Sylvain Tesson emboîte le pas à
Vincent Munier. Et c'est magnifique. de la rencontre entre ces deux artistes naît un récit unique, splendide invitation au voyage - et plus encore à l'observation de la beauté - que j'ai relu pour le plaisir, encore imprégnée des photographies de l'album "Tibet minéral" et des images du film de Marie Amiguet, "
La Panthère des neiges". Les mots de
Sylvain Tesson s'étaient éloignés. Les redécouvrir m'a réenchantée.
Deux infatigables voyageurs, l'un photographe animalier, l'autre écrivain célèbre, tous deux artistes et amateurs d'art, partent à la rencontre d'une espèce en voie d'extinction,
la panthère des neiges. Pour avoir une chance, peut-être, de l'apercevoir, ils explorent les hauts plateaux du Changtang, au Tibet. A 4800m d'altitude, du fait des conditions climatiques extrêmement rudes, la présence humaine se fait rare. Les bêtes règnent.
L'ouvrage obéit à une construction narrative, relatant chronologiquement le déroulement du séjour et des journées d'affût. Vous croiserez des yacks, des loups, des chèvres bleues... et vous partirez bien sûr à la rencontre de la déesse des neiges. Elle se fera désirer : elle a l'art de se fondre dans le paysage et de dissimuler sa présence aux regards. Vénérée comme une offrande, chaque apparition de la féline revêt un caractère sacré.
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La Panthère des neiges", c'est aussi le portrait de deux hommes que tout oppose a priori : l'un peut rester des heures immobiles, à l'affût de la moindre bête, l'autre ne jure que par le mouvement et angoisse littéralement à l'idée de rester statufié comme la mort. L'un cultive le silence, l'autre est un incorrigible discoureur. L'un cultive l'art de l'invisibilité, l'autre aime à se montrer et à être regardé. Pour une fois, l'égotique
Sylvain Tesson tend à s'effacer pour laisser place à
Vincent Munier, auquel il rend hommage simplement, sans trop d'affectation. Portrait et autoportrait s'entrecroisent habilement, par touches fragmentées. Tout rapproche en réalité les deux hommes, à commencer par leur goût pour les destinations les plus reculées de la planète, ainsi que leur capacité à observer, que ce soit l'âme des bêtes ou celle des hommes. "
La Panthère des neiges" est l'occasion d'une belle rencontre entre deux découvreurs de beauté, qui forment un duo complémentaire. Qui mieux que Tesson aurait été capable de suivre l'insatiable photographe dans son expédition par -30° -35°, afin de mettre en mots leur périple ? Tandis que Munier et sa compagne Marie moissonnent des images, Tesson collectionne les formules : " j'étais à l'affût d'une pensée, pire ! d'un bon mot. J'écrivais des aphorismes dès que je le pouvais".
On avance dans la lecture, sourire aux lèvres, car
Sylvain Tesson pratique l'autodérision systématique : "Je repris ma route, multipliant les voyages, sautant de l'avion pour reprendre le train, et glapissant, de conférence en conférence (et d'une voix pénétrée), que l'homme aurait tout intérêt à cesser de s'agiter." Parfois, la réflexion se fait plus savante, parfois plus amère, lorsqu'est évoquée la propension de l'homme à détruire l'environnement dans lequel il vit. Mais la plupart du temps,
Sylvain Tesson se fait poète. Les chapitres, toujours brefs, deux à trois pages seulement, prennent la forme de petits poèmes en prose à l'écriture soignée. L'auteur nous transporte dans un rêve éveillé, les yeux grands ouverts. Il atteint par son récit l'objectif que s'est fixé
Vincent Munier : raviver notre capacité à nous émerveiller, en révélant l'art présent dans la nature.
Tesson se pose en élève de Munier et écoute ses leçons, qu'il nous transmet, nous apprenant à ouvrir les yeux sur le vivant qui nous entoure, à regarder le monde de toutes nos forces, "à en scruter les zones d'ombre". Cette invitation à la contemplation constitue une belle leçon de vie dans nos existences précipitées : « J'avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer. Elle invitait à s'asseoir devant la scène, à jouir du spectacle, fût-il un frémissement de feuille. »
Laissez-vous tenter par la lecture de "
La Panthère des neiges", vous voyagerez loin. Partez aussi à la découverte des photographies de
Vincent Munier, elles sont extraordinaires de délicatesse et de poésie. Si vous êtes séduits, il ne vous reste plus qu'à visionner le film de Marie Amiguet. Sans oublier le documentaire "
Vincent Munier, l'éternel émerveillé", disponible sur youtube. Vous y découvrirez cette citation de l'écrivain anglais
Gilbert Keith Chesterton, que
Vincent Munier a faite sienne : « le monde ne mourra pas par manque de merveilles, mais uniquement par manque d'émerveillement.