Dans son septième livre à paraître en août 2014 chez
Actes Sud, Éric Vuillard déconstruit le mythe de Buffalo Bill Cody et de son spectacle le «Wild West Show», et, avec ce qui fut le premier grand divertissement de masse, nous montre la face tragique du divertissement.
Les dimensions du Wild West Show étaient spectaculaires : Clou de l'Exposition universelle de 1893 à Chicago, ses deux représentations par jour attiraient près de quarante mille spectateurs, et plus de trois millions lors des représentations données à Paris pendant la tournée européenne en 1905.
Exaltant les conquêtes pionnières, cette Histoire de carton pâte – les cris de guerre des Indiens que nous connaissons tous, quand on fait claquer sa paume sur sa bouche en lançant des whou ! whou ! sonores, furent inventés pour le spectacle, de même que le Stetson des cowboys – était surtout irrésistible du fait de la présence dans le spectacle de véritables indiens, utilisés comme acteurs dans ce spectacle tandis qu'on les massacrait, tristes acteurs de la déformation de leur propre histoire, à l'image du chef Sioux Sitting Bull, qui participât au Wild West Show en 1885.
«Sitting Bull n'a sans doute jamais été si seul qu'à cette minute, au milieu des drapeaux américains, dans la grande machine à divertir. Il n'était pas aussi seul lorsqu'il vivait en exil au Canada, parmi une poignée de proscrits ; l'obscurité première est impénétrable. Et certes, on était seul à cheval, sous la pluie glacée, errant entre les formes imprécises, dans la grande forêt. Oui, on était seul et triste, mais on était libre, on était plein d'une haine brûlante. Et maintenant Sitting Bull est seul dans l'arène ; la grande chose qu'il aimait est restée en arrière, très loin, Et, ici, dans les gradins, ils ne sont venus que pour ca, tout le monde est venu voir ça, simplement ça : la solitude.»
Loin de la figure mythique que l'on connaît,
Eric Vuillard dépeint Buffalo Bill Cody comme un homme en proie à une angoisse obscure, jamais repu en dépit de ses succès, un vide comme en écho à celui du spectacle.
«
Tristesse de la terre» est un très beau récit, une lecture amère mais nécessaire, un dessillement brutal qui fait apparaître la véritable histoire enfouie sous les paillettes du spectacle, et qui rend si fragiles et incertaines la beauté et la douceur du monde.
«Et il se leva une violente tempête. La neige tomba du ciel comme une injonction de Dieu. Les flocons tourbillonnaient autour des morts, légers, sereins. Ils se posaient sur les cheveux, sur les lèvres. Les paupières étaient toutes constellées de givre. Que c'est délicat un flocon ! On dirait un petit secret fatigué, une douceur perdue, inconsolable.»