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sur 949 notes
Quand vous lisez beaucoup et depuis, disons, un certain temps, les lectures défilent, se renouvellent, changent, évoluent avec vous.

Il y a les lectures obligées, scolaires, qui par leurs découvertes forcées et encadrées peuvent vous décevoir et vous éloigner, pour un temps du livre.
Ce fut mon cas.

Et puis, il y a les lectures conseillées par des amis qui vous connaissent et vous comprennent et qui vous remettent sur le chemin de la lecture.
Ce fut mon cas aussi.

Puis les années et les livres passent, beaucoup sombrent dans l'oubli, mais subsistent ceux que je nomme nos classiques personnels.

Un auteur, dont hélas le nom m'échappe (peut-être Jules Renard ?) a dit, en substance :"Il y a les livres que l'on lit mais ceux qui comptent sont ceux que l'ont relit".

Je cite de mémoire, veuillez excuser l'approximation.

Autrement dit, les livres qui comptent, sont ceux dont on sait déjà en les refermant qu'ils nous ont apporté quelque chose, et qu'on les reprendra un jour, dans un mois, dans dix ans, mais qu'ils nous ont marqués pour de bon.

Bien peu de livres m'ont fait cet effet, mais ce fut le cas avec "Le roi des aulnes".
Peu importe qu'il fut récompensé du prix Goncourt, ou que l'adaptation en film soit une réussite ou pas.
Abel Tiffauges, est l'un des rares personnages romanesques qui m'ait marqué.
Bardamu, Oscar Matzerath, Martin Eden aussi dans d'autres registres.

Depuis quelques temps je me pose la question de savoir quels livres je voudrais garder absolument, et desquels je pourrais me séparer sans grands regrets.

Le résultat est sans appel ; de tous les livres que je possède, lus ou à lire, un nombre assez limité passe le test.

Ce roman de Michel Tournier en fait partie.
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Abel Tiffauges est un garagiste persuadé d'avoir un destin grandiose à accomplir. « Ma vie fourmille de coïncidences inexplicables dont j'ai pris mon parti comme d'autant de petits rappels à l'ordre. Ce n'est rien, c'est le destin qui veille et qui entend que je n'oublie pas sa présence invisible mais inéluctable. » (p. 88) Doté d'une force physique hors du commun, Abel Tiffauges est fasciné par les jeunes garçons. Il les photographie, enregistre leurs voix et observe leurs jeux innocents. Son obsession pourrait lui valoir la prison, mais il y échappe quand la Seconde Guerre mondiale éclate. Abel Tiffauges s'enrôle et se passionne alors pour les pigeons voyageurs. Rapidement fait prisonnier par les Allemands, il n'est pourtant jamais entravé dans ses mouvements et acquiert une position de choix dans un centre d'éducation pour les jeunesses hitlériennes. Là, il assouvit enfin la passion dévorante qu'il entretient à l'égard des jeunes garçons.

Abel Tiffauges est fasciné par les jeunes corps des garçons et il en entreprend une lecture systématique et révérencieuse. Tiffauges déchiffre les corps, leurs lignes, leurs pleins et leurs déliés, et il excelle à les catégoriser, dans une volonté maniaque de thésaurus. Abel Tiffauges est un ogre qui ne goûte jamais à la chair, mais qui tente de dérober les essences mêmes de ses proies. « Je compris que j'obéirais d'autant mieux à mes aspirations alimentaires que j'approcherais davantage l'idéal de la crudité absolue. » (p. 94) En collectionneur avide, il cherche toujours plus loin la pièce qui manque à son butin.

Dans son journal qu'il a intitulé Écrits sinistres, il célèbre aussi le mystère divin de l'acte de porter. Il appelle cette mission, sainte à ses yeux, la phorie et il l'entoure de respect et de religiosité. « Je saisis pour la première fois le sens tiffaugéen du sacrement du baptême : un petit mariage phorique entre un adulte et un enfant. » (p. 148) À l'instar de son travail sur les corps des jeunes garçons, il accumule obstinément les symboles sacrés ou païens qui célèbrent la phorie.

Il y aurait tant à dire sur ce superbe roman de Michel Tournier. L'auteur m'avait déjà éblouie avec Vendredi ou les limbes du Pacifique où il réécrivait le mythe de Robinson. Ici, il reprend un célèbre poème de Goethe : le Roi des Aulnes est un charmeur dévoreur d'enfants, terrible figure d'ogre s'il en est. le talent de Michel Tournier à extrapoler les mythes littéraires est sans égal à mes yeux. Dans le Roi des Aulnes, il mêle le mythe aux références bibliques et mythologiques et fait regorger son texte d'analogies, de symboles et de métaphores. L'intertextualité mise en oeuvre semble inépuisable et l'auteur fait montre d'une érudition qui n'a rien de vantarde, qui n'est qu'hommage aux classiques et volonté de les surpasser pour mieux les honorer.

Je m'attarde un instant sur le nom du protagoniste. Dans la Bible, Abel est le nomade assassiné par son frère Caïn : dans le Roi des Aulnes, Abel Tiffauges est sans cesse en mouvement et il progresse vers l'est, vers la lumière. Il échappe toujours à la mort et son initiation est continue auprès de différents maîtres. le frère assassiné est ici bien vivant et décidé à prendre revanche sur la vie. Quant au patronyme, Tiffauges, c'est le nom du château de Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d'Arc et assassin d'enfants. Son histoire a été reprise dans de nombreuses légendes présentant des ogres, dont le cruel Barbe-Bleue. Abel Tiffauges est donc un ogre en marche : courez, enfants ! Il vient pour vous !

La violente beauté du style de Michel Tournier m'émeut au-delà du dicible. Je suis sans voix devant les inventions lexicales de l'auteur : soucieux d'utiliser exactement le mot qui convient pour désigner la chose pensée, observée ou ressentie, il ne se contente pas de synonymes ou de périphrases, il crée des termes à la mesure des idées qu'il développe. L'épaisseur sémantique ainsi créée fait du texte un recueil unique de termes, un dictionnaire à lui seul. Michel Tournier crée le sublime à partir du prosaïque, voire du tabou. La sensualité de son texte est vicieuse, dépravée et souvent défécatoire, mais elle est sensualité pleine et entière.

J'arrête ici ce trop long billet en vous recommandant ce roman. Ne soyez pas rebuté par l'érudition du texte. Plongez les yeux fermés dans la spiritualité animale d'Abel Tiffauges !
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Abel Tiffauges aime la chair fraîche et la viande crue. C'est un ogre.
On peut lire le Roi des Aulnes comme une variation sur le thème de Lolita, emporté par la logorrhée abjecte du pédophile qui justifie sa jouissance.
Mais l'esprit malade qui parle n'est pas une simple personnalité déviante, c'est l'idéologie nazie qui se révèle à nous dans ce soliloque inouï.
Le nazisme aime les enfants et les enfants l'aiment: le nazisme vante la joie des jeux guerriers dans l'exaltation des corps pré-pubères et la camaraderie des purs.
Abel renonce au sexe (en 1970, Tournier a imaginé un personnage qui se lançait dans la guerre pour ne plus avoir à faire l'amour...) et en renonçant à la génitalité s'enfonce dans une forêt de symboles: pour lui, tout est signe et la grande histoire n'existe que pour lui façonner un destin.
Tournier ose dire que le nazisme mêle exaltation et soumission, effacement de l'autre nié ou objectivé, (Abel recueillant des cheveux pour les tisser et s'en vêtir) et exaltation romantique du moi.
Vous voulez comprendre pourquoi deux jeunes crétins entrent dans une église pour égorger fièrement un vieillard? Lisez le Roi des Aulnes.
Mais puisque Tiffauges s'appelle Abel et non Caīn, il sera sauvé. Et qu'est-ce qui préserve du nazisme, de l'islamo-fascisme et de toutes les idéologies délétères? Pas de recette miracle: oublier les séductions abstraites du collectif et sauver une personne, une seule, peut-être, mais qui soit autre donc différente donc humaine.
Il y avait longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi éblouissant. La prochaine fois que quelqu'un me demandera de lui définir ce qu'est la littérature, j'aurai ma réponse toute prête: la littérature c'est la précision et le chatoiement du langage, c'est le mythe et son renouvellement, c'est le Roi des Aulnes.
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Pour devenir le Roi, il aura fallu jeter une femme, une profession, une image sociale, et s'enfermer à l'écoute des élans profonds de son être. Retrouver la beauté qu'on espère. Tiffauges aperçoit le diamant pur, encore intact, dans l'âme et le corps de l'enfant.


On craindrait de se perdre dans cet idéalisme qui sonne creux mais le parcours de Tiffauges procède d'un accomplissement qui a tous les attributs du matérialisme. Sa conversion est progressive. Sans crise mystique, elle ne résulte pas d'une crise consciente mais d'une épreuve de vie lentement destructive, érodée jusqu'à ce que l'ultime goutte d'aigreur ne vienne faire déborder un vase prêt à rompre. La seconde guerre mondiale représente cette rupture avec le monde précédent et donne la possibilité à Tiffauges d'embrasser une nouvelle vie. La réalisation spirituelle s'accomplit par le biais d'un matérialisme entier fait de corps en chair et en os, d'animaux puissants et de viande crue, d'appétit orgiaque, de fleuves de laits, de petites têtes tondues et de théorisation sanguine. Comme l'écrit Michel Tournier lui-même, ce parcours se fait comprendre comme « la destruction de toute trace de civilisation chez un homme soumis à l'oeuvre décapante d'une solitude inhumaine, la mise à nu des fondements de l'être et de la vie, puis sur cette table rase la création d'un monde nouveau sous forme d'essais, de coups de sonde, de découvertes, d'évidences et d'extases ».


La figure de saint Christophe, ce héros géant qui traversa une rivière en portant sur ses épaules un petit garçon -le Christ-, guide Tiffauges dans sa réalisation depuis sa rupture avec Rachel jusqu'à sa réalisation en tant que maître d'une Napola. Dans ces écoles paramilitaires du IIIe Reich destinées à la formation de jeunes garçons, Tiffauges apprendra qu'il ne s'était jamais connu jusqu'alors. Il n'était comme personne et il lui fallait connaître une vie comme aucune autre pour le savoir. Sa rupture avec Rachel, compagne à la fois tendre, brave et intelligente, figurait déjà l'instinct anticonformiste de Tiffauges. Ses illusions sur la sexualité et l'amour bourgeois étaient déjà mortes depuis longtemps mais il n'avait encore jamais réussi à en délaisser la pratique. Autre vie, autres moeurs. La guerre et le régime nazi lui font découvrir d'autres extases : l'alimentation crue, brute et animale, la défécation, la jouissance de se perdre jusqu'à se sentir soi, enfin la phorie. La phorie : porter littéralement et métaphoriquement, de jeunes garçons. Littéralement sur les épaules, se transformer en cheval vigoureux qui grise le cavalier. Métaphoriquement en maître, conduire le germe à son éclosion, l'enfant étant une promesse ouverte à une multitude de possibilités. En abandonnant la sexualité dans sa définition classique, Tiffauges découvre qu'il est possible de se lier plus authentiquement au monde. En vivant pour soi, rien que pour soi, sans femme qu'il faut aimer et dont il faut être aimé sous peine de perdre son sens, Tiffauges atteint la quintessence de la matière. A partir de là, la question de la révolution spirituelle ne se pose plus. Elle devient acte à son tour et nous convie à un banquet de belles chairs ondulantes, de reconnaissance pour la vie, de violence passionnée, rien qui ne contredira l'origine du nazisme mais tout qui condamnera la léthargie qui voulut s'y opposer, les compromis, et le sursaut alarmé.
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Les critiques qui ont précédé celles-ci sont éloquentes : ce roman est un chef-d'oeuvre, et cependant a heurté ma sensibilité ; parfois il m'a saisi, parfois j'aurais voulu le rejeter, dégoûté... le Roi des Aulnes m'a semblé difficile à pénétrer, et à commenter aussi... l'impression dominante qu'il me laisse est un malaise... d'où seulement trois étoiles.
Mêlant plusieurs thèmes -dont une réflexion profonde sur les racines de l'Allemagne nazie, au coeur rural et historique de pays- autour d'un personnage psychologiquement perturbé, complexe et... perturbant aussi pour le lecteur. Son parcours initiatique, qui se déroule de 1939 à 1945 dans différentes postures, n'est que prétexte à l'accomplissement de son être profond, fait d'une sensualité morbide et d'obsessions dangereuses. Chaque acte matériel, depuis la collaboration avec les médecins nazis jusqu'à l'acte défécatoire, est prétexte à symbolique ; Ogre ou Saint Christophe, Abel Tiffauges ne se laisse pas cerner par une quelconque morale, et échappe d'ailleurs toujours aux conséquences de ses actes. Chevauchant son cheval Barbe-bleue, il est Roi phorique (concept inventé pour la cause par Tournier), portant sans pudeur à son front les pulsions les plus sombres de l'Humanité, pour le pire et le meilleur.
Un roman qui pour moi n'a rien à voir avec les autres que j'ai lu de Tournier ; un roman qui m'a gêné dans ma vision du bien et du mal, un roman qui m'a troublé et contraint à reconnaître (non, monsieur le juge, je ne suis pas un pédophile en puissance !!! ) au fond de soi ces ressorts matériels et sensuels qui peuvent, si l'on n y prend garde, faire d'un homme un monstre (allégorie du nazisme donc, encore).
Un grand roman donc, sans aucun doute, à plusieurs niveaux de lecture. le tour de force de Tournier, outre la qualité de sa langue, est sans doute de nous obliger à sortir du jugement sur le bien et le mal ; il ne s'agit pas d'aimer ou de ne pas aimer, sauf à s'exposer à un malaise grandissant ; il s'agit de ressentir, comme la première fois que l'on monte à cheval...
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Un garagiste pédophile, Abel, rédige ses mémoires : années de pensionnat (où il découvre que porter un petit corps est "chose si belle"), puis années d'observation de cours d'école (avec photos et enregistrements sonores).
Ensuite la guerre éclate et il se retrouve prisonnier en Prusse orientale : éleveur de pigeons, puis assistant garde-chasse de Göring, puis recruteur d'enfants pour un pensionnat militaire.
Pour finir l'Armée rouge arrive et il quitte le pensionnat en portant sur ses épaules le petit corps d'un enfant, rescapé des camps de la mort.
Et la boucle est bouclée.
Sauf qu'à partir de cette boucle musicale, Tournier bâtit toute une symphonie, une symphonie concertante, avec l'Ogre Abel comme soliste.
Car l‘ampleur, la densité de ce roman ne peuvent se comparer qu'à la construction d'une monumentale oeuvre musicale.
Déjà dans cet extrait : "Car je ne doute pas qu'une nuit un visiteur sculpté dans de la pierre tombale viendra frapper à ma porte de son poing de marbre, et qu'il prendra la main que je lui tendrai et m'entraînera avec lui dans les ténèbres dont nul ne revient. Mais il n'aura pas les traits d'un père bafoué et assassiné. Il aura mon propre visage."
… on entend le final de Don Giovanni ; de même on découvre la forêt de symboles qu'Abel voit partout au fur et à mesure que grandit sa folie, sur fond d'idéologie nazie.
Il est donc impossible de résumer ce roman, dans lequel Tournier évoque ses propres obsessions, convoque sa grande érudition, et provoque, littéralement, la sidération.

Challenge Solidaire 2023
LC thématique octobre 2023 : "Un·e auteur·e déjà lu·e"
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Cela commence par une déambulation étrange et vaguement nauséeuse dans l'esprit d'Abel Tiffauges, dont la vie sociale est réduite à sa portion congrue dans un garage de banlieue, qui à travers ses «écrits sinistres » raconte son enfance dans un pensionnat de province où il s'est initié aux joies de l'esclavage, de cette violence brutale propre aux enfants, à la cérémonie de la défécation parfaite, expériences dont le suc l'a ouvert au monde infini et fascinant des symboles, et recentré sur une passion troublante pour la pureté de l'enfance.
Le ton est donné, autant dire qu'on ne part pas dans un roman facile.
Puis la narration se fait extérieure, et nous suivons Abel, sorte de miroir inversé et déconnecté des abominations et des fulgurances de son temps, enrôlé comme soldat au début de la guerre, fait prisonnier par les Allemands qui sauront vite utiliser en lui sa totale obéissance et sa force herculéenne. On croise de magnifiques cervidés, un Goering chasseur avide plongeant les mains dans un bocal de pierreries, un château fortifié entouré de ronces, un roi des Aulnes momifié extirpé de la boue, une cabane au Canada. Autant de nouvelles expériences dans laquelle Abel débusquera de nouveaux symboles et développera sa quête de « phorie », de portage au-delà des contingences, ce qu'il finira par faire aussi littéralement que symboliquement avec un enfant, comme dans un geste de rédemption.
J'ai beaucoup de mal à parler de ce roman brillant, et suis bien incapable d'en proposer une analyse que d'autres ont su faire de manière passionnante dans leurs billets. Il me reste néanmoins, outre la sensation de malaise à avoir cotoyé ce personnage étrange, l'impression d'avoir touché du doigt les racines du nazisme dans ce qu'elles ont de plus glauque, comme dans « Les Bienveillantes ».
Eprouvant, dérangeant, époustouflant d'intelligence.
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Le roi des aulnes : ici naît « l'ogre de Michel Tournier ».
Après avoir dévoré « Vendredi …». Quel choc !
« le roi des aulnes », c'est d'abord l'histoire d'Abel Tiffauges. Et quelle histoire : celle d'un homme que l'Histoire l'entraîne en Allemagne au moment crucial ou son histoire personnelle est en train de basculer du fait de son attirance pour les cours d'école… La France est vaincue ; Abel Tiffauges découvre une Allemagne imprégnée du romantisme de Goethe, Schiller, Hölderlin ; le « pays des essences pures où tout ce qui passe est symbole».
Symbole…? Tout est symbole dans ce texte tellement difficile à évoquer en peu de mots… A commencer par le prénom du « héros » : Abel, le nomade, qui dans la Bible fut victime de son frère Caïn, n'est-il pas présent en Tiffauges qui recrutera de jeunes enfants pour les former dans une napola, sorte d'école de la jeunesse nazie, pour finalement les envoyer vers une mort certaine… Ogre ?
Quant à son obsession pédé-phore ( porte enfant), n'y a t'il pas du Saint Cristophe (Christo phoros, porte Christ) dans sa tentative pour sauver le jeune Garçon juif en lui faisant traverser la rivière posé sur ses épaules…
N'est-ce pas Abel, tel probablement « le roi des aulnes » qui fut retrouvé dans une tourbière en 1942, intact et âgé de deux siècles, qui s'enfonce dans la rivière boueuse ?

Dès son deuxième roman, la langue de Michel Tournier s'affirme comme l'une des plus riches de la littérature du vingtième siècle : mythologique, étymologique, symbolique… Bien sur que le nouveau roi des Aulnes, c'est Abel Tiffauges, lui qui réussit à porter sur ses épaules l'histoire universelle sous les traits d'un enfant.
Le jury Nobel, n'a rien remarqué. Tant pis pour lui !
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A travers l'histoire d'Abel Tiffauges, pédophile en puissance, qui rode autour des écoles , attiré par la chair fraîche, Tournier revisite le mythe de l'Ogre, du loup, du prédateur...

Mais rien n'est jamais univoque dans un mythe- le mot ne vient-il pas du grec muthos,,la légende, le mensonge et n'a -t-il pas étrangement donné en doublet le mutus latin qui signifie muet? ...Le mythe est donc à la fois une parole ET un silence...un mensonge signifiant et énigmatique.

Alors, derrière le prédateur, le voleur et le violeur d'enfants, se dessine une autre figure attentive aux enfants mais dans le meilleur sens du terme: une figure tutélaire, protectrice. Un enleveur d'enfants, mais pour leur salut, un porteur d'enfants, un pédéphore, un Saint Christophe qui juche les enfants perdus sur ses fortes épaules et leur fait traverser les périls sans encombre.

le personnage d'Abel Tiffauges se relie au mythe de l'Ogre, et à celui de La Barbe-Bleue, ce Gilles de Rais, dont le château de Tiffauges donne au personnage une clé évidente, mais il se relie aussi , par le prénom, Abel, au récit biblique et , avec l'image de Saint Christophe, au Nouveau testament..

Abel Tiffauges, le prédateur et le sauveur...Un nom oxymorique ..

L'échappée sauvage de Tiffauges, monté sur Barbe-Bleue, son cheval, arpente d'abord les terres du Mal et du mal absolu, le nazisme; Il sert de rabatteur d'enfants pour Goering à Rominten, puis pour von Kaltenborn dans la napola du même nom...

Mais l'anéantissement de Tiffauges est aussi sa rédemption : il meurt en sauveur d'un enfant juif , s'enfonçant dans la tourbe, tandis que tournoie sur sa tête l' Etoile de David..
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C'est un roman à part : mythologique, mythique, scatologique, dérangeant, épique, cruel.
L'écriture est riche, dense. L'auteur est très cultivé et cherche le mot juste et exact pour dépeindre la réflexion philosophique la plus élevée comme l'analyse de l'acte défécatoire.

Abel Tiffauges traverse une vie et une époque troublée. Pour lui, tout est signe. Abel pense que ces signes lui sont personnellement adressés. Sa vie est une épopée marquée par des rencontres qui le marque.

Des thèmes traversent tout le roman : tomber, porter, l'image, les enfants, le destin, l'ogre.
Abel Tiffauges est un ogre :
Il dévore métaphoriquement le monde. Il absorbe les images, les enseignements et presque les enfants. le livre est assez ambigu à de multiples reprises sur ce thème.
Par enseignements, il ne faut bien sûr pas comprendre un enseignement scolaire. Ce sont certaines personnes comme Nestor qui le prend sous son aile à l'orphelinat, un militaire colombophile, un garde-chasse, un noble prussien, un médecin nazi. Abel parle peu. Il écoute. Il observe.
Emmené par la guerre de plus en plus vers l'Est, il transcende son statut de prisonnier pour devenir au fur et à mesure que l'Allemagne s'enfonce dans la défaite, le maitre. Il n'en a pas la fonction, mais les attributs.

Sa fascination pour l'enfant, la question de la pureté, de l'innocence parcourent tout le roman oscillant entre l'allégorie, l'analyse la plus profonde et parfois l'ambiguïté.

Un roman fort et dense.
Lien : http://travels-notes.blogspo..
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