intrigue ressemble à un fil de soie : le narrateur, parti visiter le sanctuaire dédié à l'Empereur Gotoba et à deux de ses successeurs, rencontre, à la nuit tombée, sur le banc de sable où il attend de reprendre le bac pour rentrer chez lui, un homme qu'il prend pour un coupeur de roseaux. Une discussion s'engage et l'inconnu fait le récit des étranges amours de son père avec la belle O-Yû, amours toutes platoniques mais favorisées par la soeur d'O-Yû, O-Shizu, qui était aussi la soeur d'O-Yû ...

Tanizaki médite une fois de plus sur un thème qui lui est cher (et qu'il semble avoir lui-même abordé dans sa vie privée), le triangle amoureux à l'érotisme insinuant et malsain, avec des protagonistes tour à tour consentants et révoltés. Beaucoup d'interrogations sont posées en filigrane mais on n'obtient que quelques réponses. L'auteur laisse à l'imagination de son lecteur le soin de découvrir ses propres explications à une situation aussi ambiguë que désespérée - l'éventualité du double-suicide traditionnel entre amants est un temps évoquée.

Tout comme, à la fin de la nouvelle, il nous laisse décider si la chute, digne d'une histoire de fantômes, qu'il nous suggère, nous frustre ou nous comble. Pour moi, je fus comblée et j'espère qu'il en sera de même pour vous. ;o)
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Avec l'idée de visiter un sanctuaire, "Minase" à Edo, "le visage rougi par le vin", le promeneur s'en va admirer la lune sur un banc de sable formé au confluent du Yodo et de la Katsura. Après quelques lampées de saké, grisé par l'alcool, il "contemple l'étendue déserte du fleuve, dont les eaux s'écoulent sans bruit sous l'éclat de la lune" et, comblé de nostalgie, il rencontre un personnage. Un homme accroupi dans les roseaux, qui lui conte une histoire d'un autre âge, mais qu'il dit avoir vécue. Celle d'une très belle femme jouant du koto. À la fin du récit, l'homme accroupi a disparu et l'on n'entend qu'un vent ténu soufflant dans les roseaux.
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Ah je retrouve ici la littérature du monde flottant que j'affectionne ! C'est bien écrit, la première partie est contemplative et nous amène en douceur vers l'intrigue proprement dite en seconde partie. C'est fluide, subtil et, comment dirais-je…complet. Rien de trop, rien à ajouter. Ce livre tout en finesse se lit d'une traite avec beaucoup de détachement et de plaisir. Laissez-vous bercer !
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Le coupeur de roseaux/Junichirô Tanizaki
On ne présente plus Tanizaki, cet immense écrivain mort en 1965 dont j'ai commenté déjà plusieurs chefs d'oeuvre dont « La clef ou La confession impudique ».
Dans le bref roman ici présenté, l'auteur nous emmène dans un premier temps plutôt dans la méditation et le style très poétique nous décrit les beaux sites proches d'Ôsaka et de Kyoto et notamment au sanctuaire de Minase.
Puis apparaît un homme qui va conter au promeneur une histoire, celle de son père et de la belle O-Yû, un amour inaccessible. Jeune veuve avec un enfant, celle ci ne peut prétendre à se remarier.
Le père va alors user de tous les subterfuges pour demeurer aux côtés de son amour.
Dans un style tout en délicatesse, l'auteur nous offre avec raffinement et sensualité une balade à la pleine lune en évoquant la passion amoureuse, la beauté et la poésie.
Les amateurs d'art littéraire japonais apprécieront la lenteur d'évocation nourrie d'un rare souci du détail tant dans les gestes que dans les mots.

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Je pensais avoir dej lu cet auteur mais il semble que ce ne soit pas le cas. Peu importe, choisi chez Emmaus je ne regrette pas. Un très court roman dans lequel je me suis glissée avec bonheur comme si le narrateur vous prenait par la main et vous emmenait dans se pérégrinations jusqu'à cette rencontre…. Et avec le narrateur nous découvrons l'histoire de ses parents et de cette tante si belle et si intense… magnifique et magique, atemporel et ensorcelant, trop court mais si beau. Je l'ai lu en une heure trente avec regret la dernière page terminée…
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