La Fête au bouc s'articule autour de la figure de
Rafael Leónidas Trujillo Molina, " le Généralissime", "le Bienfaiteur de la Patrie", "le Père de la Nouvelle Patrie" ... le panégyrique des titres de gloire n'étant pas exhaustif, disons plus sobrement qu'il fut le dictateur sans partage de la République Dominicaine pendant trois décennies; autocrate nimbé de légende, coureur de jupon, paralysant quiconque par son esprit pervers, par sa volonté impérieuse et par la force de son regard hypnotique. Un bien triste sire que le "Jefe". Intimidations, expropriations arbitraires, tortures, assassinats politiques, concussion, clientélisme, manipulation, prébende, népotisme : la kyrielle habituelle en somme, des abus, des atrocités et des injustices d'un dictateur inique et d'un système retord compromettant tous les dominicains en les faisant complices de ses agissements. le présent volume se développe sur trois principaux courants de narration.
Une avocate de New-York, Urania Cabral revient en 1996, après trente-cinq ans d'exil, à Saint-Domingue, visiter son père. Sa déambulation à travers la capitale bruyante, odoriférante et exubérante de la république caribéenne fait remonter les réminiscences du temps de la dictature de Trujillo, alors que son père, le sénateur Agustin Cabral, était un haut dignitaire du régime, tombé ensuite en disgrâce. L'ancien ministre étant totalement grabataire et gardant le silence, la visite prend la forme d'un huis clos, d'un solde de tout compte d'un passé dont la fille, passionnée par l'ère Trujillo, cherche à tout prix à lui arracher des informations, des éclaircissements en le provoquant par la révélation de ce qu'elle sait ou devine. Cette démarche trouvera son aboutissement en manière de catharsis par la soirée qu'elle passera entourée de sa tante et de ses cousines. Un second courant de narration nous plonge dans le quotidien démystifié du dictateur à la santé déclinante, diminué par ses problèmes d'incontinences, alors qu'il vit ses dernières heures de pouvoir dictatorial, dans l'ignorance de l'attentat qui lui coûtera la vie. le récit se développe enfin au niveau des conjurés attendant la Chevrolet du dictateur pour la mitrailler. On apprend ce qui a poussé chacun de ces hommes, ancien trujillistes, à prendre cette décision suicidaire et décisive, d'abattre la personne la plus crainte de l'île, avec la bénédiction et la complicité de la C.I.A, alors qu'en un temps pas si lointain le dictateur participait à la politique américaine hégémonique dans la région, en tant que fidèle allié de l'oncle Sam, de premier rempart contre l'extension du communisme dans les Caraïbes et l'Amérique Centrale. Leur traque, les tortures endurées, leur martyr, tout est fidèlement décrit.
La Fête au Bouc est remarquable tant pas la matière même du sujet traité, que par le parti pris de sa composition et de son élaboration. le recours à différents niveaux de narration, le déroulement antichronologique par l'utilisation de l'analepse absorbe littéralement le lecteur. Narration distanciée à la troisième personne du singulier, apostrophe de l'écrivain à la deuxième personne ou transcription du flux de conscience à la première personne alternent habillement. Une oeuvre passionnante, atroce, magnifique.