Narconomics

Un ouvrage offrant un cliché instantané des méthodes des cartels et gangs narcotrafiquants sud américains, très intéressant en termes journalistiques mais décevant en termes économiques.

J'ai pris mon temps pour lire ce livre (presque la totalité du mois imparti par l'opération masse critique), abordant le sujet avec tout le sérieux qu'il suppose.

L'objet livre lui-même est d'excellente facture et solide. La souplesse et le format du livre permettent une lecture agréable. Celle-ci n'est pas perturbée par des coquilles qui heurtent parfois l'esprit (ici totalement absentes), preuve que l'éditeur de Boeck a vraiment bien fait son travail. Seul tout petit bémol, le choix d'un fond noir mat pour la première de couverture qui se marque très facilement par les empreintes digitales.

La plume de Tom Wainwright (et la très bonne traduction de Jérôme Duquène et Françoise Rajewski) est extrêmement agréable et se teinte régulièrement d'humour. Clairement, l'auteur a procédé à une enquête exhaustive sur le continent sud-américain et sait de quoi il parle, et c'est vraiment très appréciable. En tant que documentation sur l'état des narcotrafics sur les continents américains au milieu des années 2010, ce livre est franchement excellent, et offre les points de vue aussi bien des cultivateurs andins que des officiels (politiques), montre les enjeux sociaux et les évolutions sociétales dans des pays littéralement gangrénés par la violence liée à la production et aux trafics de drogues. En termes journalistiques, c'est un sans faute.

L'idée d'aborder le sujet des trafics de drogue avec le filtre de l'économie est bonne, mais pas novatrice. En réalité, l'approche économique du fait criminel est opérée depuis la fin des années 1960 par le courant Law & Economics fondé par Becker et Posner. La drogue, les gangs et les cartels ont eux aussi été abordés de cette manière. Narconomics n'est pas un ouvrage d'économie, et ne s'en donne d'ailleurs pas les moyens: les sources issues d'économistes universitaires sont très limitées, et le travail de Tom Wainwright est avant tout empirique. Cela n'est pas forcément un problème, d'autant que l'auteur appuie son ouvrage sur des sources officielles solides, mais il manque une méthodologie absolument incontournable dans un travail d'analyse économique. L'auteur reprend des statistiques mais sans être critique vis-à-vis d'elles, pour en accepter les conclusions et appuyer sans réelles réserves le travail d'opinion qui se dessine peu à peu au fil de l'ouvrage.

C'est finalement là où je suis le plus déçu: plus qu'un ouvrage d'analyse, Narconomics est surtout un plaidoyer pour la légalisation des drogues, cherchant à démontrer que la légalisation est "économiquement" plus efficace que la prohibition. Ce faisant, il se heurte à tous les écueils possibles: la drogue est un problème de pauvreté qu'on peut enrayer par le développement des pays pauvres, les gangs et cartels n'existent que parce que les Etats sud-américains sont des Etats faibles, le cannabis n'est pas dangereux, la légalisation et la prévention vont résoudre tous les problèmes, les producteurs de drogues "légales" sont cools...

La question de la légalisation qui marque la fin de l'ouvrage est la plus criticable en raison de sa superficialité. Nacronomics ne prétend certes pas être un ouvrage d'analyse en profondeur, mais cette partie-là est véritablement le point noir du travail de Tom Wainwright, qui ne semble pas vouloir voir que la légalisation des psychotropes pose de sérieux problèmes depuis déjà trente ans dans les pays occidentaux, avec les antidépresseurs, anxiolytiques, et autres molécules jouant sur les humeurs des personnes qui les prennent. Comment croire que les effets délétères de médicaments testés et approuvés par les plus strictes procédures d'évaluation étatiques ne vont pas concerner le marché des drogues légales qui lui est totalement libéral? Si l'auteur s'était contenté de présenter son travail sans conclusion à visées politiques, Narconomics aurait été un livre d'approche économique à la fois distrayant, stimulant et très intéressant. Seulement, ce plaidoyer pour la légalisation des drogues (toutes les drogues, pas seulement le cannabis) détruit l'ensemble et ruine le propos en se réclamant d'une analyse scientifique (celle de l'auteur) qui ne mérite pas ce nom. Tom Wainwright parle de coûts, mais jamais de ce qu'ils apportent comparativement à une situation où ces coûts n'existent pas, ce qui est pourtant la base d'une analyse "Law&Economics". Il parle de solutions sans jamais parler des conséquences négatives des solutions qu'il avance, en ne présentant que les avantages. L'absence de méthodologie, de bibliographie et le manque de références de rang universitaire disqualifie, à mes yeux, le caractère scientifique des analyses "économiques" présentées dans Narconomics.

La qualité journalistique de l'ouvrage est indéniable et Tom Wainwright a réellement mené une enquête en profondeur qui n'a, à ma connaissance, pas d'équivalent hors grandes institutions. La qualité "économique", en revanche, est plus que contestable. Narconomics apporte néanmoins une quantité d'informations et d'idées très appréciables, qui sont quelque peu gâchées par le parti pris de l'auteur en toute fin d'ouvrage (dernier chapitre et surtout conclusion désagréablement arrogante à mon goût). Un travail qui mérite en tout cas de sérieux développements (à l'échelle mondiale et non plus seulement américaine) et surtout un vrai approfondissement d'ordre scientifique.

Comme La 6e extinction que je commentais la semaine dernière, voici un autre essai dans un style proche de celui des reportages de National Geographic, mêlant enquête de terrain, informations pus encyclopédiques et analyses personnelles. La lecture en est donc vraiment prenante, et aussi intéressante que plaisante. L'idée est originale, d'analyser le trafic de drogue, activité illégale s'il en est, de la même façon qu'un marché économique légal, avec ses actions de relations publiques, ses problèmes de gestion du personnel ou encore ses phénomènes de fusions-acquisitions ou de diversification. Il n'est même pas nécessaire d'aimer l'économie, tant cela est raconté de façon claire (mais détaillée et rigoureuse). C'est presque amusant parfois, quand l'auteur évoque le turn-over du personnel (emprisonné ou tué !) et les difficultés de recrutement, ou compare les gangs à MacDonald's pour leur façon de franchiser leur ''marque'' ! Les différences avec l'économie légale ne sont cependant pas oubliées, bien au contraire les spécificités de ce business bien particulier sont examinées, notamment la concurrence entre gangs dont les conflits ''commerciaux'' ne peuvent par nature pas se régler devant un tribunal.
Surtout, et c'est ce qui manquait dans La 6e extinction, l'auteur commente et tire des conclusions de cette analyse, il expose notamment quels sont les meilleurs moyens de lutter contre la drogue, non pas comme le font les Etats-Unis depuis des décennies en dépensant des milliards de dollars pour détruire des champs de coca en Amérique centrale ou en emprisonnant les dealers à tour de bras, mais en attaquant le problème en termes économiques, en asséchant notamment la demande ou en proposant une offre alternative. On réalise alors que des solutions, qui pourraient sembler contre-intuitives à première vue, se révèlent finalement les plus efficaces, comme le prouvent certains exemples : la légalisation vaut mieux que les sanctions, la prévention est moins coûteuse et fait plus baisser la consommation que les incarcérations, etc.
Je n'ai finalement que deux petits reproches à apporter. D'une part je crois comprendre que l'édition originale comporte plus d'illustrations que les quelques graphiques et schémas présents dans la version française. D'autre part, à l'image de Boom, bust, boom, un essai sur le cuivre chroniqué récemment, l'auteur s'est concentré sur les Etats-Unis et sa banlieue centre-américaine (plus quelques excursions au Royaume-Unis et en Nouvelle-Zélande), l'Asie et l'Europe étant à peine évoqués, qui ont pourtant certainement des spécificités intéressantes. On peut supposer cependant que les principes économiques restent les mêmes, à quelques différences près. Quoi qu'il en soit, le travail d'enquête et d'analyse est déjà très impressionnant, intéressant même si on n'a d'attirance ni pour la drogue (ce qui se comprend aisément) ni pour l'analyse économique (ce qui se comprend encore plus aisément), et un vrai plaisir de lecture.
Bravo donc à l'auteur, et merci à Babelio pour cette découverte dans le cadre d'une opération Masse critique !

"Narconomics" est un documentaire sur le business de la drogue rondement bien écris. On y découvre la culture de la coca avec les paysans et les acheteurs (l'offre et la demande), les méthodes de profits des cartels, leur commerce, leurs lois, leurs méthodes d'éradication des traîtres, l'utilisation qu'ils font de la publicité, les principaux "gangs"... L'auteur nous amène efficacement dans les méandres de ce business en découpant les chapitres en introduction, développement et conclusion qui peuvent aisément être lus indépendamment. Il mène un réel reportage en rendant visite aux leader des cartels, en se rendant dans les pays concernés, en décortiquant les articles de presse et tente de proposer des solutions correctives aux problèmes rencontrés face à la montée en puissance des trafiquants. Il ne nous abreuvent pas de nombres, de statistiques comme certain documentaire le font, c'est une lecture fluide et riche.

Cependant, ce n'est pas un documentaire qui se lit pas d'une traite tant les informations à emmagasiner sont nombreuses. Afin d'aller plus loin dans les informations données par Tom Wainwright (qui sont déjà très bien détaillées), j'ai noté à chaque fois les noms des personnages réels, les lieux, les références cinématographiques ou littéraires pour m'imprégner encore plus de l'étude et mettre une visage, une photographie, un article sur les faits présentés.

Les cartels fonctionnement réellement comme une entreprise avec, cependant, comme une longueur d'avance et bien évidemment une morale professionnelle beaucoup moins présente (voire inexistante). Ils savent parfaitement manipuler les populations et leurs "employés" dans des pays où le gouvernement n'apporte aucune solution aux plus démunis. Comment faire face à des narco-trafiquants qui offrent une aire de jeu à des enfants qui n'ont jamais eu l'occasion de connaître une balançoire ? Comment faire de l'offre de coca (la feuille qui permet au trafiquant de créer la cocaïne) un revenue moindre pour les cultivateurs qui y voient un simple revenu, le seul moyen de vivre ? Comment le bitcoin, cette monnaie numérique, est elle l'un des rouages du commerce de la drogue ? Comment gèrent-ils le trafic d'êtres humains ? En quoi la légalisation pourrait-être une solution ?

J'ai retrouvé bon nombre d'informations que les livres de Don Winslow, "La Griffe du chien" et "Cartel" m'avaient apportée, et c'est plaisant de croiser les données et de voir le travail réalisé pour tenter de nous instruire sur ce business terrifiant et malheureusement diaboliquement efficace.

Un beau travail de recherche qui étend notre culture. Je recommande vivement !

Merci à Babélio et aux éditions de Boeck