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Le Tatouage...

"Fondue dans l'encre de Chine, l'âme du jeune tatoueur entrait dans les tissus. Chaque goutte instillée de cinabre des Ryûkyû dilué dans l'alcool de riz était comme une goutte de sa propre vie. Il y voyait la couleur même des émois de son âme."

Un tatouage comme un souvenir, une image, un sentiment profond figé dans la peau pour l'éternité. Un tatouage comme un fantasme, une obsession lancinante, celle de Seikichi, jeune maître tatoueur qui excelle à son art dans un Tokyo révolu de l'époque du vieil Édo dans lequel les aiguilles du temps avancent au rythme de ses aiguilles qui transperçent inlassablement les chairs meurtries, à vif, dans sa quête éperdue de pouvoir un jour trouver la femme, l'unique, à la beauté parfaite, à la peau blanche comme la neige, au grain pareil à de la soie, une femme aussi fascinante que terrifiante qui dans les yeux de Seikichi est à l'image d'une toile de maître représentant La Fumure. La Fumure qui pourrait bien se cacher derrière les traits d'une douce et troublante apprentie maiko.

Les Jeunes Garçons...

"L'élégance hautaine de Shin .ichi, ses méchancetés à la fois imprévues et impitoyables avaient réussi en quelques heures à captiver mon coeur tout entier."

N'est-il pas vrai que les actes des enfants se nourrissent de ceux
des adultes ? Ils ne font que reproduire inconsciemment ce qui leur est donné d'entrevoir.
Ei-chan le narrateur de cette nouvelle se remémore l'année de ses 9 ans alors qu'il était élève en quatrième année d'école primaire à Arima et plus particulièrement de l'un de ses camarades : Shin .ichi, fils d'une famille fortunée établie dans l'arrondissement de Nagano, petit garçon timide et introverti constamment chaperonné par une servante même durant la classe, faisant régulièrement l'objet de nombreuses railleries de la part de ses petits camarades. Shin .ichi au visage d'ange qui se mue en véritable petit tortionnaire durant leurs nombreux jeux dans la somptueuse résidence de type occidentale que possède sa famille et qui lui inflige des sévices dignes des rapports de maître à esclave. Des jeux innocents qui peu à peu dévient vers des jeux d'une rare perversité, à la limite du sadomasochisme, à tel point que notre petit Ei-chan se retrouve bien malgré lui en proie à une fascination étrange pour son ami, éprouvant même un plaisir malsain à se soumettre à ses caprices les plus vils.

Le Secret...

"Un soir, à peine ai-je aperçu un kimono de femme à fond indigo tacheté de petites lunes blanches plus ou moins larges, que je fus pris du désir irrépressible de m'en revêtir."

Dans un Japon contemporain du début du vingtième siècle, les déambulations et les rêveries nocturnes d'un homme, érudit, lettré, qui pourrait bien être Tanizaki lui-même, qui, en mal d'inspiration et certainement pour pimenter un peu une vie ennuyeuse, décide de s'installer dans une petite chambre du quartier d'Asakusa et se prend soudainement de passion pour l'art du travestisme. Ainsi, chaque soir, quand vient la nuit chargée de ses effluves mystérieuses et envoûtantes, il revêt les apparats de la geisha, se farde méticuleusement le visage et s'enveloppe dans un somptueux kimono de crêpe déniché chez un fripier et, légèrement ivre de whisky, il déambule telle la courtisane dans les quartiers du vieux Tokyo, perdant peu à peu la notion du temps et ses manières d'homme.

Trois nouvelles remarquables : "Le Tatouage", "Les Jeunes Garçons" et "Le Secret". Toutes trois publiées respectivement dans les revues Shinshichô, Subaru et Chuô Kôrôn entre 1910 et 1911. La première nouvelle "Le Tatouage", a été adaptée sur grand écran par Yasuzô Masumura en 1966, j'espère avoir le plaisir de visionner le film un jour prochain car c'est la nouvelle que j'ai pour ma part préférée.
Je n'ai pas cherché à savoir et je ne le saurais certainement jamais, si Junichirô Tanizaki, au travers de ces trois récits, a laissé libre cours à ses fantasmes les plus inavouables, parfois il est préférable de ne pas trop fouiller dans les méandres de l'âme humaine surtout lorsque celle-ci est torturée, à l'image de la deuxième nouvelle (Les Jeunes Garçons) dont le récit pourrait mettre mal à l'aise les plus sensibles d'entre-nous tant il pointe du doigt les pires déviances de l'homme engendrées par la rigidité extrême du système féodal propre à l'ère Meiji et cela au travers de la naïveté infantile.

Je me suis laissée simplement porter par l'univers poétique, feutré, teinté d'érotisme de l'auteur et par sa plume délicate qui parvient à magnifier le corps, la peau et à nous restituer les sensations aussi fugaces soient-elles, les moments éphémères où le temps apparaît comme suspendu, pareil à un rêve. Si ce n'est pas ça l'essence de l'être, nous n'en sommes pas loin tant Tanizaki touche à la perfection dans la première nouvelle.




* Je remercie Blackbooks pour la découverte de ce recueil et je vous invite à lire sa belle critique.
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Ce recueil de Junichiro Tanizaki est composé de trois nouvelles, magnifiquement écrites.

La première nouvelle, "le tatouage" qui donne son titre au recueil, met en scène un tatoueur à la recherche de la femme qui sera le support le plus parfait à son art. Il rencontre une jeune femme qu'il séquestre, la drogue et la tatoue. Ce récit à la tonalité sensuelle et troublante très réussie propose un éventail de fantasmes joliment et délicatement évoqués, comme par exemple la description toute en fascination fétichiste du pied de la geisha. J'ai beaucoup aimé la façon dont Tanizaki aborde le thème du tatouage. le motif qui ornera la jeune femme ne va pas la transformer mais lui révéler à elle-même sa véritable nature profonde. Cet angle suscitera évidemment l'intérêt de toute personne attirée par l'art du tatouage.

La 2ème nouvelle évoque les jeux de jeunes enfants, jeux au départ innocents mais qui vont très vite dériver vers des amusements beaucoup plus pervers, mêlant souffrance, plaisir et humiliation. Il n'est guère surprenant que ce récit ait provoqué un scandale. Là aussi, l'auteur met en scène des fantasmes qui avaient de quoi faire grincer des dents la société bien-pensante de 1911, date à laquelle le texte a été publié.

La dernière nouvelle exploite la même veine fantasmatique en mettant en scène un homme se travestissant en femme qui retrouve une femme avec qui il avait vécu une aventure.

Ces trois nouvelles distillent un parfum de délicate perversité qui m'a beaucoup rappelé les écrits d'Edogawa Ranpo. Il ne fait aucun doute que l'auteur de "la bête aveugle", "l'île panorama" ou encore "la chambre rouge" a été profondément marqué par l'oeuvre de Tanizaki.
Le raffinement pervers, la sensualité vénéneuse et le charme troublant de ces récits m'ont donné très envie de poursuivre ma découverte de l'auteur.

Challenge Petits plaisirs 2016 - 30
Challenge XIXème siècle 2016 - 8

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Le tatouage, phénomène de notre société actuelle, mérite de s'y attarder, ici dans un classique de la littérature mondiale, "Le Tatouage", un roman de l'écrivain japonais Jun'ichirō Tanizaki du début du 20ième siècle au Japon.
Ce court roman se concentre sur la fascination grandissante d'un homme marié pour les tatouages d'une jeune femme, Sonoko, qu'il rencontre lors d'une visite à une source thermale. La beauté et la complexité des tatouages de Sonoko l'obsèdent de plus en plus, et il se retrouve entraîné dans un monde de désirs cachés et de passion dévorante.
L'interdit.
La transgression.
Le voile.
Ont toujours été le ressort de l'érotisme.
Le roman de Tanizaki est habilement construit pour explorer les tabous sociaux et les contraintes culturelles de l'époque – qui ont toujours cours aujourd'hui au Japon (pour y avoir passé du temps : il est toujours interdit de nos jours de se rendre dans un Honsen si on est tatoué !).
Il révèle subtilement les tensions entre les normes strictes de la société japonaise et les désirs intérieurs inexprimés des personnages. La psychologie complexe de ceux-ci ajoute de la profondeur à l'histoire, sans exotisme, en dépit de l'époque lointaine décrite – et cela contribue au caractère universel de l'oeuvre.
Le personnage masculin, qui reste sans nom tout au long du roman, représente le conflit intérieur entre ses désirs interdits et sa position sociale respectée. Sonoko, elle, incarne la séduction et la tentation, jouant avec les limites de la moralité dans une société répressive.
Tanizaki explore également le thème du dualisme, en juxtaposant la beauté des tatouages de Sonoko avec la saleté du désir qui en résulte, ainsi que la confrontation entre le monde traditionnel japonais et l'influence occidentale croissante.
"Le Tatouage" est un roman qui peut être lu de manière duale: certains le considèrent comme une exploration des désirs refoulés et de la frustration sexuelle dans une société conservatrice, tandis que d'autres y voient une métaphore du conflit entre tradition et modernité.
Quelle que soit notre propre interprétation, le roman nous offre une réflexion profonde sur les désirs humains et les complexités de la condition humaine.
J'ai trouvé ce roman lyrique et envoûtant, et universel dans sa psyché, qu'on lit, ou relit, avec plaisir...


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Etoiles Notabénistes : ******

Shisei
Traduction : Marc Mécréant pour Gallimard et La Pléiade

ISBN : Inconnu mais 2070113191 pour l'Edition de la Pléiade dont cette nouvelle est extraite.

Tanizaki Jun'ichirô est l'un des plus grands écrivains du Japon moderne. Nous avons déjà eu l'occasion de le dire et nous aurons maintes fois celle de le redire. Même si le rapprochement n'est pas évident entre les deux hommes, le plus âgé nettement hétérosexuel et peu engagé sur le plan politique, le plus jeune homosexuel revendiqué et nationaliste virulent, un parallèle existe bel et bien entre Tanizaki et Mishima. Mais encore plus évidente est la filiation entre l'univers sadien, purement occidental, qui a soigné inconsciemment son créateur en accumulant sur le papier les horreurs et en lui évitant ainsi le passage à l'acte carrément meurtrier, et l'art de Tanizaki, oriental mais plus enclin au raffinement du fanstasme, du sous-entendu et du non-dit. Né dans la haute noblesse, Sade entend la renier et "perdre la face" ne le dérange pas, bien au contraire : il brandit sa révolte, son besoin impérieux d'être reconnu pour ce qu'il est - un cas unique, il faut bien l'admettre, tant sur le plan de l'écriture que de la psyché - comme un étendard. Tanizaki, lui, est tout aussi révolté. Mais sa culture, même s'il a certainement lu le Divin marquis, lui interdit justement de perdre la face. En revanche, elle l'autorise à exprimer ce qui le domine, cette union étroite entre Eros et Thanatos, entre la Chair et la Mort, en empruntant les mille et un détours de l'érotisme cultivé par les maîtres anciens, tant sur le plan littéraire qu'artistique. (Encore l'érotisme artistique japonais glisse-t-il souvent, comme partout ailleurs, dans la pornographie plus ou moins soignée, plus ou moins rebutante, en fonction des préférences de l'auteur ou de ce qui lui est demandé.)

C'est sur ce culte dédié à la pulsion de Vie et à la pulsion de Mort, intimement enlacées, que repose l'essentiel de l'oeuvre de Tanizaki. En ce domaine, aucun lecteur ne parviendra à oublier "La Vie Secrète du Seigneur de Musachi" (les extraits que nous avons choisis à son sujet sont, à notre avis, particulièrement révélateurs), exemple parfaitement accompli du complexe sadien de son auteur. Mais ce culte, l'écrivain japonais le rend évidemment de bien multiples manières, n'omettant pas la folie à laquelle il peut mener. Folie à laquelle on se heurte, obsessionnelle, dès la nouvelle qui le rendit célèbre : "Le Tatouage". Prévu pour le premier numéro d'une toute nouvelle revue littéraire, en 1911, les responsables, qui craignaient la censure impériale, jugèrent prudent de placer le texte en novembre et non en septembre de cette année-là, ce qui permit à Tanizaki, qui avait initialement imaginé son intrigue dans le Japon de cette fin de l'Ere Meiji, de reprendre son texte et de le transposer dans l'Edo du XVIIème siècle, resserrant en outre au passage plan et écriture. Si l'on compare les deux versions, celle dont nous parlons aujourd'hui a certainement gagné au change. Au reste, elle n'encourut nulle censure. Pourtant, elle détonait et annonçait, sans doute possible, une Ere nouvelle dans la littérature nippone. le grand Kafû Nagaï, qu'idolâtrait le jeune débutant, ne s'y trompa pas, qui lui consacra une critique étincelante et enthousiaste.

Le thème du "Tatouage", que je lus pour la première fois dans la célèbre "Anthologie du Fantastique" concoctée par Roger Caillois, possède, c'est indéniable, quelque chose d'inquiétant. Pour autant, cette nouvelle ne relève en rien à mon sens de l'épouvante traditionnelle mais bel et bien de l'insolite sadien et, pour ceux qui connaissent un tant soit peu Tanizaki et son oeuvre, des obsessions de l'homme comme de l'écrivain. Elle est en même temps aussi légère qu'une fleur qui déroule ses pétales au printemps naissant et aussi pesante que le tranchant aiguisé d'une hache déjà ensanglantée. A Edo, Seikichi est le plus célèbre des tatoueurs professionnels. Obtenir qu'il vous tatoue n'est d'ailleurs pas si simple que cela car le Maître est difficile dans ses choix. Il préfère certains types de peau à d'autres - ce qui peut s'expliquer d'ailleurs par des raisons techniques - mais il y va aussi, peut-on dire, "à la tête du client".

Si l'on excepte les samouraïs, chez qui ce genre de fantaisies n'est guère à la mode, les représentants de la gent masculine aiment bien se faire tatouer : chefs de bandes bien sûr mais aussi jeunes gens qui veulent éblouir leurs belles, porteurs de palanquins qui, en général très musclés et travaillant torse nu, souhaitent faire admirer non seulement les dessins qui ornent leurs muscles mais aussi le courage qu'il leur a fallu pour en endurer la réalisation, et même certaines geishas et courtisanes, de haut ou de moindre rang ... Bref, on l'aura compris, la profession de tatoueur est difficile mais elle est aussi, si l'on a le talent, voire le génie nécessaires, promesse de célébrité et de richesse - peut-être même d'immortalité.

Si nul n'oserait critiquer un seul trait instillé dans la chair par Seikichi, nul n'ignore non plus que sa préférence va à deux techniques, parmi les plus douloureuses, de tatouage : le tatouage au cinabre et le tatouage en dégradé de coloris. Ceux qui acceptent de s'y soumettre savent qu'ils courent au supplice mais ils savent aussi que le motif qui jaillira des aiguilles et de la science du Maître sera unique, inoubliable. Alors, malgré l'étrangeté du personnage ; malgré le plaisir qu'il prend - et qu'il ne cache pas - à voir souffrir sous ses doigts ses clients résignés et à les contempler ensuite, affalés sur des claies et appelant pour certains la Mort après avoir pris, immédiatement à la fin du travail, un bain quasi brûlant destiné à aviver à jamais les couleurs de l'oeuvre qui ne fait plus qu'un avec leur corps, avec le mépris et la jouissance du sadique authentique ; malgré tout ce que peut présenter de redoutable et de trouble la personnalité du plus grand tatoueur d'Edo, bien rares sont ceux qui, ayant les moyens de le payer, ne se décident pas un jour ou l'autre à franchir sa porte.

Mais, quoiqu'il ne l'avoue pas, ces plaisirs-là ne sont, pour Seikichi, que menu fretin. Depuis des années, il s'est mis en tête de tatouer ce qui sera son chef-doeuvre sur la peau, très blanche, d'une femme qui, elle-même, sera très spéciale. Comme une espèce de papillon merveilleux que le motif tatoué fera émerger de son cocon ...

Un jour que la jeune employée d'une courtisane en renom vient lui apporter un vêtement de prix sur lequel sa maîtresse désirerait qu'il peignît l'une des merveilles dont il a le secret, Seikichi sait qu'il se trouve - enfin - devant celle qu'il attend. Il lui fait boire un somnifère puissant et, tout un jour et toute une nuit, il travaille sur le corps ainsi abandonné à ses doigts et à son génie créateur mais, avouons-le franchement, au bord de la folie - et ce, depuis longtemps ...

La conclusion est une splendeur, sinistre et terrible, qui explique en partie pourquoi Caillois inclut cette nouvelle dans le tome deux de son "Anthologie du Fantastique." le style est déjà du grand Tanazaki - l'un des écrivains qui a mené jusqu'au zénith l'art du sous-entendu et du non-dit, en particulier sur le plan sexuel. Sans même jouir d'une grande expérience littéraire, le lecteur sait qu'il vient de découvrir un écrivain fabuleux et d'une complexité d'autant plus prononcée que les tabous effleurés la nuancent encore plus délicatement pour mieux la protéger tout en la mettant en valeur.

Tout l'art d'un tatoueur de génie, en somme ... ;o)
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Ce petit recueil comprend trois nouvelles, trois écrits de jeunesse : le Tatouage, Les Jeunes Garçons et le Secret.

Le Tatouage, une des premières publications de Tanizaki, comprend déjà toute la matière de l'auteur, en moins de quinze pages. Un maître tatoueur cherche sa muse, la femme qui accueillera et donnera vie à son chef-d'oeuvre. Un pied nu sorti d'un palanquin le subjugue. Un style sublime.

La nouvelle Les Jeunes Garçons met en scène trois garçons d'une dizaine d'années, mais également une fille. Laissés à eux-mêmes, les enfants s'amusent à des jeux de plus en plus cruels. Jeux de rôles, jeux de pouvoir et apprentissages qui passent par l'humiliation. le personnage féminin est emblématique puisqu'il représente en quelque sorte la genèse de la femme dominatrice qui peuplera toute l'oeuvre de Tanizaki.

Dans le Secret, le narrateur désire redéfinir son identité par l'inédit des découvertes, au hasard de ses balades nocturnes dans un Tokyo labyrinthique. Comme dans une poupée russe, chaque secret en cache un autre. Lorsque le dernier est dévoilé, le charme est rompu. Un autre exemple de la maîtrise du jeune écrivain.

Si vous souhaitez découvrir Tanizaki par ses débuts et par des textes courts, ce recueil est tout indiqué.
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Un tatoueur cherche à réaliser l'ouvre de sa vie, des enfants subissent les sommations d'un camarade et un homme cherche à découvrir qui est son amante secrète... Trois nouvelles qui montrent l'envie : l'envie du meilleur, l'envie de dominer, l'envie de savoir.

J'ai beaucoup aimé ces nouvelles, très bien menées par Tanizaki. L'écriture est simple et détaille bien les personnages et lieux sans trop s'attarder. Rien d'extraordinaire mais j'ai été rapidement conquise par ces petites histoires simples dont il ressort un peu de noirceur, une sexualité sous-jacente. Tanizaki, un auteur que je relirai ! Surtout quand j'ai appris dans la biographie du début que ce sont ses premiers récits.
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Le Tatouage
Dans le vieil Edo, Seikichi, tatoueur de son état, tombe en pâmoison devant le peton de nacre de Satsuko, jeune geisha à l'idéale plastique. Profitant d'une léthargie provoquée, il parachève le fugace chef d'oeuvre qu'est ce corps ivoiré en le tatouant. Seikichi lui inocule ses encres et, ce faisant, révèle l'âme de la belle endormie.

Délicate miniature, aux moirures voluptueuse, le Tatouage possède les perfections de son héroïne.

Exquisément corrompu.

Les Jeunes Garçons
Sous l'apparence melliflue de souvenirs d'enfance, Tanizaki vaporise ses fantasmes d'adulte.

Soit un quartette d'enfançons, le narrateur, un camarade d'école Shin.ichi et sa soeur Mitsuko dont la somptueuse maison sert d'écrins à leurs dangereux délassements et Senkichi, un jeune palefrenier soumis.

Ces enfants terribles, sous couvert de jeux, s'infligent souffrances et humiliations. le désir pointe, turgide, par la grâce de ces récréations dévoyées où l'on lèche orteils et croupes, se délecte d'aliments profanés ou éprouve sa résistance à la douleur...

Leurre et fallace que cet inventaire de frivolités puériles ; sous les verts paradis, s'embusquent de sombres passions : fétichisme, sadomasochisme, coprophilie, ... Funambule érotique, Tanizaki évolue sur la corde tendue de ses caprices sans jamais chuter, inclinant avec grâce le balancier d'une écriture consommée.

De l'origami au shibari.

Le Secret
Confessions d'un masque.

La nuit venue, le narrateur de cette troublante nouvelle, languide jeune homme à la gestuelle efféminée et aux orteils peints, se travestit. Blanc de céruse (oshiroi) et kimonos en mousseline de soie, perruque Icho-gaeshi et lèvres vermillon, il déambule, anonyme, dans les quartiers de plaisir tokyoïtes.

Un soir, au cinéma, il reconnaît à ses côtés une ancienne maîtresse. Certain que celle-ci l'a également identifié, il lui fixe rendez-vous. Commence un excitant jeu de colin-maillard entre les deux séducteurs.

Nouvelle incursion de Tanizaki dans l'aberrant et le singulier, ce texte gorgé de sensualité se sirote voluptueusement. La fin, hâtive et cruelle, nous murmure que le secret est bien l'écrin des plaisirs.
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
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" le tatouage", nouvelle éponyme de ce recueil de nouvelles, marque l'entrée en littérature du célèbre écrivain japonais. Parue en 1910 dans une revue, cette première et très courte nouvelle qui le rendra célèbre contient déjà tous les thèmes fétiches de l'auteur.
Elle est ici accompagné de 2 autres nouvelles : "Les jeunes garçons" et "Le secret".

Le tatouage (1910) :

Seikichi est un jeune tatoueur talentueux, réputé pour l'originalité de ses compositions. Les courtisanes se battent pour avoir le privilège de voir leur peau décorée par le maitre. Car c'est ce dernier qui choisit ses modèles et leur imposent le motif et le prix. Mais Seikichi est insatisfait et rêve de réaliser un chef d'oeuvre sur le corps d'une femme exceptionnelle qui révèlerait le plus profond de son âme.
Un jour, le hasard met sur sa route une femme dont il n'aperçoit qu'un simple pied blanc. Celle-ci disparait et Seikichi en eprouve une violente passion. Quand la jeune fille, Satsuko, future prostituée, vient à recroiser le tatoueur, celui-ci décide de la séquestrer et de lui tatouer sur le corps une énorme tarentule...

Il faut savoir qu'au Japon le tatouage est un signe d'appartenance à un groupe social. Il était autrefois réservé aux prostitués et voyous / prisonniers, avant de devenir un code yakuza, par extension. L'araignée est par ailleurs le symbole de la prostitution.
C'est un art qui est surtout reconnu pour la maitrise de celui qui le réalise et passe traditionnellement par des séances de tatouage à la main (et non par des outils électriques comme aujourd'hui) extrêmement douloureuses, le tatoueur maniant lui-même les aiguilles.
Et comme souvent chez les japonais, douleur rime souvent avec plaisir et perversion.

" Et lui, contemplant d'un oeil glacé la forme misérable, ne manquait jamais de dire avec un sourire de satisfaction:
«Vrai ! Ce que vous devez avoir mal ! » "

Dans cette nouvelle, l'accent est mis sur le plaisir qu'eprouve Seikichi d'infliger d'atroces douleurs aux tatoués et plus particulièrement à la femme séquestrée. On pourrait presque y voir un parallèle entre pénétration des aiguilles et acte sexuel.
On retrouvera également le fétichisme marqué de l'auteur pour le symbole du pied, qui provoque la passion chez notre tatoueur. le désir se retrouve nourri par l'attente et Seikichi perd tout maitrise de lui-même.
Avant de tatouer la jeune fille, Seikichi va lui montrer 2 peintures qui symbolisent la beauté cruelle de la femme. Alors que Satsuko refuse de s'y voir tout en s'y reconnaissant, le tatouage transformera véritablement la jeune fille en femme fatale. Et le tatoueur, qui y a mis toute son âme, y perd sa cruauté. Eprouvant compassion pour la souffrance qu'il lui a infligé, Seikichi n'est plus celui qui mène la danse. C'est désormais la jeune femme qui impose ses règles et accepte de se dévoiler pour éblouir les hommes avec son tatouage, endossant la figure de la femme fatale des tableaux.

Cette nouvelle qui parait bien trop courte à la première lecture finit par dévoiler ses thématiques cachées au cours des suivantes et se révèle d'une grande force, précurseur des oeuvres à venir de Tanizaki.


Les jeunes garçons (1911) :

Dans cette nouvelle, nous sommes face à un narrateur qui évoque ses souvenirs d'enfance. Sympathisant à l'école avec le jeune Shin-Ichi, il passe désormais ses journées à jouer avec ce dernier dans la grande maison de sa famille. Rejoints par Mitsuko, la soeur de Shin-Ichi, et Senkichi, le palefrenier, les enfants s'amusent à des jeux innocents qui dérivent bientôt en séances plus perverses. Et les garçons deviennent peu à peu l'esclave de la petite fille qu'ils avaient tout d'abord maltraitée.
Leurs jeux mettent en avant les notions de domination, d'humiliation qui touchent tour à tour chacun des enfants qui prennent plaisir à ces souffrances corporelles.

Entre sado-masochiste et scatologie, "Les jeunes garçons" est une nouvelle sulfureuse qui vaudra pour la première fois à l'auteur une censure au nom des bonnes moeurs. Explorant l'univers de la sexualité inconsciente des enfants, il évoque les jeux à la fois innocents et pervers d'une bande d'enfants, fascinés par le pouvoir qu'ils peuvent avoir sur autrui. Comme dans la première nouvelle, nous assistons à une transformation : la tourmentée devient à son tour une tourmenteuse cruelle.


Le secret (1911) :

"Le secret" est également un récit à la première personne. le narrateur semble blasé de toutes formes de plaisir et recherche l'attrait de la nouveauté en se travestissant en femme.

" N'existait-il pas quelque chose d'insolite, de bizarre, qui fût propre à secouer, à ébranler mes nerfs devenus totalement insensibles aux excitations ordinaires ? "

Habillé, coiffé et maquillé en femme, il se rend au théâtre et jouit de sa nouvelle identité. Un soir, à ses côtés, une ancienne conquête le reconnait discrètement sous son fard. Ils ne se connaissent pas sous leur vrai nom mais souhaitent mutuellement se revoir, en gardant leur identité secrète. La femme l'emmène chez elle les yeux bandés, faisant moults tours et détours pour que notre homme ne puisse reconnaitre le trajet. Ce dernier, piqué par la curiosité, élabore tout un stratagème pour retrouver le chemin. le secret éventé, le charme et l'effet de mystère n'agit plus. Les 2 amants ne se verront plus.

On retrouve une fois de plus chez Tanizaki des pratiques sexuelles déviantes : ici, le travestissement. La femme fatale est toujours présente, sublimé ici par le goût du secret dont la disparition évente le pouvoir attractif. La technique employée par le narrateur pour retrouver la sroute qui l'emmène chez son amante est particulièrement intéressante. S'appuyant sur les bruits, les odeurs, la mémoire et la logique, ce dernier réussit avec brio à venir à bout de l'énigme. Hélas pour lui, celà se fera au détriment du désir et de la passion.

Ce recueil se révèle particulièrement intéressant. Présentant 3 nouvelles parmi les premières écrites par Tanizaki, il expose déjà les thématiques centrales de son oeuvre.
Tout le monde n'y trouvera pas son bonheur, les thèmes étant assez particuliers mais je le conseille aux amateurs !
Lien : http://legrenierdechoco.over..
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Ambiance trés spéciale entre fantastique, amour sadomaso et beauté. J'ai bcp aimé cette nouvelle où beaucoup d'émotions se dégagent trés rapidement; où l'auteur décrit avec une précison redoutable la caractère et la psychologie de ces personnages. Peut être un peu abstrait pour des lecteurs peu initiés à la pensée japonaise
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Le beau temps m'a encouragé à faire un tour dans ma librairie bien-aimée : le Rat Conteur, à Woluwe saint Lambert. Dans mes pérégrinations, je passe toujours par le rayon littérature étrangère et plus spécifiquement, littérature japonaise. Il y a tout au plus deux rayonnages qui ensemble ne doivent guère me proposer plus de vingt livres. Mais qu'importe, j'y ai trouvé un recueil de trois nouvelles (Le Tatouage, Les Jeunes Garçons, le Secret) de Junichirô TANIZAKI. Renseignements pris, ce monsieur, décédé en 1965, a plusieurs fois été pressenti pour le prix Nobel de Littérature ! Excusez du peu.
La première nouvelle, le Tatouage, commence à la façon d'un conte. L'histoire révèle la grande sensibilité de l'auteur à la beauté, à l'esthétique. le style est élégant, précis, la phrase est bien charpentée. Ce monde extrême oriental, tout à fait inconnu de moi, se met à vivre. Les images sont colorées et animées. L'admiration pour ne pas dire l'obsession de Tanizaki pour le corps humain transparait assez vite. J'y ai trouvé la plus belle description qu'il m'ait été donné de lire d'un pied féminin à peine entrevu.
« … ; et le pied de cette femme lui apparut comme un inestimable joyau de chair. La disposition harmonieuse des cinq orteils déployant leur délicat éventail depuis le pouce jusqu'au petit doigt, le rose des ongles qui ne le cédait en rien aux coquillages qu'on ramasse sur les plages d'Enoshima, l'arrondi du talon pareil à celui d'une perle, la fraîcheur lustrée d'une peau dont on pouvait se demander si une eau vive jaillissant entre les rochers ne venait pas inlassablement la baigner…Oui, c'était bien là un pied qui sous peu piétinerait les mâles et se gorgerait de leur sang vif ; … »
À l'admiration puis l'obsession, vient s'ajouter ce que l'on peut qualifier de perversion. Il y a une touche de fantastique ou de symbolisme. Et c'est avec sidération que je termine ces quelques pages.
La nouvelle suivante, Les Jeunes Garçons, met en scène de jeunes enfants. À nouveau, la description succincte des visages, des kimonos, est remarquables. L'après-midi de fête que les enfants passent ensemble dérape imperceptiblement. Les jeux sont-ils seulement méchants, violents ou révèlent-ils une nature sadiques ? La jouissance que le jeune Ei-chan Hagiwara éprouve le fascine lui-même. « J'avais l'impression d'avoir quitté un pays étrange et terrifiant pour me retrouver soudain dans une contrée humaine, et sur le chemin du retour je ne cessais de repenser aux événements incroyables de la journée. L'élégance hautaine de Shin.ichi, ses méchancetés à la fois imprévues et impitoyables, avaient réussi en quelques heures, à captiver mon coeur tout entier. »
Le corps dans ce qu'il a de plus beau mais aussi de plus ragoûtant, la face la plus noire de l'âme humaine à moins que ce ne soient que les premiers fantasmes d'enfants qui quittent peu à peu leur candeur, tout concorde à nous troubler, nous glacer d'effroi. le talent de Tanizaki est immense.
Les ressorts de la dernière nouvelle, le Secret, que je ne vais pas vous révéler, sont de l'ordre des oppositions, homme, femme, silence du temple et vie bouillonnante de certains quartiers, apparence et profondeurs de l'âme, élégance des tenues, des maquillages et vulgarité.
« Je restai debout immobile un moment devant l'enseigne de ce Seibidô qui m'avait tant mis à la torture. Comme les choses étaient différentes de ce qu'elles étaient la nuit quand les lanternes déversaient à flots leur lumière rouge et que sous le dais du ciel resplendissant d'étoiles, on baignait dans une atmosphère mystérieuse, comme dans un rêve ! Devant cet alignement de maisons
minables, toutes racornies dans le flamboiement du soleil d'automne, je me sentis d'un seul coup complètement dégrisé. »

Je vous souhaite d'être comme moi, sensible à la musique de cet auteur découvert un peu par hasard. J'ai éprouvé une grande admiration pour son écriture bien posée, évocatrice, qui se déploie devant nous comme un rouleau de peinture japonaise. On est à la fois happé par le récit, vraiment séduit par cette écriture lumineuse et tout à la fois effrayé par les recoins bien noirs de l'âme. C'est un envoûtement un peu mystérieux. Glaçant et somptueux à la fois. Je ne regrette pas ce choix mais ne me replongerai pas tout de suite dans une autre oeuvre de Tanizaki. Vaut le détour.

Lien : https://www.babelio.com/monp..
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