Le petit village d'Antan est gardé par les quatre archanges Raphaël, Gabriel, Michel et Uriel postés aux quatre points cardinaux tandis que pour les enfants il existe une frontière imaginaire au-delà de laquelle il n'y a plus rien. Pourtant ce petit village hors du temps sera rattrapé par l'histoire et le modernisme. D'abord ce seront les occupants allemands puis russes qui imposeront leur loi, puis les voitures et les prospectus venus par voie postale amèneront le temps des hommes.
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Olga Tokarczuk nous raconte l'histoire de ce village sur plusieurs décennies à partir de 1914.
Son église avec son curé essayant en vain d'arrêter la crue de la rivière ; son château avec son châtelain Popielski, en pleine crise religieuse et existentialiste, à qui un rabbin offre un jeu très étrange qui rythmera le roman et amènera le châtelain hors de la réalité, peut-être pour son plus grand bien ? Sa forêt dans laquelle vit l'énigmatique Glaneuse et bien sûr, son moulin avec Michel le meunier, sa femme Geneviève et leurs descendants que nous suivrons au fil des ans.
Dans ce conte onirique, tout le talent de @
Tokarczuk s'exprime à travers de courtes nouvelles intitulées le temps de... qui mises bout à bout forment un roman qui nous raconte le temps qui passe, le rôle de Dieu, sa non implication sur les fléaux qui jalonnent nos vies, alors elle l'égratigne, Dieu, dans ses dialogues :
« —Réparer le monde, dis-tu. C'est très intéressant, mais irréaliste. le monde ne saurait être amélioré ni rendu pire. Il doit rester tel qu'il est.
—Mais pourtant, vous vous êtes appelés « réformateurs ».
—Ah, tu as mal compris, mon garçon. Nous n'avons pas l'intention de réformer le monde. Nous réformons Dieu. »
Et les Anges ? Elle ironise sur les Anges :
« La raison d'un ange ne ressemble pas à celle de l'homme, il ne tire pas de conclusions, ne juge pas, ne pense pas de manière logique. À certains humains un ange pourrait paraître stupide. Mais l'ange, depuis l'origine des temps, porte en lui le fruit de l'arbre de la connaissance, le savoir pur : une raison affranchie de la pensée, et , du même coup des erreurs - ainsi que de la peur qui les accompagne. Une raison libre des préjugés engendrés par la perception lacuneuse des humains. »
Cela me rappelle une citation d'un autre auteur sur les anges :
« La condition humaine, mais quelle est la condition des anges? A mi chemin entre Allahbonne et homo sapiens, ont-ils jamais douté? Oui : défiant la volonté de Dieu, un jour, ils se sont cachés sous le trône, osant poser des questions interdites, des antiquestions: Est-ce juste. Ne pourrait-on pas en discuter. La liberté, la vieille antiquête. Évidemment il les a calmés en employant ses dons de dirigeant, de Dieu. Il les a flattés : vous serez les instruments de ma volonté sur terre à propos des salutdamnations de l'homme et tout l'habituel etc. Et hop presto, fin de la revendication, on remet les auréoles et au boulot. Les anges(...)fais-en tes instruments et ils joueront ta musique à la harpe. »
Salman Rushdie @
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Dieu, le temps, les hommes et les anges jette donc un regard espiègle, mais sans concession, sur la religion et particulièrement sur la catholique Pologne qui semble avoir oubliée qu'elle fut aussi, un temps, juive.
Un roman avec de nombreux niveaux de lecture mais dans lequel l'écriture lumineuse et poétique d' @Olga Torcaczuk prédomine, car c'est avant tout du plaisir que j'ai ressenti à la lecture de ces « temps » métaphoriques proposés par l'auteure.
L'humour, également très présent dans le roman, complète la copie parfaite rendue par @
Olga Tokarczuk. Nul doute que le réalisme magique a encore de beaux jours devant lui avec un tel talent.
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