Vingt mille lieues sous les mers est un kaléidoscope. On peut déceler dans ce classique plusieurs niveaux de lecture. Autant la description du Nautilus et de l'écosystème marin me paraissaient féeriques plus jeune, autant je vois maintenant ce roman comme un feuilleton destiné pour un public extrêmement mercantile et porté sur des sujets matériels. C'est tout à fait compréhensible puisque nous sommes sous le Second empire. Pour valoriser une description et montrer la beauté d'un objet, d'une peinture ou d'un animal,
Jules Verne réalise à chaque fois une estimation financière de son sujet.
C'est systématique et devient particulièrement fatiguant à la longue. Est-ce à dessein?
J'ai cru même déceler une certaine forme d'ironie de l'auteur. Rappelons que ce dernier déplore la disparition des sciences humaines au profit des sciences techniques et de la finance dans
Paris au XXe siècle (interdit de publication par Hetzel et publié à titre posthume).
Le rapport au règne animal est absolument abject à travers les massacres massifs de la faune marine.
Mais c'était sans doute une vision du progrès et de la supériorité humaine sur les autres espèces de l'époque ou est-ce encore de l'ironie dissimulée?
Cette vision peut-être très incisive de Verne par effet d'accumulation des estimations des biens, d'oeuvres d'art, de matières premières naturelles, me rappelle les techniques de
Flaubert qui manifeste son propre ennui dans
Madame Bovary à travers l'épisode de Rouen. Tandis qu'Emma fait l'amour dans un fiacre, les noms des rues à travers lesquelles déambule le cocher font allusion au sexe de bas niveau et de fait, à la médiocrité de l'héroïne. Une telle démarche pour critiquer de manière indirecte un sujet tel que les moeurs, semble plausible également avec
Jules Verne. A l'époque Hetzel fait respecter une ligne éditoriale particulièrement conforme aux attentes de la bourgeoisie. Un roman à lire et à relire pour voir les choses en grand...et parfois en plus petit.