AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,23

sur 501 notes
5
38 avis
4
37 avis
3
4 avis
2
2 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je viens de finir ce livre, qui m'a sidérée. Que faisiez-vous, de 1980 à 1990? Pour ma part, je n'ai cessé de m'adresser cette question, en même temps que je suivais Fabienne Verdier dans sa quête initiatique personnelle, dans sa réponse à un appel, dont elle dit n'avoir jamais connu l'origine, mais seulement la force irrésistible.Pourquoi partir, et surtout pourquoi rester dans un pays évoquant la Colonie pénitentiaire de Kafka, à l'échelle d'un continent? Pourquoi risquer de perdre sa jeunesse, sa santé, sa liberté, sa vie, à la recherche de Maîtres d'un art dont les communistes chinois ont voulu la disparition? Pourquoi se confronter aux horreurs subies au passé et au présent par un peuple martyr, mais qui continue à cautionner une justice et des exécutions d'un autre âge?Pourquoi quand on recherche la beauté et la perfection, accepter de passer dix ans au milieu des uniformes, de la pollution, en butte à une bureaucratie sauvage et impitoyable, isolée, c'est le pire, au milieu de la surpopulation chinoise, durant des mois sans amis, durant des années sans amour; en butte à la méfiance de ceux qu'elle admire, et à la concupiscence de ceux qu'elle abhorre? Il y a de la bergère de Domrémy, une pureté et une droiture extrème au milieu d'une société avilie et réduite à l'esclavage de la pensée, chez cette française ascétique, aux traits émaciés, et qui aime la culture chinoise bien plus que les chinois eux-mêmes, a-culturés, abâtardis, génocidés, abrutis, sans parler de ceux qui furent mutilés, affamés, torturés, poussés au suicide au nom de la révolution culturelle.Jamais cependant Fabienne Verdier ne s'autorise à moraliser, ou à mépriser ces hommes réduits à renier ce qui les reliait à leurs racines. Et elle s'en veut durablement d'avoir, pour cuisiner elle-même des plats qu'elle pourrait absorber, après une hépatite gravissime, d'avoir donc accepté de consommer à elle seule l'électricité de cent condisciples étudiants avec son réchaud électrique personnel.Etudiante, disciple, puis attachée culturelle, Fabienne Verdier voit peu à peu disparaître tous ses liens antérieurs avec ses racines françaises. Passagère d'une initiation dont elle ne peut plus s'affranchir, elle est guidée par des passeurs qui sont eux-mêmes des survivants, et qui finalement lui reconnaissent un talent propre, en plus de son apprentissage si dur et si long de l'art ancien de la calligraphie. Thèse: la quête d'un ailleurs, le départ de France et le renoncement aux Beaux Arts occidentaux. Antithèse: le voyage dans les ténèbres de son ignorance. Synthèse: une artiste singulière, pareille à nulle autre, et qui est une survivante. Survivante de l'orgueil occidental, et survivante de l'horreur uniformisatrice déshumanisante et génocidaire de la Chine rouge. Je pose ce livre, et je me demande ce que j'ai fait, de 1980 à 1990, sans savoir ce que cette femme hors du commun poursuivait, et dans quelles conditions. J'ai vécu, voilà tout, et maintenant grâce à ce livre je sais un peu mieux ce qu'un désir irrésistible peut faire accomplir à un être humain, dans le sens de la vie, mais au risque de sa propre mort.
Commenter  J’apprécie          7710
Voyager et vivre à l'étranger dans les années 90, tenter « l'inculturation », apprendre une nouvelle langue, rencontrer des êtres uniques et passionnants… Ça, j'ai eu la chance de pouvoir l'expérimenter dans ma vingtaine.
Étudier la calligraphie en Chine, appréhender le désastre de la révolution culturelle, subir la surveillance du parti, manquer de liberté, enchaîner les exercices artistiques monotones, perdre sa santé, vivre un amour impossible, goûter à la protection d'un maître, oser le dénuement et la solitude totale… Ça, je l'ai découvert en lisant ce magnifique témoignage de Fabienne Verdier, Passagère du silence.

Ce récit se lit comme un roman. On s'attache aux personnages; on a peur pour eux; on s'impatiente à leurs côtés; on rêve de félicitations et de reconnaissance; on admire la persévérance; on rit; on pleure; on vénère; on se tait.

Je reviens de ce voyage initiatique comblée de dépaysement, de rigueur au travail, d'art ancestral, de sagesse, d'humilité, de quête, d'intime… Mais il me reste tant à apprendre encore.

Je vais de ce pas me plonger dans les méandres d'internet pour lire la biographie de Fabienne Verdier suite à sa découverte sino-perso-artistico-humaine et de ses oeuvres qui vont - je n'en doute pas - me bouleverser.
Commenter  J’apprécie          465
Avoir 20 ans. Des rêves plein la tête. Une passion déjà bien installée. Se lancer dans le vaste monde à la recherche de ce pourquoi on veut vivre. C'est ce qu'a entrepris Fabienne Verdier, brillante étudiante aux Beaux Arts de Toulouse, pour s'initier à l'art de la calligraphie : destination Chine.

1983. Première étudiante étrangère, elle débarque dans la province reculée du Sichuan pour étudier la calligraphie chinoise. Tout ici est nouveau pour elle et loin des clichés véhiculés à l'époque. Où est le raffinement de la culture et de la cuisine chinoises ? Tout autour d'elle dénonce la misère, le manque.
Elle s'aperçoit peu à peu qu'elle est en fait prisonnière du système chinois. La peinture, comme tous les autres arts, doit être conforme à l'idéologie du parti. La vie sur le campus est codifiée, les étudiants sont mal logés, mal nourris. Elle, fait figure de privilégiée. La barrière de la langue est pendant quelque temps un problème, on lui refuse cet enseignement. Elle est venue ici pour le dessin, pas pour devenir sinologue. Au bout de six mois, n'en pouvant plus de vivre à l'écart des autres, elle se rebelle et demande à être considérée comme tous les autres étudiants, à rencontrer les anciens maîtres du dessin, à apprendre la langue.

Ses voeux sont exaucés et à partir de ce moment, elle va vraiment découvrir la Chine et rencontrer les grands maîtres de l'art, mis à l'écart pendant la révolution culturelle, et oubliés par les jeunes étudiants.
Son parcours est difficile. Mais l'épanouissement est total. Elle est tenace, patiente, humble devant l'effort. Elle apprend la calligraphie, le lavis, la sculpture des sceaux. Toutes les rencontres avec les anciens maîtres et lettrés sont sources de découverte, d'approche de la philosophie chinoise, d'émerveillement, de recherche et d'accomplissement. Et quel bel hommage rendu à ces grands maîtres, détruits par la révolution culturelle !

J'ai dévoré ce témoignage, véritable page d'histoire de la Chine. J'ai été émerveillée par l'artiste qui s'est révélée, par ces qualités humaines et relationnelles, par son tempérament opiniâtre. Une très belle leçon de vie...
Commenter  J’apprécie          406
Lu car, dans le cadre d'une formation de 6 mois en Qi Gong qui va commencer le 10 septembre, il nous a été demandé de le lire.
Et pour qui s'intéresse à la Chine, c'est absolument fascinant.
L'auteure, l'est, fascinante, incontestablement. Elle a un courage et/ou une inconscience absolument confondants, et qui forcent l'admiration.
Tout lâcher autour de ses 20 ans et partir sans connaître la langue dans un pays encore "fermé" au début des années 80, en suivant l'appel de son âme à apprendre la calligraphie, ça paraît surréaliste.
Alors oui ça n'a rien à voir avec le Qi Gong, à première vue.
Mais pourtant si.
Ce n'est pas tant le sujet du livre qui est important ici que "l'esprit" qui anime ce chemin initiatique auprès des vieux maîtres calligraphes, qui ont tant souffert de la révolution culturelle chinoise, et que Fabienne a fini par débusquer, à force d'opiniatreté, et d'abnégation.
En fait, il s'agit surtout, si on regarde bien, d'apprendre à "désapprendre" tout ce qu'on a apprit, pour laisser "l'Esprit", le "Qi", ou quel que soit le nom qu'on lui donne, couler à travers soi.
Et contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas facile du tout !
Et je suis très contente de m'être inscrite auprès de ce "maître" de Qi Gong, grâce à ce livre je sais qu'il a "l'esprit" que je recherche, loin d'une simple "mécanique physique" et près du "souffle de la Vie".

Pour ceux qui veulent mieux connaître ce pays mystérieux qu'est la Chine et ce qu'il s'y passait pendant la fin de ses années les plus sombres, ce bouquin est passionnant.
Et pour ceux qui veulent aller plus loin que cela, également...

Commenter  J’apprécie          292
Ce livre est un témoignage exceptionnel, qui a les apparences de la vérité la plus authentique. A 22 ans, suivant son envie irrésistible de découvrit l'art et la culture chinoises, Fabienne Verdier a renoncé à la formation qu'elle avait commencée à Toulouse. Elle est partie en Chine et est devenue la seule étudiante étrangère à l'Institut des Beaux-Arts de Chongqing (Sichuan). Sa plongée dans la Chine profonde est bien plus qu'exotique: la jeune Française, d'abord isolée, découvre un monde absolument opposé au nôtre, où tout individu est surveillé et embrigadé, où la promiscuité est omniprésente. En 1983 la Révolution Culturelle était finie, certes, mais elle laissait exsangue toute la nation chinoise. Comment trouver sa place, parmi ces étudiants soumis et misérables et en face d'une bureaucratie tatillonne ? Fabienne Verdier a un caractère très fort: elle résiste aux contraintes et au découragement, même après des incidents graves. Elle effectue avec sérieux le cursus chinois normal. Mais c'est surtout quelques maîtres - rescapés de la rage de destruction systématique semée par les Gardes Rouges - qui vont lui faire découvrir peu à peu l'esprit de la peinture chinoise. En outre, elle a l'occasion de voyager au Tibet, de rencontrer les minorités ethniques Yi et Miao, de faire des pèlerinages à des temples. Des expériences extraordinaires, à l'époque ! Pendant ce temps, Fabienne ne cesse d'écouter l'enseignement de Maître Huang… Elle obtient son diplôme en 1989, juste au moment des événements tragiques de Tien Anmen, et doit revenir en France. Plus tard, elle accepte un poste d'attachée à l'ambassade de France à Pékin, mais comprend vite que ce n'est pas sa véritable vocation, qui est de se réaliser en tant qu'artiste.
Ce livre est passionnant. Il permet de suivre l'itinéraire de la narratrice, de savoir par où la Chine est passée et d'approcher la culture chinoise, à travers la peinture et la calligraphie notamment. Je ne connaissais pas Fabienne Verdier (qui est pourtant devenue une artiste reconnue en France). Mais je constate que beaucoup de lecteurs ont signalé sur Babelio leur lecture de ce livre. Je le recommande vivement.
Commenter  J’apprécie          242
Ce livre est magnifique, c'est un récit de vie et d'aventures que Fabienne verdier nous raconte ainsi que de son apprentissage de la calligraphie en Chine. Fabienne Verdier a réussit à obtenir une bourse pour aller à Chongqing dans les années 80. Dans cette Chine communiste, elle vivra dans une université régie par le Parti de façon spartiate. Elle apprendra la langue, la promiscuité, la saleté, le système du Partie archaïque de l'administration, elle sera pas épargnée par la maladie non plus. Elle désire apprendre la calligraphie chinoise dévasté par la Révolution culturelle du temps de Mao Tsé Toung. Elle rencontrera les grands maîtres, oubliés, méprisés. le maître Huang Yan va énormément compté dans son apprentissage de la calligraphie. Ces grands maîtres vont l'initié aux secrets et aux codes de la culture ancienne et de la splendeur de la Chine oubliée. Avec beaucoup de patience elle apprendra la maîtrise du pinceau et à fabriquer l'encre de chine. Elle sera sous le charme de ce pays qui va l'apprivoiser. Elle est remplie d'admiration pour la Chine ancienne et traditionnelle.
Puis, dans la dernière partie de ce livre elle nous parle de son expérience comme attachée d'ambassade de France à Pékin. Elle accepte ce poste pour gagner sa vie surtout mais pour venir en aide à des artistes qu'elle a vu dans la misère. Un livre magnifique, style est poétique. Nous, lecteur nous parcourons un très beau voyage.
Lien : http://livresdemalice.blogsp..
Commenter  J’apprécie          220
Une vie consacrée à la peinture, non pas comme un talent cultivé au point de pouvoir vivre de ses oeuvres, mais plutôt comme une vocation profonde, une quête de soi et du monde. Tel est le récit de Fabienne Verdier.

Fabienne Verdier a tout juste vingt ans. Elève extrêmement brillante, curieuse de tout, exigeante, atypique, fascinée par la nature, qu'est-ce qui va la pousser à quitter la France pour un pays totalitaire qui vient de balayer toute son histoire culturelle ? Malgré les réticences et les incompréhension autour d'elle, en pleine Guerre froide, elle saute le pas. Est-ce l'emballement lié à un coup de tête ? Une folie passagère ?

Le sens réside dans le commencement. Abandonnant son Asnières natale, elle avait rejoint à seize ans son père dans la campagne, au sud de la France. L'homme lui enseigne les rudiments de la peinture ; méthode à la dure mais qui la conduit aux Beaux-Arts. Douée mais insatisfaite par l'apprentissage traditionnel, elle est séduite par la calligraphie, puis de fil en aiguille, par les arts et le raffinement asiatiques.

« Une force tellurique me poussait à m'envoler, sans savoir où j'allais ni comment m'y prendre. »
Au début des années 80, la Révolution Culturelle et le régime de fer imposé par le Parti rendent le pays peu engageant. Qu'importe ! Rien de l'arrête. Direction Pékin, puis Chongqing dans la province du Sichuan.

Commence une formation qui s'étalera sur dix années. Avec Fabienne Verdier, rien n'est écrit ni linéaire. Elle pensait y demeurer une année ! Elle n'en partira qu'au moment des troubles de Tiananmen en 1989.

Tous ses faits et gestes sont sous observation. Impossible d'apprendre le dialecte local. Elle est isolée, vit à part des autres étudiants. On comprend vite que ses enseignants ne seront pas ceux de l'université. Petit à petit, hors de l'institut, elle tisse un réseau de relations avec les maîtres que la Révolution culturelle avait marginalisés.

Au-delà de l'apprentissage de techniques picturales, ces années ont été celles qui construisent une personne, qui dotent un artiste d'une structure mentale et humaine. L'ascèse, le silence, l'observation du monde, tout cela lui a été donné par maître Huang et bien d'autres sages croisés ici ou là.

Le chemin n'a pas été semé de roses. Atteinte dans son intégrité physique, malade, persécutée par le régime, testée durement par ses maîtres, il fallait sans doute qu'elle traverse ces déserts pour toucher du doigt sa vocation.

Peindre, oui. Mais peindre le principe de vie, son mouvement dans l'immobilité, la force vitale d'une pierre ou d'un végétal, l'absolue beauté de l'insignifiant.


Lien : https://thomassandorf.wordpr..
Commenter  J’apprécie          193
Quel livre !!!!!
J'en sors époustouflée !! Outre l'intérêt de découvrir la calligraphie chinoise ancienne, la vie des maîtres après la révolution culturelle de sinistre mémoire, la philosophie, les paysages etc...c'est celui de rencontrer une jeune fille au caractère bien trempé qui a une passion , qui fait tout ce qui est possible pour la réaliser, même dans les conditions les plus difficiles, qui a une puissance de travail et une persévérance extraordinaire.

Cette vie devrait être donnée en exemple.
Commenter  J’apprécie          162
Fabienne Verdier, « pinceau pensant », est une artiste peintre française née en 1962, créatrice d'oeuvres d'art contemporain.
Elle excelle notamment dans des grandes fresques colorées emplies de traits et formes dépouillés. Elle réalise ses oeuvres avec des pinceaux géants qui doivent être actionnés, debout ; une énergie et surtout une dextérité incroyable pour maîtriser un pinceau et une quantité d'eau en réserve de soixante litres voire davantage.

Pour une contemplation de créations plus « classiques », on peut (re)découvrir le magnifique « petit » livre de François Cheng « Poésie chinoise », un trésor d'extraits de poésies Tang sélectionnées et ornementées de calligraphies de FV. Impossible de ne pas être sidéré par les traits qui allient l'élan et la souplesse du bambou, la floraison du lotus, le tout avec un sens époustouflant de l'équilibre, de la symétrie. La représentation de « la montagne » retracée, si on se réfère à la forme « standard » en trident, prend ainsi une autre dimension, plus de hauteur si j'ose dire, soulevée par la grâce. Après avoir contemplé a minima ces calligraphies, elles ne vous lâchent plus ; en particulier je me sens particulièrement en correspondance avec la représentation de « montagne vide ».

FV se désigne comme une « passagère du silence », cultivant la calligraphie, son art de vivre, adossé à une maîtrise technique mais d'abord et surtout irrigué par un état d'esprit.

Ce livre « Passagère du silence » est une autobiographie qui relate la construction de l'univers artistique et humain de l'auteure ; il offre une densité incroyable. Chaque page sollicite le lecteur en profondeur ; il s'agit en fait d'un trois en un. Dans ce livre, outre le propos directement lié à l'univers le plus intime de l'auteure, la sensation de lire, par séquences intercalées, une oeuvre de François Cheng et d'Alexandra David Neel.
L'auteure a eu très précocement le projet de devenir peintre et de vivre de son art. Elle commence des études de « Beaux Arts » à Toulouse, où rapidement elle se rebelle en réaction au contenu et à l'esprit de l'enseignement. Parallèlement, elle découvre la calligraphie occidentale et une sorte de flagrance la gagne.
Elle obtient une bourse qui lui permet d'entreprendre des études d'apprentissage de la peinture en Chine à Chongqing dans un établissement d'études supérieures dans le Sichuan, dans la partie occidentale au nord du Yunnan, beaucoup plus proche du Tibet que des zones plus « ouvertes » de Pékin ou de la côte Pacifique.

Sa quête commence par une série de catastrophes. D'abord, en transit au Pakistan, la jeune femme est victime d'une agression sexuelle dans des conditions sordides. Ensuite à Chongqing, seule occidentale étudiante, elle est sous haute surveillance mise sous un régime quasi carcéral dans des conditions matérielles indigentes. Dans son austère pièce attribuée, elle réalise pourtant qu'elle bénéficie sur ce point d'un privilège par rapport aux étudiants chinois affectés dans des dortoirs collectifs spartiates. Et, la cerise sur le gâteau, c'est le fait de se retrouver en cours, face à face avec le buste en plâtre de Beethoven à dessiner ! Un exil à des milliers de kms pour retrouver tout ce que, d'un point de vue artistique elle fuit ! Où sont les poètes peintres dépositaires de l'art millénaire chinois, comme celui épanoui dans son livre de Shi Tao, qui sera son guide de survie pendant ces années de pauvreté et de grande solitude ?
Mais nous sommes en 1983. Si Mao est mort en 1976, on sait que la révolution culturelle a fait rage auparavant et que toute la culture millénaire a été considérée comme contre révolutionnaire. Des persécutions, des massacres ont été commis à l'encontre de tous ceux qui étaient liés à la culture traditionnelle. En réalité, tout le monde dénonçait tout le monde dans une hystérie et un fanatisme atroces, y compris au sein des familles.
Par un affreux parallélisme, il y avait eu un précédent à l'identique avec le premier empereur de l'histoire chinoise de l'éphémère dynastie Qin érigée en vainqueur des royaumes combattants. Mao fut la réincarnation de ce despote Shihuangdi qui voulut lui aussi dèjà faire table rase du passé. En -213 furent ordonnées la destruction des livres et la persécution et le massacre des léttrés. Seuls les ouvrages utilitaires et du taoïsme, dont le classique Tao Te King furent épargnés. Heureusement, des exemplaires des ouvrages condamnés furent dissimulés et échappèrent à l'autodafé.

De même, en 1983 des rescapés de la folie humaine, traumatisés, survivants dans l'ombre, des calligraphes, des peintres essayaient de reprendre leur souffle.

C'est ainsi que FV réussit à entrer en contact avec celui qui allait devenir son maître, Huang Yuan. Mais la partie est loin d'être gagnée. Plusieurs mois d'abnégation, d'exercices remis au quotidien sont nécessaires ; le maître finit par accepter d'enseigner, convaincu de l'authenticité de la requête singulière de la jeune française, dans le contexte de l'époque.
Et le plus dur commence ; tracer encore et encore des « bâtons », pour une maîtrise technique mais surtout pour donner une âme aux traits. A cet effet, il est aussi indispensable de s'initier aux oeuvres de sagesse chinoise. La peinture n'est pas la « recherche du beau » mais un souffle doit l'animer. On ne recherche pas la dextérité en soi comme en Occident, la maladresse, le raté ont bien plus d'importance que les effets clinquants. C'est ainsi que certains traits des calligraphies dont je parlais en ouverture, peuvent paraître incomplets, mal segmentés telles des herbes folles, pourtant ces « imperfections » forment un tout magnifique, presque comme si la moindre irrégularité faisait partie d'une esquisse préétablie.

FV travaille très dur, dans la pauvreté mais avec feu et son nom prend corps et âme ; en chinois :

-fa, la régle naissante dans la recherche de la voie,
-bi, l'étude comparative,
-enne, la bonté la générosité.

Au cours de ces dix années en Chine, mille péripéties ont accompagné FV, dont chacune ou presque aurait pu être fatale. L'auteure est une vraie survivante.

En définitive, après « avoir fait ses gammes » l'essence-ciel lui est révélée au fil de ses marches en très haute altitude, au Tibet, lors de périple organisé par son établissement d'enseignement avec d'autres étudiants. Cette véritable illumination est aussi suscitée par son maitre qui initie une quête sur le Mont Emei, montagne sacrée bouddhiste dans la Sichuan, qui fut aussi un haut lieu taoïste. Là, dans l'alternance du silence de la marche et du dialogue avec le maître, dans l'atmosphère des rencontres dans les monastères perchés, tout son être s'éveille. Dans cet univers, en dépit de la dureté des conditions de vie, le risque est grand de ne plus « redescendre », mais ce n'est pas la destinée de FV.

Elle achève son cursus, dans les convulsions des évènements de 1989, métamorphosée intérieurement et mure pour faire épanouir sa sensibilité et son talent. Mais cette richesse se conjugue avec une extrême pauvreté matérielle, elle se qualifie de « clocharde céleste ». Elle doit composer en offrant ses services à l'ambassade de France à Pékin. Elle y sera pendant trois années attachée culturelle. Cette fonction lui permet de compléter son apprentissage en rencontrant des maîtres ; elle s'efforce aussi avec les maigres moyens mis à sa disposition d'aider les peintres chinois en difficulté.
Elle se doit de reprendre ses pinceaux comme son maître lui en fait injonction ; un énième souci de santé précipite sa réorientation, loin de l‘Orient, en lui imposant pour sa survie de rentrer en Occident.

Évidemment, lorsque l'on découvre les oeuvres exposées les plus récentes, difficile de ne pas se dire que le souffle du Mont Emei est resté sur le seuil de la galerie, que nous sommes plus proches de Miro que de Shi Tao ..J'ai ma petite idée, mais les clés sont sans doute dans les autres livres que je n'ai pas lus.

Quoiqu'il en soit, « Passagère du silence » est un livre exceptionnel d'une femme exceptionnelle.

Pour avoir le plaisir d'entendre la belle voix (et la voie) de FV, on peut se référer à une interview avec de superbes photos dans la regrettée revue Ultraïa (n°15 avril-juin 2018) et une série d'émissions radio également avec la participation de FV https://www.franceculture.fr/emissions/series/fabienne-verdier-lenergie-en-peinture
Commenter  J’apprécie          156
A l'âge de vingt ans, Fabienne Verdier quitte la France après des études aux beaux arts pour se rendre en Chine avec l'idée de découvrir et étudier l'art antique chinois, dévasté par la révolution culturelle. Elle est accueillie dans une école artistique du Sichuan, régie par le parti, où les étudiants vivent dans la misère et dans la crasse. Elle s'accroche pour se faire accepter et devient l'élève d'un grand maitre chinois qui accepte de l'initier à son art calligraphique à condition qu'elle y consacre dix ans de sa vie. A la limite de l'inconscience, elle accepte le deal. Ce sont ces dix années qu'elle raconte dans ce livre et c'est passionnant. On y apprend beaucoup sur la Chine, son histoire et sa culture. le parcours personnel de cette jeune femme est assez extraordinaire. On admire sa détermination à mener son projet incroyable jusqu'au bout.
Lien : http://sylire.over-blog.com/..
Commenter  J’apprécie          130




Lecteurs (1075) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1710 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}