Cuisson du pain
Les servantes faisaient le pain pour les dimanches,
Avec le meilleur lait, avec le meilleur grain,
Le front courbé, le coude en pointe hors des manches,
La sueur les mouillant et coulant au pétrin.
Leurs mains, leurs doigts, leur corps entier fumaient de hâte
Leur gorge remuait dans les corsages pleins;
Leurs deux poings monstrueux pataugeaient dans la pâte
Et la moulaient en ronds comme la chair des seins.
Dehors, les grands fournils chauffaient leurs braises rouges.
Et, deux par deux, du bout d'une planche, les gouges,
Dans le ventre des fours, engouffraient les pains mous.
Et les flammes, par les gueules s'ouvrant passage,
Comme une meute énorme et chaude de chiens roux,
Sautaient, en rugissant, leur mordre le visage.
(Les Flamandes),
le Moulin
Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,
Il tourne et tourne, et sa voile, couleur de lie,
Est triste et faible et lourde et lasse infiniment.
Depuis l'aube, ses bras, comme des bras de plainte.
Se sont tendus et sont tombés; et les voici
Qui retombent encor, là-bas, dans l'air noirci
Et le silence entier de la nature éteinte.
Un jour souffrant d'hiver parmi les loins s'endort,
Les nuages sont las de leurs voyages sombres,
Et, le long des taillis, qui ramassent leurs ombres.
Les ornières s'en pont vers un horizon mort.
Sous un ourlet de sol, quelques huttes de hêtre
Très misérablement sont assises en rond;
Une lampe de cuivre est pendue au plafond
Et patine de feu le mur et la fenêtre.
Et dans la plaine immense et le vide dormeur,
Elles fixent, — les très-souffreteuses bicoques —
Avec les pauvres yeux de leurs carreaux en loques,
Le vieux moulin qui tourne, et las, qui tourne et meurt.
(Les Soirs).
Poésie - Le péché - Emile VERHAEREN