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Michel Mohrt (Préfacier, etc.)Gilles Vannier (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253047650
217 pages
Le Livre de Poche (30/08/1997)
3.81/5   53 notes
Résumé :
Recueil comprenant trois nouvelles :
-Laurette ou le Cachet rouge
-La Veillée de Vincennes
- La Vie et la mort du Capitaine Renaud ou la Canne de jonc

Vigny décrit la condition militaire avec une humanité profonde et une pitié fraternelle. Il s'élève avec fermeté contre la doctrine formulée par Joseph de Maistre, qui exaltait le guerrier comme l'instrument aveugle et prestigieux d'une mission divine. Il regarde la guerre comme un... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
QUE RESTE T-IL DE L'HONNEUR ?

On ressort de ce livre fort d'impressions très mélangées....Une question d'apparence périmée (Jean-René van der Plaetse soulève la même interrogation dans le livre dédié à son grand-père "La nostalgie de l'honneur"), des considérations très "image d'Epinal" sur la vie de famille, un conservatisme qui fleure bon le hobereau de province, un goût avéré pour le privilège aristocratique....

Bref un passé décomposé qui se regarde de loin comme on jetterait un oeil distrait sur un tableau d'ingres, du baron Gros ou d'Isabey.

L'affaire ne s'arrête cependant pas là.

Tout d'abord Alfred de Vigny écrit merveilleusement :
"Ce jour-là, il y avait en mer une seule frégate anglaise. Elle courait des bordées avec une majestueuse lenteur ; elle allait, elle venait, elle virait, elle se penchait,elle se relevait, elle se mirait, elle glissait, elle s'arrêtait, elle jouait au soleil comme un cygne qui se baigne".

Les nouvelles tirent vers le gothique ou l'effroyable ("Laurette", "La veillée de Vincennes"), détaille la dure lenteur désoeuvrée de la vie militaire en tant de Paix, montre une Communauté d'Esprits disciplinés prêts à tout endurer pour étancher la soif permanente du Danger (Sysiphe, Tantale, les Danaïdes).

"La canne de jonc", vie d'un capitaine de vieilles troupes, rassis d'abnégation, traite de la férocité de la Guerre, des horreurs absolues, des sacrifices et des combats toujours mortels , fait le portrait de Napoléon qu'il n'aime pas et qui le fascine (on pense aux officiers anglais durant la guerre du Désert de 1942 quasi-hypnotisés par Rommel) et témoigne de la vaillance silencieuse qui supporte la captivité, l'éloignement et l'oubli.

Au centre de ces récits, Bonaparte, le Dieu de la Guerre selon Clausewitz, l'Aigle foudroyant, le Capitaine égal d'Alexandre et de César, dominateur, fanatisant, vampirisant...

Le voilà insultant le Pape :

"Comédien ! Ah ! messieurs, vous prenez vite pied chez nous ! Vous êtes de mauvaise humeur parce que je n'ai pas été assez sot pour signer, comme Louis XIV, la désapprobation des libertés gallicanes ! Mais on ne me pipe pas ainsi. -C'est moi qui vous tiens dans mes doigts ; c'est moi qui vous porte du Midi au Nord comme des marionnettes ; c'est moi qui fais semblant de vous compter pour quelque chose parce que vous représentez une vieille idée que je veux ressusciter ; et vous n'avez pas l'esprit de voir cela et de faire comme si vous ne vous en aperceviez pas.
Mais non ! il faut tout vous dire ! il faut vous mettre le nez sur les choses pour que vous les compreniez. Et vous croyez bonnement que l'on a besoin de vous, et vous relevez la tête, et vous vous drapez dans vos robes de femme ! - Mais sachez bien qu'elles ne m'en imposentnullement, et que, si vous continuez, vous ! je traiterai la vôtre comme Charles XII celle du grand vizir : je la déchirerai d'un coup d'éperon. »...

Et en fond de décor, cette litanie sourde, insistante, distillant un leitmotive évocateur de la tapisserie de Pénélope : "Ce qui nous tient debout, c'est l'Honneur"...L'Honneur, l'amour de la Patrie, le don de soi, l'individu fondu, consciemment dans le collectif...L'Honneur, cette scie du Roman National, cette "valeur" à déconstruire, l'Honneur auquel on croit quand quand on a été instruit, comme moi, dans l'Ecole finissante des Hussards Noirs qui tenaient autant de Péguy que du petit père Combes...

Je ne sais pas ce qui nous tient debout en ce début de XXIème siècle.
Alfred de Vgny, en parlant de l'Armée et du pays, avec une acuité très actuelle, en faisant oeuvre d'écrivain-romancier rémémorant ce que ce mot peut sous tendre, en affirmant la primauté de cette vision "médiévale" (on pense ici à la mort très récente d'un colonel de Gendarmerie) nous rappelle à cette Notion aussi vieille que l'Histoire de France.

"Madame, pour vous avertir comment se porte le ressort de mon infortune, de toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur et la vie qui est sauve. » (François Ier, après la défaite de Pavie-1525)..."Tout est perd fors l'honneur"...

Quand on perd l'Honneur...que reste t-il ?
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Un titre construit sur un contraste, une opposition, qui organise la vie et la fonction des soldats. La servitude d'abord, c'est la privation de liberté, la dépendance à une autorité supérieure. le soldat est donc un être privé de raison propre, qui obéit sans discuter, qu'il s'agisse de tuer ou d'être tué. Les personnages des différents récits sont donc de simples soldats ou de petits officiers, ils exécutent ce qu'on leur commande. Vigny emploie plusieurs fois l'expression : "obéissance passive" - titre d'ailleurs d'un très beau poème des Châtiments où Hugo oppose "les soldats de l'An deux" et ceux de la "Grande Armée", ceux De Vigny, à leurs fils, ceux qui n'ont pas protesté voire ont participé au coup d'état de "Napoléon le Petit".
Et cette autorité supérieure à laquelle ces soldats sont dévoués en ce début du XIXème siècle n'est autre que le génie de la guerre lui-même, le général ultime, Napoléon Ier. Il figure en arrière-plan, personnage secondaire des différentes histoires, une ombre qui passe qui transforme la destinée des uns et dévore les autres.
Mais c'est aussi la "grandeur" des militaires qui est annoncée par ce titre. Et la grandeur, c'est l'honneur et l'esprit d'abnégation, c'est-à-dire de sacrifice. Nul héroïsme chevaleresque, pas d'exploit individuel ; non, les personnages décrits ici plaisent et émeuvent d'abord par leur sens du devoir qui leur fait accomplir de grandes actions sans qu'ils s'en vantent ou cherchent à en tirer gloire, et même, surtout, sans qu'ils s'en rendent compte eux-mêmes. Ceux sont des martyrs non reconnus, qui ont leurs épreuves et leur Passion, des soldats blanchis sous le harnais par rapport aux jeunes officiers plus savants de théorie, plus soucieux du soin de leur uniforme, que des réalités du champ de bataille. C'est un hommage aux soldats inconnus, mais surtout aux grands coeurs et aux belles âmes.
Quelques mots sur la conclusion que j'ai beaucoup appréciée : en historien et en visionnaire, Vigny prévoit que la déshumanisation et la dépersonnalisation des soldats va se poursuivre, lorsque "la mécanique" détruira les formes de la guerre idéalisée par les jeunes gens n'ayant jamais connu le front.
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Vigny a été militaire durant de longues années, mais il n'a pas connu la guerre. Comme un rendez-vous manqué avec l'histoire. Dans Servitude et grandeur militaires, il nous raconte les récits entendus de vieux soldats. Sont ils vrais? Qu'importe…
Vigny n'aime pas la guerre, mais il admire l'abnégation des soldats, le sens du devoir. La grandeur peut être au service de la république, de l'empire ou de la monarchie, de la France ou de l'Angleterre. Elle reste la grandeur, tellement supérieure à ce monde du hasard et de l'égoïsme qui semble s'installer. Certaines phrases paraissent prophétiques. Et toutes sont belles. En lisant Vigny, on ne peut s'empêcher de penser que la langue française a perdu de sa superbe…
Un beau livre qui nous emmène dans une société et un mode de réflexion perdus, et très aristocratiques.
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Regards de l'intérieur et introspection d'un homme sur son siècle et une existence traversant cette époque de brandebourgs et de salons.

A découvrir dans toute sa splendeur de réflexions et d'analyses.

Le talent littéraire mis au service du ravissement du lecteur.
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Edition parfaite pour apprécier l'auteur, dans son style et sa pensée, avec une contextualisation parfois critique. Ceci nous projette 200 ans en arrière et nous donne à revoir quelques idées spontanées sur le thème de la modernité. L'auteur nous invite avec élégance à le suivre dans ses récits semi fictifs, semi réels, issus de son malaxage créatif, qui le dotent d'une présence au delà du réel dans les domaines rêvés attenant à la philosophie morale.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
J’avais deviné juste, car au bout d’un quart d’heure environ, il vint aussi derrière son pauvre équipage, et me demanda si je n’avais pas de rasoirs dans mon portemanteau ; à quoi je lui répondis simplement que, n’ayant pas encore de barbe, cela m’était fort inutile. Mais il n’y tenait pas, c’était pour parler d’autre chose.
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Les mots de notre langage familier ont quelquefois une parfaite justesse de sens. C’est bien servir , en effet, qu'obéir et commander dans une Armée. Il faut gémir de cette Servitude, mais il est juste d’admirer ces esclaves. Tous acceptent leur destinée avec toutes ses conséquences, et, en France surtout, on prend avec une extrême promptitude les qualités exigées par l’état militaire. Toute cette activité que nous avons se fond tout à coup pour faire place à je ne sais quoi de morne et de consterné.
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[Napoléon, tout juste sacré, s'exprime devant le pape]
La vie est trop courte pour s'arrêter. Sitôt que j'ai pensé, j'exécute. On trouvera assez d'explications de mes actions après moi pour m'agrandir si je réussis et me rapetisse si je tombe. Les paradoxes sont là tout prêts, ils abondent en France ; je les fais taire de mon vivant, mais après il faudra voir. - N'importe, mon affaire est de réussir, et je m'entends à cela. Je fais mon Iliade en action, moi, et tous les jours.
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Car, encore une fois, les armées et la guerre n'auront qu'un temps ; car, malgré les paroles d'un sophistes que j'ai combattu ailleurs, il n'est point vrai que, même contre l'étranger, la guerre soit divine ; il n'est point vrai que la terre soit avide de sang. La guerre est maudite de Dieu et des hommes mêmes qui la font et qui ont d'elle une secrète horreur, et la terre ne crie au ciel que pour lui demander l'eau fraîche de ses fleuves et la rosée pure de ses nuées.
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En courant, je heurtai quelque chose qui faillit me faire tomber: c'était un pied humain. Je ne pus m'empêcher de m'arrêter à le regarder.
- Voici comme votre pied sera tout à l'heure, me dit un officier en passant et en riant de tout son coeur.
Rien n'indiquait que ce pied eût jamais été chaussé. Il était comme embaumé et conservé à la manière des momies; brisé à deux pouces au dessus de la cheville, comme les pieds des statues en étude dans les ateliers; poli, veiné comme du marbre noir, et n'ayant de rose que les ongles.
Je n'avais pas le temps de le dessiner: je continuai ma course jusqu'à la dernière cour, devant les casernes.
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Vidéo de Alfred de Vigny
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* : Alfred de Vigny, _Journal d'un poëte,_ recueilli et publié par Louis Ratisbonne, Paris, Michel Lévy frères, 1867, 310 p.
#AlfredDeVigny #JournalDUnPoëte #LittératureFrançaise #XIXeSiècle
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