Ce tome fait suite à Terre mère (épisodes 49 à 54). Il contient les épisodes 55 à 60 (les derniers de la série), initialement parus en 2007/2008, écrits par
Brian K. Vaughan dessinés par Pia Guerra, encrés par
José Marzan junior, mis en couleurs par Zylonol, avec des couvertures de
Massimo Carnevale. Ce tome constitue la fin définitive de l'histoire qui n'appelle pas de suite.
***
*** Épisodes 55 à 59 - Yorick Brown, l'agent 355 et Ampersand poursuivent leur voyage pour rallier leur destination : Paris, en France. Ils sont à bord d'un train qui semble convoyer le corps de
Lénine. À Paris, Hero Brown, Ciba Weber et son fils Vladimir, Natalya, Beth II et Beth junior essayent de retrouver Yorick. Elles sont persuadées qu'il doit se trouver, ou se trouvera bientôt dans cette ville. À Paris également, viennent d'arriver Alter Tse'elon et son commando, également à la recherche d'Yorick. Enfin Beth Deville n'est plus très loin de sa destination.
Comme l'intrigue le laissait présager dans le tome précédent, tous les principaux personnages se retrouvent à Paris et se croisent pour une forme ou une autre de résolution. Si le lecteur a déjà lu d'autres séries de Vaughan, il ne sera pas surpris par la tonalité de cette fin, sinon il doit se préparer à un choc.
Brian K. Vaughan choisit de ne pas clore son récit sous forme de fin définitive réglant tous les problèmes. C'est à la fois cohérent avec la nature du récit et sa tonalité, le lecteur s'attend à ce que les personnages aient encore une vie après la dernière page, il est donc normal que tout ne soit pas terminé. Dans la continuité des tomes précédents, Vaughan s'attache donc en premier lieu aux relations entre les personnages. La série "Y, the last man" aura donc eu comme thème principal le développement affectif et psychologique d'Yorick, et dans une moindre mesure de ceux dont il aura croisé la route. En jetant un regard en arrière vers le premier tome, le lecteur pourra donc mesurer le chemin parcouru par les personnages, l'évolution de leur caractère, l'évolution de leurs relations. Dès le départ le choix de Vaughan a été courageux. Dans un monde sans homme, il a mis en scène un jeune homme normal, bien sous tout rapport. Yorick a une morphologie normale (pas de muscles hypertrophiés), un caractère pesé (il ne laisse pas ses hormones lui dicter sa conduite), des valeurs peu affirmées, une culture spécifique (collectionneur de faits dérisoires, et amateur de culture très populaire), et des petites névroses (comme tout à chacun). Vaughan aura donc tourné le dos à tous les stéréotypes du héros d'action pour mettre en scène un individu normal, sans être banal.
De la même manière, Vaughan aura dépeint l'évolution de la personnalité d'Yorick sans réel coup de théâtre ou illuminations révélatrices (à part peut-être la séance avec l'agent 711 et sa tenue en cuir). le profil psychologique d'Yorick était bien établi au début de la série et il aura lentement évolué de façon ténue au fil des péripéties, comme pour un être humain normal. C'est en côtoyant l'autre personnage principal (l'agent 355) que ses valeurs et ses convictions auront été remises en cause petit bout par petit bout, jusqu'à subir des modifications. Finalement le fil conducteur de la série aura été l'histoire de cette relation, la manière dont les événements vécus ensemble les auront rapprochés en formant un socle commun d'expériences partagées ayant donné naissance à une amitié complexe.
Cependant la première année de parution de "Y, the last man" (les 2 premiers tomes) se focalisait à part égale sur l'existence d'un monde sans homme, sans créature mâle. Par le biais d'un point de départ d'une originalité exceptionnelle constituant un révélateur hors pair, Vaughan s'interrogeait sur la nature de l'humanité (une société de femmes serait-elle soumise aux mêmes travers de la condition humaine ?), sur le comportement induit par l'obligation de séduire (Se maquiller ou se teindre les cheveux a-t-il encore du sens ?), sur les principes de fonctionnement d'une société sans égalité homme/femme, sur le devenir de la sexualité, etc. Dans le précédent tome, il avait même réussi à faire éclater cette originalité en l'opposant à sa contraposée plus stérile et plus convenue, un monde où toute les femmes seraient mortes sauf une. Au fil des épisodes, Vaughan donne l'impression de s'être désintéressé (là encore de manière très progressive) de ces facettes sociétales de son récit. D'un point de départ de science-fiction et de sondage des rouages de la société, il a inversé le rapport en faveur de la comédie dramatique. En fonction de la sensibilité du lecteur et de ses centres d'intérêt, ce déplacement du point d'équilibre aura été plus ou moins bien ressenti.
Ces derniers épisodes sont illustrés par l'équipe originelle de la série : Pia Gerra et
José Marzán. le lecteur retrouve les caractéristiques habituelles de cette équipe : lisibilité immédiate de chaque dessin, personnages disposant de morphologies normales, tenues vestimentaires variées et cohérentes avec les conditions climatiques (le lecteur a même droit au retour de la tenue tout cuir de l'agent 711 pendant une séquence), décors et arrières plans substantiels (la série était passée à un rythme bimestriel pour les derniers épisodes, afin que Guerra dispose de plus de temps), mise en scène simple et efficace. Ainsi les séquences se déroulant à Paris présentent assez de particularités pour être crédibles (boulangerie-pâtisserie, catacombes, Arc de Triomphe), sans pour autant constituer une visite touristique aguichante. Il subsiste une légère impression de fadeur qui joue aussi bien en faveur qu'en défaveur de la narration. Cette forme de simplification permet d'éviter le voyeurisme lors de la séquence de relation sexuelle, par contre elle annihile tout effet d'horreur pour la pleine page représentant un cadavre en décomposition.
***
*** Épisode 60 - 60 ans après la fin de l'épisode 59, celui-ci permet de savoir ce que sont devenus les principaux personnages, et comment a évolué cette nouvelle société.
Il s'agit d'un épisode double de 48 pages qui permet de savoir qui ce qui s'est passé ensuite. Ce dispositif narratif est très satisfaisant car il donne une vision du futur, du devenir de ces personnages devenus familiers. le titre du récit "Alas" renvoie au début d'une réplique d'
Hamlet s'adressant à Horatio et évoquant la mémoire d'Yorick dans la pièce
Hamlet de
William Shakespeare, une méditation sur la fragilité de la vie. Cette coda fournit une autre clef d'interprétation sur les intentions de l'auteur
Brian K. Vaughan : mettre en scène la vie dans ce qu'elle a d'hasardeuse et de ténue.
"Hélas ! pauvre Yorick !... Je l'ai connu, Horatio ! C'était un garçon d'une verve infinie, d'une fantaisie exquise ; il m'a porté sur son dos mille fois. Et maintenant quelle horreur il cause à mon imagination !"