Lu il y a très longtemps - dans les années 80, c'est dire ! - il m'a plu de me replonger et piger ci et là dans ce recueil déjà lui même anthologie de la poésie de Verhaeren.
On y rencontre d'abord l'homme avant le poète, cet admirateur de son pays, son village natal, la simplicité évidente des mots, du vers classique qui dénué de fastidieux symboles et de métaphores fulgurantes décrit le simple paysage de son enfance.
On y rencontre le poète symboliste, fort de ses images fortes elles aussi où s'opposent villes et campagnes, qui toutes deux couvent leur mystère, leur déraison.
On y rencontre cette évidente compassion envers les pauvres gens, envers leur indescriptible et pitoyable destin qui peut se faire inspirant au-delà de toute attente. L'homme chez Verhaeren est un trésor intérieur qui même après la mort reste le témoin éloquent de son pays, sa terre et sa misère.
Si l'homme de la campagne, dans sa simplicité, reste proche de sa terre et continue l'oeuvre de la défendre et la faire fructifier, l'homme de la ville, broyé, trouve sa poésie au milieu de la foule :
"Ô ces foules, ces foules
Et la misère et la détresse qui les foulent."
On y rencontre Verhaeren et son fleuve, l'Escaut de son enfance, où lentement coule la paix de ses souvenirs mais aussi la fierté et le succès commercial de sa Flandre natale.
"Escaut! Escaut !
Tu es le geste clair
Que la patrie entière
Pour gagner l'infini fait vers la mer."
Plus loin, au bout de cette Flandre, on y rencontre enfin la mer, cette mer qui est océan empli d'aventures et d'inconnu, avec au creux des vagues promesses de rencontres fantastiques ou menace mort qui rôde:
"Mer de beauté simple et première"
La mer promesse d'un destin, la mer réceptacle des rêves, la mer enfin au bout du chemin où le poète peut reposer.
Il y fait dimanche.
Et pour nous de même qui relisons, calmes ou tempétueux, les vers de sa poésie, il fait encore dimanche… sur la mer de notre destin.
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Les vieux fermiers parlent du temps
Comme d'un angoissant mystère
Qu'ils ont surpris, depuis longtemps,
Dans leurs ruses avec la terre;
Leurs souvenirs, durs et tassés,
Serrent en eux tous les printemps passés,
Et les hivers monumentaux de glace,
Lorsque le froid dallait l'espace
D'un grand chemin compact et blanc,
Emprisonnant les eaux et rejoignant les landes,
Jusqu'en Hollande.
Ils n'écoutent jamais que les pêcheurs d'Escaut
Qui, mieux qu'eux tous encor, surprennent
A la couleur des loins, aux mouvements de l'eau,
Quelle sombre ou claire étrenne
Apportera demain aux bateliers ;
Ils consultent aussi les blancs et doux meuniers
Autour de qui voyage
Le ciel entier, avec sa brume et ses nuages,
Et sa terreur, et sa folie, et ses soleils,
Et tant de météores
Qu'ils ignorent.
Vous aurez beau crier contre la terre,
La bouche dans le fossé,
Jamais aucun des trépassés
Ne répondra à vos clameurs amères.
Ils sont bien morts, les morts,
Ceux qui firent jadis la campagne féconde ;
Ils font l'immense entassement de morts
Qui pourrissent, aux quatre coins du monde,
Les morts.
Poésie - Le péché - Emile VERHAEREN