Ce roman grec du IIe siècle est l'un des précurseurs du genre et déroule une intrigue relativement attendue, avec deux protagonistes amoureux contrecarrés par de nombreuses péripéties qu'il leur faut surmonter. L'histoire se déroule sur les côtes orientales de la Méditerranée, entre la Syrie, l'Égypte et l'Asie Mineure. Éperdument amoureux de sa cousine Leucippé, Clitophon l'enlève (elle est d'accord) et se lance dans un long voyage qui va séparer et réunir les amants à plusieurs reprises avant que le mariage final puisse se faire.
Brigands, pirates, assassinats et simulacres d'assassinats, enlèvements à répétition, échanges d'identité, combats, fuites, amours secondaires, bref, son et lumière dans tous les sens ! Les événements et les coups de théâtre s'enchaînent à un rythme assez effréné, mais selon un schéma relativement répétitif, qui consiste à faire tomber amoureux de Leucippé un personnage puissant ou un complice du couple, à lui faire commettre une tentative d'enlèvement plus ou moins heureuse comprenant une fausse mise à mort de la jeune fille (plusieurs résurrections dans une seule oeuvre, quelle santé !), à réunir les amants par hasard grâce à un tiers qui finira par essayer de les séparer à nouveau pour son propre bénéfice. Difficile de croire que ce scénario maladroit et peu original ne soit pas délibéré, l'objectif de l'auteur consistant en effet à se moquer des codes établis de ce genre encore jeune, où il faut absolument qu'il y ait des amours contrariés, des morts simulées et des personnages qui ne sont pas qui ils disent être. On en veut pour preuve le personnage de Clitophon qui est un antihéros total, un boulet humain qui se laisse trimballer d'une ville à l'autre, ne propose rien, n'entreprend rien par lui-même, pleurniche sur son sort, désespère tous les quatre matins et ne sait pas se battre pour de vrai. Franchement, on se demande pourquoi Leucippé, qui a tout le monde antique à ses pieds, s'embarrasse pendant des années et des années de ce pleutre dont la seule fonction sur terre devrait être celle d'un porte-manteau.
Là où le roman est vraiment intéressant, c'est sur les quelques passages dialogués où l'auteur fait étalage de ses dons de rhétoricien. Cela ne rajoute pas grand-chose à l'histoire, à part à convaincre un personnage d'adhérer à tel point de vue ou de se prêter à telle action, ce dont l'auteur aurait en soi pu faire l'économie en décrétant le destinataire d'accord d'entrée de jeu, mais ces passages, qui augmentent considérablement l'oeuvre, sont très intéressants sur la façon dont l'auteur structure sa pensée et l'enjolive afin de défendre des causes pas forcément évidentes : pourquoi l'amour des hommes est-il préférable à l'amour des femmes ? pourquoi doit-on quitter notre existence confortable et sûre pour s'enfuir ? pourquoi doit-on coucher ensemble alors que tu viens de retrouver la femme que tu aimes ? C'est une belle démonstration de ce qu'une cause n'est jamais irrémédiablement indéfendable. Dans une moindre mesure, on appréciera également les descriptions de tableaux ou de bêtes qui sont le reflet d'un usage de l'époque imitant les descriptions homériques.
Du point de vue de l'histoire, plutôt une déception car il n'y a rien de bien palpitant ni de très cohérent en dépit d'une action mouvementée, mais on devine que l'intention de l'auteur consiste avant tout à remettre en cause les contraintes artificielles liées aux attentes des lecteurs, et que l'histoire n'est qu'un fil rouge au service de ce projet. Si le romancier est passable, on reconnaît en revanche bien volontiers le mérite de l'avocat, dont les méthodes peuvent toujours nous inspirer.
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Roman sympathique ! Qui, bien qu'il date du IIème siècle ap J.C, reste plutôt moderne (enfin plus ou moins ;D) !
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Pour moi, partageant mes regards entre toutes les rues, j'étais un spectateur inassouvi ; je n'arrivais pas à voir toute la beauté de la ville. Je voyais certains détails, j'allais en voir d'autres, je m'empressais d'en voir d'autres encore, et il y en d'autres que je ne voulais pas oublier ; ce que je voyais s'emparait de mon regard, ce que je m'attendais à voir l'entraînait plus loin. En me promenant dans toutes les rues et éperdument épris par mon désir de tout voir, je m'écriai, épuisé : "Mes yeux, nous sommes vaincus."
Hélas, Leucippé, combien de fois n'es-tu pas morte ? Ai-je jamais cessé de te pleurer ? Je te pleurerai donc toujours, puisque tes morts se succèdent.
Voici le plaisir que procurent les femmes et il est de la même nature que celui que procurent les Sirènes ; c'est qu'elles aussi tuent par le plaisir de leur chant.
Ô femmes qui avez toutes les audaces ! Si elles aiment, elle tuent ; si elles n'aiment pas, elles tuent ; [...].