Né à Kiev, orphelin très jeune, brillant mais peu assidu à l'école, c'est très tôt qu'Alexandre Vertinski découvre la scène...après quelques figurations, il trouve des petits rôles au théâtre, puis fréquente les artistes à Moscou, notamment le poète et dramaturge Maiakovski et le mouvement des futuristes. S'en suit une vie de bohème, un temps cocaïnomane. Engagé comme infirmier pendant la première guerre mondiale, il se réfugie après la révolution russe à Constantinople et commence une vie d'errance au gré des crises politiques des différents pays qu'il traversera; muni d'un faux passeport grec (alors qu'il ne parle pas la langue), il sillonne les pays d'Europe au lendemain de la première guerre mondiale. Sa description de la corruption en Roumanie, la vie difficile des allemands subissant de plein fouet les conséquences du Traité de Versailles, l'inflation galopante de la crise de 29 et la tentative d'approche pour le rallier comme fédérateur des russes blancs à la cause des nazis sera le déclencheur qui le fera quitter Berlin pour Paris. La ville lumière est "la" référence pour les émigrés russes, qu'il retrouve et qui apprécient son tour de chant évoquant une Russie de plus en plus inaccessible...Son séjour aux États-Unis lui ouvre les yeux sur l'industrie du cinéma et sur le factice et l'apparence si importants dans cette industrie et au sens plus large pour cette société. Enfin, après vingt-cinq ans sur les routes, il rentre en URSS, où il continue ses tours de chant et à jouer au cinéma.
Les mémoires d'Alexandre Vertinski sont à la fois l'histoire d'une vie et le témoignage d'une époque, à l'aide de réflexions et d'anecdotes très vivantes et souvent très pertinentes, un éclairage intéressant sur la vie des russes blancs en exil après leur départ de Russie, avec le mal du pays, gardant toujours au coeur l'espoir d'un retour fantasmé dans cette Russie idéalisée, alimentant et renforçant souvent la nostalgie de l'âme russe de tous ces exilés. J'ai apprécié sa finesse d'esprit et sa lucidité dans sa description de la vie d'exil et de bohème, une vie extraordinaire qu'il décrit avec légèreté alors qu'il traverse une époque difficile.
J'ai fait beaucoup de recherches pour connaître ces artistes qui sont évoqués comme Maiakovski la danseuse étoile Pavlova, Mosjoukine acteur de cinéma muet ou le chanteur d'opéra Chaliapine mais j'ai juste un petit bémol car nombre de personnalités de l'époque sont inconnues pour le lecteur français, mais ces références m'ont donné l'envie d'en découvrir plus sur la scène artistique russe qu'elle ait accepté le régime communiste ou qu'elle ait émigré et j'ai aimé également découvrir les métiers que ces émigrés russes ont dû exercer dans leur exil, leur âme slave qui a marqué profondément les nuits parisiennes et leur vie de bohème.
Le nègre violet est une très belle évocation des artistes émigrés russes des années folles et un témoignage sur des temps changeants de l'Europe de l'entre-deux guerres. Une notice bibliographique en fin d'ouvrage permet de connaître la fine fleur artistique russe, à recommander à tous les russophiles.
Je remercie Louison éditions pour cette découverte d'Alexandre Vertinski
cet homme au destin extraordinaire qui m'a passionné.
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Ce livre des éditions Louison frappe en premier lieu par la qualité de l'objet livre : tranche rouge, portrait en pied noir et blanc de l'auteur en tenue de scène sur la page de couverture, typographie de la pagination, signet, cahiers de photos en milieu d'ouvrage...
Le nègre violet est l'autobiographie du chanteur russe Alexandre Vertinski. Le titre porte le nom de l'un de ses morceaux les plus fameux. Célèbre dans la première moitié du XXème siècle, exilé dès 1918, Alexandre Vertinski a parcouru les routes du monde pendant 20 ans avant de retrouver son sol natal. Rédigé après la seconde guerre mondiale, alors que le chanteur vit de nouveau en Russie, ce texte retrace sa jeunesse à Kiev et Moscou puis ses pérégrinations en Turquie, Roumanie, Pologne, France, Allemagne, Palestine, Etats-Unis... le style laisse libre cours aux énumérations descriptives. Et pour cause, le récit est finalement peu focalisé sur son auteur. On y lit peu d'émotions et les anecdotes personnelles se font rares. Le nègre violet est à comprendre comme un vaste panorama des milieux artistiques mondiaux de l'entre-deux guerres. Les chanteurs, mais aussi les poètes et les comédiens sont à l'honneur. L'ensemble est émaillé de nombreux vers et chansons d'Alexandre Vertinski et des artistes qu'il rencontre au cours de ses tournées. A travers les yeux de l'auteur, on redécouvre le Paris des années 30, les premiers temps d'Hollywood, les cabarets d'Europe de l'Est, des lieux de passage surtout, et en guise de conclusion les questionnements d'un homme sur ce qu'il retient de sa vie de bohème...
Une liste de courtes biographies présente en fin d'ouvrages les nombreuses personnalités citées dans le livre et vient répondre aux questions des lecteurs les plus curieux.
Assurément, cette lecture est à compléter d'un temps d'écoute des chants d'Alexandre Vertinski que l'on peut facilement retrouver sur Youtube !
Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions Louison pour la découverte de ce bel ouvrage et de ce drôle d'artiste.
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« Le Nègre violet ». C’est le titre d’une chanson, et des allègres Mémoires, d’un artiste fameux à Moscou en 1915, puis parmi les émigrés russes.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LE NÈGRE VIOLET, Alexandre Vertinski
Où êtes-vous à présent ? Qui embrasse vos doigts ?
Où est donc passé Li, votre petit chinois ?
N'avez-vous pas aimé ensuite un portigais ?
À moins que vous ne soyez tombée pour un Malais,
Quand, pour la première fois, je vous ai aperçue,
Votre auto vous emmenait à tire-d'aile dans les rues.
Et je rêve que dans les claques de San Francisco
Un nègre violet vous tend votre manteau.
– Voyez-vous, cher ami, commença-t-il, pour se marier avec une émigrée russe, il faut d’abord… racheter ses dépôts au mont-de-piété. Et si elle n’en a pas, celles de son amie. Et de un ! Sortir toute sa famille d’Union soviétique. Et de deux ! Payer à son mari un taxi ou une vingtaine de mille d’indemnité. Et de trois ! Les frais de scolarité de son fils à Belgrade, parce que cela fait déjà trois ans qu’ils ne sont plus payés. En voilà quatre ! Ensuite… déposer de l’argent à son nom à la banque. Et de cinq ! Lui acheter un appartement. Six ! Une voiture. Sept ! Une fourrure. Huit ! Des bijoux. Neuf ! Et son chauffeur doit forcément être russe, car c’est un ancien prince. Et il est si gentil. On lui a absolument tout pris sauf son honneur, bien sûr. Après cela… (Il réfléchit…) Après cela, elle vous dira : « Je ne vous aime pas encore. Mais, avec le temps, je m’habituerai à vous ! » Et voilà, continuait-il, en verve, lorsqu’elle se sera enfin presque habituée à vous, vous l’attraperez… avec son chauffeur ! Il s’avérera qu’ils s’aiment depuis longtemps et que vous ne valez pas un clou. Vous êtes un étranger. Vous lui êtes étranger. Et, par-dessus le marché, vous êtes un mufle. Alors que lui, c’est tout de même un ancien prince. Il danse mieux que vous. Il est plus grand que vous. Vous connaissez la suite. Le scandale. Le divorce. Au tribunal, elle ne manquera pas de vous dire : « Tu as peut-être possédé mon corps, mais pas mon âme ! » En revanche, votre chauffeur, lui, il a croqué les deux. Avouez que c’est compliqué, mon ami !
...Il suffit d'ouvrir la boîte et d'en réchauffer le contenu dans une casserole. C'est ainsi que la confection des repas ne prend que quinze à vingt minutes.
Il est vrai que, de temps à autre, des voix de scientifiques s'élèvent contre ces pratiques, expliquant que l'oxydation de ces boîtes en fer-blanc favorise le cancer et d'autres maladies. Mais les firmes concernées, craignant de voir les ventes s'effondrer, achètent des spécialistes de ces questions qui, dans les pages des journaux, démontrent le contraire avec clarté et précision. La population inquiète s'apaise et tout continue comme avant.
(Aux USA, fin des années 30).
Le printemps pointait tout juste le bout de son nez et nous allions à sa rencontre, le manteau grand ouvert. Sur le mont Batyiev, la neige fondait à peine et de grands amas vitreux et sales, comme des débris d'assiettes, luisaient encore dans les ravins, mais les têtes bleues et blanches des perce-neige affleuraient déjà dans la brume du printemps, les violettes s'empourpraient, et un songe de lilas avançait ses fleurs grises et duveteuses. L'herbe rousse de l'année passée, commençait à peine à reverdir.
Il y avait de stricts quotas pour les juifs dans les collèges, comme dans les universités et les instituts techniques. Sans éducation supérieure et sans condition de cens, les juifs ne pouvaient vivre que dans certains quartiers des grandes villes et des capitales. On permettait aussi aux étudiants juifs des écoles de dentistes et des cours de pharmacologie de vivre à Kiev. C'est pour cela que presque tous les jeunes juifs étaient pharmaciens, tandis que ces jolies filles, dont nous étions tous amoureux et à qui nous faisions la cour, étudiaient dans des écoles de dentistes.