Regardez-les, écoutez-les dans leurs émotions et leurs transports; ce sont des amants d'une divinité invisible; ils ont le trouble, l'enthousiasme, l'aveuglement, l'exaltation de ceux qui aiment. Ils sont tels, parce qu'ils ont éprouvé, parce qu'ils ont l'aptitude à éprouver, quand ils rencontrent l'art n'importe où, le frisson divin. Ils aperçoivent ce qui reste imperceptible Pour d'autres. Ils ont un sens de plus.
Une jouissance, oui, psychique et sensuelle. Différente de toute autre. Analogue pourtant à cette autre, idéale et brutale, que donne l'amour en ses fins dernières. Analogue, seulement, à cette autre, citée ici par le besoin de trouver quelque image rendant distincte cette nébulosité du phénomène artistique en sa sensation, si réelle en son effet, presque insaisissable en sa description, que comprendront tout de suite (ah! quels souvenirs!) ceux qui l'ont éprouvée, qui restera ténébreuse pour qui n'en a jamais été secoué. Que sait l'impubère de la jouissance érotique? Qu'en sait l'eunuque?
Pour subir cette émotion divine, point n'est besoin d'érudition, ni de compétence, point n'est besoin d'être expert. Ah! comme l'expert, quand il fonctionne, mettant en mouvement le ronron de ses phrases et les rouages de sa technique, apparaît piteux et malheureux au bienheureux qui vibre encore de la Sensation artistique, mollissant sous le spasme en son plein, ou brisé (avec quelle douceur!) sous le spasme à peine assoupi. C'est de ces impressions surhumaines que vient à quelques-uns cette fureur pour l'art, germaine de la fureur amoureuse.
Des articles très nombreux de critique d'art publiés, parfois sans signature, par Émile Verhaeren, nous n'avons guère retenu ici que ceux où il applique directement sa pensée à la pensée d'un Maître pour y découvrir intuitivement le mystérieux effort de la création esthétique.
Oh! la difficulté de sentir artistiquement! Oh! l'universel réfractaire des foules à cette émotion spéciale, divinement savoureuse et douce, de l'art, cet archet sur une corde spéciale de l'âme, qui manque à tant d'âmes, luths dépareillés!
Poésie - Le péché - Emile VERHAEREN