La double chronique de
Collectif Polar, deux avis pour le prix d'un !
D'abord :
La missive de Fanny H
C'est le premier livre de
Wendall Utroi que je lis et c'est aussi en même temps une découverte totale de l'auteur. Ce roman est annoncé comme un thriller mais pour moi pas du tout. C'est plutôt une histoire policière sur fond de réalité historique. Oui car les faits terribles dont nous parle
Wendall Utroi ont bel et bien existé.
L'histoire commence par Jacques, employé d'un petit village du nord de la France, qui découvre les mémoires cachées d'un policier anglais ayant vécu deux siècles auparavant. Il fait traduire les pages par sa fille et se presse de les lire.
Il va cependant totalement plonger, comme nous lecteurs, dans cet univers lourd et l'affreuse noirceur des bas-fonds de ce Londres des années fin 1800. Il va suivre petit à petit l'enquête de J.Wallace Hardwell, un policier intègre et humain, qui essaye de faire de son mieux face à tout ce qu'il va apprendre de sordide, notamment le fait qu'un membre de la famille princière et de nombreux nobles fréquentaient un établissement aux moeurs plus que condamnables en y retrouvant de jeunes garçons.
Le pouvoir a eu, comme à l'époque ou de nos jours également, gain de cause sur la presse. Déjà, de ce temps, on apprend que certains journalistes étaient prêts à faire éclater la vérité mais que les plus riches et les plus puissants (ici dans ce pays en l'occurrence la royauté) savaient très bien faire taire qui ils souhaitaient et de n'importe quelle façon.
Cette histoire est bien écrite, j'ai pris plaisir à retrouver ce livre et ses personnages dès que je le pouvais. Cependant, j'attendais plus de suspense ou de tension dû au fait de l'évocation de Jack l'éventreur en 4ème de couverture et je suis restée un peu sur ma faim.
L'auteur évoque des sujets graves et met l'accent sur des points importants comme la pauvreté engendrant la prostitution, des grossesses non désirées, des soins inexistants car trop cher, des avortements commis dans des conditions d'hygiène épouvantables menant ainsi à la mort de la jeune mère.
La condition de la femme et de l'enfant pauvre est terrible à l'époque victorienne en Angleterre et partout en Europe. Malheureusement, ce sujet est toujours d'actualité. Dans de nombreux pays dit civilisés ou non, la prostitution, même enfantine sévit toujours et l'accès aux soins comme nous avons la chance en France n'est pas identique partout en 2020.
Wendall Utroi nous dépeint un bien triste tableau mais réel. Et vous, avez-vous envie de suivre cette enquête dans les abimes de cette Angleterre du XVIIIème siècle ?
Le second avis
La Kronik d'Eppy
Ce roman, reçu de l'éditeur, m'a permis de découvrir la plume de l'auteur. Auteur dont j'ai encore trois romans dans ma Pal. Et je n'ai pas été déçue par ce thriller historique qui nous plonge dans les bas-fonds du Londres de Jack l'Éventreur.
L'histoire :
Jacques est cantonnier dans le Nord, à Houtkerque. Il est aussi en charge des « déménagements » des locataires du cimetière lorsque les concessions se terminent. Ce n'est pas le boulot qu'il préfère, mais il le fait dans le respect des corps qu'il transfère dans la fosse commune.
A quelques jours de ses 58 ans, le voici donc à déménager les caveaux de deux familles du coin et la tombe d'un étranger sur lequel plane de nombreuses histoires. J.Wallace Hardwell 1857-1917. Anglais, américain ? Qui était-il ?
Et voilà que Jacques fait une trouvaille : une boîte, un paquet soigneusement emballé, et une pochette de cuir quasi intacte emplie d'une énorme liasse de feuillets noircis d'une écriture anglaise élégante. Lui qui transfère toujours les biens trouvés avec les corps est cette fois trop curieux. Mais il se promet de restituer les feuillets à leur propriétaire, une fois qu'ils auront été déchiffrés.
Sa femme, Mireille, ne comprend pas sa fascination qu'elle trouve malsaine. Sa fille Aude, en revanche, qui est infirmière, va lui traduire les lignes qu'il a trouvées dans la tombe de Hardwell.
Comme lui elle va se laisser captiver par ce récit d'un autre temps.
Le mystère dans la boîte :
Il s'agit d'un secret qui a rongé la vie de J.Wallace et qu'il a couché sur le papier lorsqu'il a senti sa fin venir. Lui, le policier, qui au détriment d'une vie de famille a réussi à intégrer Scotland Yard en tant qu'inspecteur. Un émissaire de la Couronne est venu le trouver pour lui confier une enquête secrète pour laquelle il a carte blanche. Rien ne doit fuiter dans la presse. La réputation de la famille royale est en jeu.
Wallace va donc tenter de faire parler les trois protagonistes identifiés et incarcérés : Rebecca Brianey, patronne d'un lupanar, Myrtle River, femme de 74 ans, ancienne entremetteuse, recruteuse, et Timothy Brianey, fils adoptif et homme de main de Rebecca.
En se frottant à eux, J.Wallace va découvrir un monde qui lui est inconnu. Un monde de misère, de crève-la-faim et de violence. Un monde où les femmes ne sont rien. Il va savoir écouter et recueillir des confidences. Il va très vite découvrir que Rebecca est la mère naturelle de Timothy, même si elle a enfoui cette vérité au plus profond de son être. Comment peut-on être mère à 13 ans ? Elle a rejeté et maudit l'enfant aussi fort que celui qui l'a engrossée et abandonnée. C'est Myrtle qui s'est occupé de Timothy. Puis qu'est-il arrivé à son autre enfant ? Cette fille née plus tard et dont personne ne veut parler. Wallace va croiser les informations, en gommer les mensonges, et la vérité, celle de l'histoire de ces trois personnes, va se faire jour. Une vérité crue, cruelle, où les femmes elles-mêmes font subir à d'autres femmes le pire. Pour de l'argent. Celui des hommes tout-puissants dont les désirs sont sans limite.
Extrait page 43 de l'interrogatoire de Myrtle :
« – Oh, ça n'a pas été difficile. Comme je ne voulais pas rester un morceau de viande, j'ai fait la bouchère ! »
Rebecca, qui a 15 ans, a deux enfants à nourrir. Elle va se prostituer pour rembourser ses dettes. Il faut dire que la loi anglaise indique à l'époque que dès 13 ans révolus elle peut disposer de son corps. Et lorsque l'occasion va se présenter, à son tour, elle exploitera des filles avec l'aide de Myrtle.
Extrait partiel page 142-143 – Autre interrogatoire de Myrtle :
« Mais ce qu'ils ne chantaient pas sur les toits, ces cochons de bien-pensants, c'est que leurs maîtresses ne leur suffisaient plus. Eux ce qu'ils voulaient, c'était de la chair fraîche, des poupées de la rue, mais des neuves, des vierges, des filles vertes. Et ça ne les dérangeaient pas de payer le prix fort. » … « J'ai donc commencé à jouer les entremetteuses » … « C'était des gamines, à peine sorties de l'enfance, elles rêvaient de belles toilettes, de chaussures neuves… il suffisait de s'amuser un peu avec un monsieur. »
L'histoire de ces trois prisonniers est bien loin des intérêts de la Couronne. L'émissaire s'impatiente. Exige que des méthodes odieuses soient utilisées. Wallace s'y refuse. D'autres n'auront pas ses scrupules. Au terme de cette enquête, Wallace est, aux yeux de la Couronne, devenu un homme dangereux. Il en sait trop et il est sommé de quitter sa patrie. Qu'il ne s'inquiète pas, il continuera à toucher ses émoluments. Lui qui n'a fait que son devoir, le voilà exilé loin de sa ville.
Extrait page 356 :
« J'évoluais dans un monde où la justice ne se montrait sévère qu'envers les pauvres, les misérables, les petits. Son glaive se soulevait, s'abattait telle la foudre quand l'indigent avait volé, mais il tremblait lorsque l'aristocrate avait violé, abusé, exploité. Et quand cette épée ne vacillait pas, une main habile détournait sa course, ou écartait le coupable du tranchant de la lame. »
Le récit de J.Wallace, va passionner Jacques dont la vie est bien terne et sans surprise. Il va découvrir un monde où les certificats de virginité ont existé, où les sages-femmes qui les délivraient, réparaient les fillettes déchirées et hébétées par les assauts des hommes. Ces hommes qui estimaient avoir tous les droits puisqu'ils avaient payé. Puis la loi du 14/08/1885 est arrivée : elle élevait le consentement des filles de 13 ans à 16 ans.
Jacques va rendre à Wallace son carnet et son secret. Mais il ne peut s'empêcher de penser à cette histoire et au fait qu'aujourd'hui, à 11 ans tout est permis. Qu'elle régression. Quelle honte.
Conclusion :
Un très beau récit qui nous entraîne dans les quartiers miséreux de Londres. Qui nous parle de ces pauvres que les bourgeois et les puissants refusent de voir et qu'ils accusent du pire. de la violence faite aux femmes, aux filles. de tout temps. de la chape qui recouvre encore et toujours les exactions des puissants. de cette justice à deux vitesses qui n'est pas nouvelle, et qui hélas perdure. de ces différences qui dérangent. de l'hypocrisie des hommes, eux qui font pourtant les lois. J'ai beaucoup aimé ce roman et vous encourage à le découvrir.
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