Les amanites sont les gardiennes du mycélium. Ruth se couche par terre au milieu d'elles et admire leurs jupons blancs comme neige.
Un jour, elle a entendu un bruit souterrain semblable à un soupir étouffé, suivi du crissement subtil de minuscules mottes de terre entre lesquelles les filaments de mycélium se fraient la voie. Ruth venait en fait d'entendre se dilater un coeur dont le rythme est d'un battement toutes les quatre-vingts années humaines.
Pour les animaux, Dieu est un peintre. Il déploie devant eux le monde sous forme de vue panoramique. Le fond du tableau est constitué d’odeurs, attouchements, goûts et sons qui n’incitent à aucune réflexion. Les animaux n’ont pas besoin de raisonner – les hommes éprouvent parfois quelque chose de semblable dans leurs rêves. Mais à l’état de veille, les humains veulent que la vie ait un sens, car ils sont prisonniers du temps. Les animaux rêvent en permanence. Pour eux, le réveil de ce rêve, c’est la mort.
Le jeu est une sorte de chemin sur lequel se succèdent de multiples choix, annonçait le texte au début. Les choix s'effectuent automatiquement, mais parfois le joueur a l'impression de prendre des décisions raisonnées. Il se sent alors responsable de la destination prise et de ce qu'il attend au bout. Cette éventualité est susceptible de l'effrayer.
La lune, c’est seulement le masque du soleil. Il le met quand il sort la nuit pour surveiller le monde
Quand elle restait seule, elle se parait de ses robes et se plantait, parfumée et élégante, devant l'œil de l'objectif.
-Clic ! s'exclamait l'appareil, émerveillé.
p275 (éd. Pavillons Poche)
Ignorer qu'on existe libère du temps et de la mort.
Ivan baissa la voix et se me mit à parler très lentement :
- Imagine maintenant qu’il n’y a aucun Dieu derrière tout ça, comme tu dis. Que personne ne surveille rien, que le monde entier n’est qu’une grosse pagaille ou bien, pis encore, une espèce de machine, une sorte de hache-paille détraqué qui continue à tourner sur sa lancée….
Isidor regarda une nouvelle fois autour de lui, s’efforçant de voir les choses comme le lui suggérait Ivan Moukta. Il banda son esprit, écarquilla les yeux au point qu’ils larmoyèrent. Alors, un très court instant, il entrevit un autre univers. L’espace, morne, s’étendait à l’infini. Tout ce qui s’y trouvait, tout ce qui vivait était impuissant et solitaire. Les évènements se produisaient par accident, et quand l’accident faisait défaut apparaissaient des lois mécaniques. Machine rythmique de la nature. Pistons et engrenages de l’histoire. Des règles qui pourrissaient de l’intérieur et tombaient en poussière. Le froid et la tristesse régnaient partout. Chaque créature désirait se blottir contre quelque chose, se coller à quelque objet ou bien son semblable, mais il n’en résultait que souffrance et désespoir.
Il sortit sur les marches du perron, et se mit à jouer. Le Dernier Dimanche, pour commencer, puis Les Steppes de Mandchourie. Les papillons de nuit se précipitèrent vers la lampe de l'entrée et tourbillonnèrent au-dessus de la tête de Paul.
Il joua longtemps, coiffé de cette vivante auréole d'ailes et d'antennes, jusqu'à ce que les cordes poussiéreuses et raidies du violon cassent l'une après l'autre.
Un jour, Misia porta le bâton de fard à ses lèvres et les peignit en rouge sang. Cette couleur fit bouger le temps, et Misia put se voir telle qu'elle serait d'ici quelques années, à l'heure de sa mort. Elle effaça précipitamment le rouge, alla retrouver ses poupées, saisit leurs menottes bourrées de sciure et les fit applaudir en une ovation silencieuse.
De même que dans l'eau, c'est par les pieds qu'on pénètre dans le sommeil.