Trop de magistrats dans ce livre pour que je vous propose mon jugement.
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Le greffier avait commis une erreur dans ses papiers. Par mégarde, bien sûr. Mégarde explicable, si l'on tient compte du fait que les dernières trente-quatre années il n'avait eu un seul moment de repos. La partie gauche du bout de sa langue était fendue pour avoir mouillé tant de nouvelles plumes, et ses cheveux ébouriffés étaient devenus depuis longtemps une oasis indigo aux nuances et à l'odeur d'administration publique décolorée. Il transcrivait sans cesse dans son registre les condamnations de la Haute Cour de cassation. Comme ces dernières années il n'y avait eu que quelques condamnations à perpétuité, le reste étant des peines capitales, il n'est pas étonnant que, par un geste routinier, il ait pris le registre à étiquette rose, consacré à la mort, au lieu de celui à étiquette blanche affecté aux détentions. Cette erreur aurait continué peut-être à rester de petite importance si la fatigue et les lunettes usées ne lui avaient fait voir un nombre à quatre chiffres au lieu d'un à trois chiffres. Sur le duplicata de la condamnation anonyme, en bloc, d'un groupe de laitiers, la diffraction d'un malicieux rayon de soleil avait dessiné le nœud coulant d'un zéro complémentaire. Et l'exécution avait décimé une province. Dépourvue de lait, la magistrature s'était inquiétée et, ayant des soupçons, avait étudié le cas, remontant à la source du mal : le greffier gaga.
(p. 46)