L'odeur de cette femme qui fleurait l'herbe et le lait dut faire chavirer l'esprit du reptile. Il s'enroula autour du bras qui s'offrait à lui, fixa de ses iris dorés les yeux clairs de la Glaneuse. Elle le nomma « le Mordoré ».
Le cognement de la hache, le fracas de la foudre troublent le rêve intemporel des arbres. Ce que les gens appellent "la mort des arbres" est un instant où ceux-ci se rapprochent de l'existence inquiète propre au monde animal. Pourtant les arbres n'atteindront jamais le royaume d'inquiétude des animaux et des hommes.
Lorsqu'un arbre meurt, son rêve dénué de signification et d'impressions est récupéré par un autre arbre. Aussi les arbres ne meurent-ils jamais. Ignorer qu'on existe libère du temps et de la mort.
A force de manifester sa puissance, la jeunesse se fatigue. Une nuit, un matin, l'homme franchit la ligne de démarcation, atteint son sommet, esquisse le premier pas de la descente. Survient la question : faut-il descendre fièrement, défier le crépuscule, ou bien tourner son visage vers le passé, s'efforcer de sauver les apparences, prétendre que cette pénombre résulte simplement du fait qu'on a provisoirement éteint la lumière dans la chambre ?
Les gens croient vivre plus intensément que les animaux, les plantes et – à plus forte raison – les choses. Les animaux pressentent que leur vie est plus intense que celle des plantes et des choses. Les plantes rêvent qu'elles vivent plus intensément que les choses. Les choses, cependant, durent ; et cette durée relève plus de la vie que quoi que ce soit d'autre.
Il y a deux manières d’apprendre : de l’extérieur et de l’intérieur. La première est considérée comme la meilleure, voire la seule. Aussi les gens acquièrent-ils leurs connaissances au cours de voyages en contrées lointaines, au moyen de lectures, par l’intermédiaire d’universités ou de conférences — ils tirent leur enseignement de ce qui se passe à l’extérieur de leur personne. L’homme est un être bête qui doit apprendre. Il s’enrobe de savoir, il le butine telle une abeille, l’accumule, l’utilise et le transforme. Mais les connaissances qui, comme une couche de crasse, se collent à un homme en surface ne modifient pas cet homme davantage que ne le ferait un changement d’habit. Or la Glaneuse apprenait en assimilant, en recueillant à l’intérieur d’elle-même ce qui avait précédemment constitué le monde extérieur, et celui qui apprend en absorbant les choses au fond de lui-même subit d’incessantes métamorphoses, ce qu’il apprend s’incorpore à son être.
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Rien ne vaut l’action pour guérir l’humeur chagrine.
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“Un enfant de plus, une dente en moins.” Autre façon de dire : “Dans la vie, tout se paie.”
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Il ne s’agit pas de savoir si Dieu existe. Ce n’est pas ça qui compte. Croire ou ne pas croire, voilà la question.
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Il faut vivre, déclara Paul. Elever des enfants, gagner sa vie, s’éduquer en permanence, viser toujours plus haut.
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Lorsqu’un arbre meurt, son rêve dénué de signification et d’impressions est récupéré par un autre arbre. Aussi les arbres ne meurent-ils jamais. Ignorer qu’on existe libère du temps et de la mort.
Comme tout être humain, Misia était née en quelque sorte disloquée. Chaque faculté, chez elle, faisait bande à part : la vue, l'ouïe, la compréhension, le sentiment, le pressentiment. Son petit corps était au pouvoir de réflexes et d'instincts. La mise en ordre, l'unification de tout cela, voilà en quoi devait consister la vie de Misia avant de laisser s'opérer la désintégration finale.
Mais le temps, à la maison des vieux , ne s’ écoule pas de la même manière qu’ ailleurs, il y ressemble à un ruisselet qui se tarit
Qui suis-Je? se demande Dieu. Dieu ou homme? Peut-être l’un et l’autre à la fois? Peut-être aucun des deux? Ai-Je créé les hommes ou les hommes M’ont-ils créé ?
La condition d’enfant, de même que celle d’adulte, n’était qu’un état transitoire. Misia en eut l’intuition, et, dès lors, observa attentivement les modifications qui se produisaient en elle ainsi que chez les êtres de son entourage.
L'homme attèle le temps au char de la souffrance.
Il souffre à cause du passé et il projette sa souffrance dans l'avenir. De cette manière, il crée le désespoir.