Traduit de l'anglais par
Jean-Pierre Carasso.
Le titre original "The situation is Hopeless but not Serious. The pursuit of Unhappiness" (1983) est plus futé que celui du poche "Points" dont je dispose. La caricature en couverture représente le politicien et historien
François Guizot (presse dominicale le Bouffon, 4 août 1867), illustration de l'homme atonique ruminant ses malheurs.
Le railleur
Paul Watzlawick (1921-2007) invite, en une centaine de pages parodiques, à adopter la bonne méthode pour ne pas trouver le bonheur : "c'est une introduction systématique aux mécanismes les plus fiables et les plus utiles à la recherche méthodique du malheur – recherche fondée sur des dizaines d'années d'expérience clinique". L'auteur, docteur en philosophie et psychologie analytique, a exercé la psychiatrie à Zurich.
"Être malheureux est certes à la portée du premier venu. Mais se rendre malheureux, faire soi-même son propre malheur sont des techniques qu'il faut apprendre" : car, malgré le nombre de personnes naturellement douées, il en est de nombreuses qui ont besoin d'un petit coup de pouce. Ce modeste guide tente d'y contribuer, non seulement par altruisme, mais aussi pour des raisons économiques et politiques : des pans entiers de l'industrie feraient faillite et des millions de gens se retrouveraient au chômage si la santé des citoyens s'améliorait, du berceau à la tombe, par la grâce d'un bonheur dégoulinant. L'État moderne a besoin du malheur de ses concitoyens.
C'est de ne pas parvenir à l'harmonie avec les autres que l'homme fait son malheur, conclura-t-on. Et l'harmonie passe par la communication, qui a beaucoup préoccupé
Watzlawick. Un exemple (repris dans la brève recension de Wikipédia) : une épouse reproche à son mari de ne pas lui offrir des fleurs ; lorsqu'il lui en offre, la femme peut penser et lui reprocher «c'est parce que je te l'ai dit que tu m'en offres», ce qui amènera le mari à trouver cela désagréable et on entre dans un cercle vicieux avec reproches et sous-entendus sans fin. On entre dans le même jeu avec l'injonction «Sois spontané !» – elle entraîne soit le refus, soit la coercition qui, par définition, ne l'est pas –, jeu décrit comme double contrainte (cf les cinq axiomes de la communication entre individus, en particulier dans la relation médecin/patient).
Particulièrement intéressante, la section "Gardez-vous d'arriver", inaugurée par une sagesse orientale "mieux vaut voyager plein d'espoir qu'arriver au but".
Oscar Wilde disait les deux tragédies de l'existence, celle de ne pas réaliser son rêve, l'autre étant celle de le réaliser. Dans la vie, le but inaccessible s'avère bien plus désirable, romanesque et extatique que le but atteint : lune de miel (pas si douce), retraite (ennui), voyage exotique (escroquerie par un taximan), réussite études (trouver un emploi), etc. le thème inclut un savoureux corollaire sur la vengeance – son désir s'évapore lorsque l'impuissance à la réaliser disparaît – où un Belge, événement relaté par
George Orwell, comprend le sens de la guerre. À méditer.
À la suite de cet opuscule acide et salutaire,
Watzlawick a aussi écrit "Comment réussir à échouer" (1986), pareillement grinçant.
"La conviction que sa propre vision de la réalité est la seule réalité est la plus dangereuse de toutes les illusions." (
Paul Watzlawick)
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