Qu'aurait pensé Sigmund Freud devant cette cavité baignée de glauques iridescence ? Selon Bérard, c'était l'antre de la déesse qui voulut empiéger Ulysse dans un amour possessif et (cauchemar suprême)... éternel !
"Fugit irreparabile tempus" : mot de Virgile en forme de nom de baptême d'un vaisseau qui s'appelle la Terre sur un océan qui s'appelle le vide.
La géographie poétique consiste à parcourir la Terre en détectant le merveilleux dans ses moindres replis.
On se refuse de croire que le monde est vide. Quand on a goûté à ce jeu, le paysage chatoie.
On ne rentre plus dans une caverne, on ne débouche plus dans un sous-bois sans se souvenir que l'humanité antique y plaçait des présences. Tout vibre ! Comme la nature devient gaie !
Mais un jour dans l'histoire des hommes, la raison triompha, la science expliqua tout et un coup de balai fut donné à toute proposition qui n'était pas rationnelle, ni chiffrée. Le nombre l'emportait sur la substance. Ce fut le règne de la quantité.
Maupassant déroule cette mélancolie dans ses nouvelles et particulièrement dans un récit intitulé La Peur : « Comme la terre devait être troublante autrefois, quand elle était si mystérieuse !
À Ithaque, nous accostâmes devant un olivier.
L'arbre ressemblait à l'un des oliviers du verger de Laërte où Ulysse vient parachever son retour en se présentant à son père.
« Ulysse dans l'enclos ne trouva que son père, bêchant au pied d'un arbre. »
Un père, un arbre, une île : les racines de soi.
Les lettrés localisèrent l'antre du cyclope sur les flancs du Vésuve.
Quelle analogie réjouissante !
C'est la grâce des études homériques et de la géographie mythologique : regarder le monde comme une page d'écriture !
La nuit tombe sur le port de Scylla, en Calabre.
Est-ce ici qu'Ulysse affronta le monstre, au chant XII ?
Des érudits le pensent. D'autres ricanent à ces thèses.
Qu'importe ?
La poésie est un exercice de la volonté. Pour que les dieux apparaissent, il suffit de le vouloir.
Le merveilleux, c'est la volonté d'une représentation. Il suffit d'ensemencer le réel.
Homère était poète aveugle
Il créa tous les mondes en lui
Puisqu'il ne les voyait point.
La philologue italienne
Andrea Marcolongo
Apparut un jour devant lui.
Mais que signifie la beauté
Quand l'œil ne peut pas la voir?
Et pour la première fois,
On plaignit Homère d'être aveugle.
"La réalité ne se révèle qu'illuminée par un rayon poétique" ajouta Braque.
Fort de cette pensée, je m'interdis de partir en mer sans un peintre de bord [...]
Les Grecs des âges héroïques auraient été contents : l'union de l'œil avec le réel avait son prêtre, un peintre.
Notre panoplie des travaux et des jours
Il y a la lumière, le brouillard et puis viennent les îles. Chacune est un monde. (...) Quel est leur trait d'union ? La navigation. Le sillage est le fil d'un collier de perles éperdues.
À Tinos, effaré par les rafales et étourdi de lumière, je compris que la poésie homérique était née de la rencontre du génie des lieux et du génie d'un homme. Les poèmes aspiraient cet air, cette mer. Et si Homère avait disposé d'un tel réservoir d'images et d'analogies, c'est qu'il avait parcouru cette géographie, aimé cet espace, captant ici et là des visions qui n'auraient pas été les mêmes si elles avaient été moissonnées ailleurs.