Le théâtre romantique, c'est
Alfred de Musset («
Lorenzaccio », incontournable, «
On ne badine pas avec l'amour », «
Les Caprices de Marianne »), c'est
Victor Hugo (« Hernani »,
Ruy Blas »), c'est
Alexandre Dumas («
Henri III et sa cour », « Antony », « Kean ») et c'est
Alfred de Vigny (« le More de Venise », « La Maréchale d'Ancre », «
Chatterton »)
Vigny n'est pas le premier qui vient à l'esprit quand on évoque les dramaturges romantiques. Pourtant non seulement il a contribué avec Dumas et Hugo à poser les bases du théâtre romantique, mais encore avec «
Chatterton », il lui apporté un de ses plus beaux fleurons.
La pièce a été créée en 1835 avec Geoffroy dans le rôle-titre,
Marie Dorval (à l'époque maîtresse
De Vigny) inoubliable dans le rôle de Kitty Bell, et Joanny (qui avait joué Don Ruy Gomez dans Hernani) dans le rôle du Quaker.
Thomas Chatterton est un jeune poète anglais (il a moins de dix-huit ans), il est ce qu'on peut appeler, bien avant
Verlaine, un « poète maudit » : il a tout contre lui, ce pauvre garçon : ses vers ne se vendent pas, il est criblé de dettes, il est conspué par ses confrères, il est humilié par le Lord-Maire qui lui propose une place de domestique, en plus il est accusé de plagiat… Côté amours, c'est encore pire, il est amoureux fou de Kitty Bell, la femme de son propriétaire ; mais Kitty, aussi pieuse et fidèle que son mari est goujat et grossier, ne peut répondre aux avances qu'il ne lui fait pas, c'est un amour condamné avant de naître, plus exactement Kitty, qui est mère avant tout, voue peu à peu à
Chatterton une affection hybride qui tient de l'amour maternel et de la pitié avant de se muer en amour véritable, ce qui la remplit de terreur. le Quaker, entre les deux, fait office, non pas d'entremetteur, mais au contraire de régulateur, car il sent la pureté de cet amour, et il pressent son issue tragique.
Chatterton et Kitty comprennent leur amour mutuel, mais il est trop tard,
Chatterton a avalé du poison et Kitty meurt d'émotion sous les yeux de son mari et de ses enfants.
Chatterton n'est pas, on le voit, une pièce gaie. Mais c'est une pièce infiniment attachante, surtout à cause de la relation très pure entre
Chatterton et Kitty, faite de non-dits, de sentiments tacites mais évidents pour eux seuls, et d'autant plus difficiles à assumer.
Vigny fait preuve ici d'un très grand sens de la psychologie (bien plus que Hugo ou même
Musset).
Un autre centre d'intérêt de la pièce est le rôle tenu par la poésie, ou plus exactement le rôle social du poète dans la société : tel que le voit
Chatterton, il est voué à l'échec. Sans doute
Vigny vient-il à la défense de beaucoup de ces « petits romantiques » que la société réprouve et souvent contraint au suicide.
«
Chatterton », avec «
Lorenzaccio » et «
Ruy Blas », forme la pierre d'angle du théâtre romantique. Ajoutez-y les pièces majeures du « Théâtre dans un fauteuil »,
De Musset, vous aurez réuni la quintessence d'un genre pas toujours considéré à sa juste valeur.