Ma onzième lecture dans le cadre de la sélection rentrée littéraire 2018 des 68 premières Fois :
Fais de moi la colère de
Vincent Villeminot…
Au moment où j'écris ces lignes, le livre n'est plus en ma possession et je ne peux donc plus m'y référer. C'est exceptionnel dans ma posture de chroniqueuse ; je l'ai lu rapidement et je l'ai déposé lors de la soirée de clôture des 68 pour qu'il aille vers son (sa) prochain(e) lecteur(trice) ; il me reste quelques notes griffonnées à la hâte que j'essaie de mettre en forme… de plus, c'est un livre qui mérite réflexion…
Un titre curieux ! Il existe des expressions pour dire « se faire une joie de… », « se faire un plaisir de… », « se faire une montagne de… », se faire telle ou telle idée de quelqu'un ou quelque chose… Je n'ai jamais entendu ou lu « se faire une colère de… ». de plus, la construction m'interroge car elle n'est pas pronominale : « faire de » annonce plutôt un changement, une transformation, une métamorphose ou encore une conversion… Ce titre va me hanter pendant toute ma lecture et encore maintenant… Que va-t-il faire de moi ?
Une vision insolite du lac Léman et des personnages atypiques : une jeune orpheline qui fait un dur métier d'homme, reprenant le bateau de pêche de son père et un fils de dictateur africain, venu combattre une bête des profondeurs. Face à eux, une bête immonde, allégorie de la richesse matérielle et de l'avidité, personnifie le Veau d'Or des temps moderne…
Un style particulier, poétique, épique… Les héros ont des allures légendaires, guerrières et prédestinées… le récit entrecroise les parcours, les points de vue et les actions d'éclats sur un fond exalté et hallucinatoire où la mémoire collective rejoint les ressentis individuels, où le sentiment religieux est omniprésent… le langage est soutenu, richement référencé, de la Bible au Coran, de la Genèse à l'Apocalypse, de Chrysostome à
Apollinaire, avec toujours Melville et Moby Dick en filigrane…
Parmi les thèmes qui m'ont le plus frappée, je retiendrai la place du corps et de la nudité et leur rapport avec le désir. Certains passages dégagent une sensualité, à fleur de peau et de chair, à la fois pudique et sans tabou qui prend aux tripes et au coeur.
J'ai également retrouvé des thématiques connues avec la part faite à l'esclavage, à la colonisation, aux génocides africains et à une certaine forme de négritude.
La posture mystique m'a touchée avec une magnifique prière païenne qui donne tout son sens à l'injonction «
fais de moi la colère » et une vaste problématique autour de la procréation et de la naissance dans ce que ces mots contiennent de joie, de promesse et d'espérance.
Les deux personnages principaux, Ismaëlle et Ézéchiel, sont riches de toute une symbolique à la fois religieuse et littéraire…
L'auteur est surtout connu par ses romans pour la jeunesse. Il signe ici un premier roman qui a nécessité dix années d'écriture ; je l'ai lu en deux jours… Un rapport inversement proportionnel qui me bouleverse !
Ce roman est particulièrement dense ; il mérite lecture et relecture.
Personnellement, il me hante.