Ce tome fait suite à Daredevil - Volume 3 (épisodes 11 à 15). Il contient les épisodes 16 à 21, initialement parus en 2012/2013, écrits par
Mark Waid, dessinés et encrés par
Chris Samnee, avec une mise en couleurs de
Javier Rodriguez, sauf l'épisode 17 dessiné et encré par
Mike Allred et mis en couleurs par Laura Allred.
Épisode 16 - Daredevil est revenu dans un état second de son aventure en Latvérie. Il bénéficie d'une intervention médicale d'un genre particulier : Ant-Man (Hank Pym) s'introduit dans son cerveau pour faire le ménage. Épisode 17 - Foggy Nelson met Matt Murdock devant ses responsabilités. le crâne de Joe Murdock se trouvait dans le tiroir du bureau de Matt Murdock, alors que ce dernier n'en garde aucun souvenir. Nelson renvoie Murdock et fait supprimer son nom de leur cabinet d'avocats, estimant qu'il est devenu bon pour l'internement. Épisodes 18 à 21 - Son jugement de valeur ne s'arrange pas quand Matt l'appelle en pleine nuit pour lui demander de l'aide parce que Milla Donovan est dans son lit, au lieu d'être dans sa cellule à l'asile. Et pourtant Foggy lui demande son aide pour un cas dans lequel une infirmière est accusée d'avoir tué son employeur (un responsable d'une branche du crime organisé) dans un cas de chambre close.
Avec le premier épisode de ce tome, le lecteur se dit que
Mark Waid tire à la ligne. L'intervention d'Ant-Man est certes un hommage au film L'Homme qui rétrécit (1957) et à l'épisode 93 des Avengers (novembre 1971) dessiné par
Neal Adams (voir Kree/Skrull war), mais son exécution laisse à désirer. À nouveau
Waid et Samnee s'amusent avec les représentations du sens radar de Daredevil, mais Ant-Man évolue dans des corridors où il peut respirer à l'air libre (= aucun fluide dans le cerveau de Murdock, c'est rempli de courants d'air entre ses 2 oreilles). Les bestioles à dégommer sont désorganisées au possible et Ant-Man défouraille à tout va sans se soucier des lésions qu'il pourrait causer à la matière grise de Matt. À la fois sur le plan visuel et sur le plan narratif, cet épisode confond hommage aux aventures d'antan, avec scénario infantile et dessins en rajoutant à l'absurdité de l'histoire, au lieu d'apporter une vision cohérente à défaut d'être plausible. le deuxième épisode poursuit dans cette lignée, avec un incident du passé dans lequel le manque de confiance entre Murdock et Nelson a conduit à une brouille, entrecoupé par un combat contre Stiltman (l'homme échasse), et le test d'un appareil permettant de redonner le sens de la vue à Murdock pour quelques minutes. D'un côté l'approche visuelle d'Allred est plus cohérente que celle de Samnee et plus savoureuse, avec son côté rétro et décalé, gentiment moqueur vis-à-vis d'un personnage comme Stiltman. de l'autre,
Waid semble pour partie lancé sur une bonne direction (une narration à la manière des comics optimistes et décontractés du début des années 1960), et pour partie à nouveau à côté de la plaque avec cette invention futuriste qui permet à Matt de visualiser le dernier combat de son père et d'en projeter les images sur un écran, alors qu'il avait déjà perdu la vue lors de ce combat.
C'est donc avec un niveau d'espoir très bas que le lecteur se lance dans la suite de l'histoire. Contre toute attente,
Mark Waid et
Chris Samnee retravaillent en phase pour un récit cohérent, intelligent, plein de suspens et de surprises, avec une utilisation pertinente d'événements survenus dans des épisodes précédents. D'un côté, Matt Murdock semble avoir perdu les pédales, agir de manière irraisonnée, oublier ce qu'il a fait quelques minutes auparavant ; de l'autre il y a ces 2 meurtres aux circonstances inexplicables.
Mark Waid plonge son personnage dans une grande perplexité, et le lecteur dans le doute, l'obligeant à s'interroger sur ce qui est à prendre comme argent comptant et ce qui relève d'affabulations de Murdock. Il joue avec habilité sur les relations entre Nelson et Murdock, et sur l'apparition déconcertante de Milla Donovan, sans en abuser, sans tirer sur la corde. Il introduit Coyote, un criminel à la fois original et familier, aux motivations à la fois fondées et bizarres. Il conçoit des scènes visuelles qui permettent à
Chris Samnee de bien s'amuser.
Samnee dessine dans un mode descriptif avec un fort niveau de simplification, pour évoquer en apparence les dessins plus simplistes des années 1960. Toutefois, les tenues vestimentaires et les décors relèvent d'une représentation moins simpliste que celles des années 1960, plus conforme à la réalité de ce qui est représenté (par exemple la structure d'un hangar plus détaillée que juste 3 poutres dessinées à la va-vite, sans compréhension de leur assemblage ou de la manière dont elle supporte la toiture). Il représente les arrières plans avec une grande régularité, nettement supérieure à ce qui se pratiquait dans ces années là. Sous des apparences parfois infantiles, les dessins de Samnee comportent en fait une bonne densité d'information et une représentation de la réalité pas si naïve que ça.
À plusieurs reprises, le lecteur peut apprécier la complémentarité entre
Waid et Samnee pour des passages qui coulent tout seul, malgré les éléments narratifs délicats. Par exemple Daredevil range sa canne grappin dans son fourreau attaché à sa cuisse dans une page, mais alors qu'il s'est élancé dans le vide depuis un immeuble 2 pages plus loin, l'étui est vide. La complémentarité entre le texte et les images induit le doute chez le lecteur de ce qu'il doit tenir comme factuel et de ce qui relève du désordre psychologique de Daredevil. Loin de paraître pataude, cette séquence atteint son objectif de manière admirable, en toute discrétion. Dans l'épisode 20,
Waid se lâche franchement avec une tête parlante séparée de son corps toujours vivant. le mélange de naïveté superficielle et de logique visuelle bien conçue permet à Samnee de représenter cette situation digne d'une série Z fauchée, de manière à ce qu'elle s'intègre dans la logique du récit, sans paraître débile. Samnee a dû être particulièrement à l'aise avec ce scénario puisqu'il s'est même amusé à glisser un clin d'oeil au film The human centipede, dans la situation finale du supercriminel, alliant une horreur visuelle évoquant
Steve Ditko, à un second degré franc et drôle.
Alors que les 2 premiers épisodes de ce tome semblent se vautrer dans l'hommage (raté, risible et idiot) aux comics des années 1960, les 4 épisodes suivants constituent une aventure en bonne et due forme, alliant cette saveur rétro, avec un savoir faire moderne, des clins d'oeil respectueux et inventifs, avec un scénario retors et haletant.